Il y a 17 ans à Guelma29/05/19621962Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Il y a 17 ans à Guelma

Alors que le Parti Communiste « qui l'a toujours dit », continue à revendiquer l'honneur d'avoir été le premier et le principal artisan de la paix (malgré les tueries qui continuent à ensanglanter les grandes villes algériennes), il n'est pas inutile de rappeler quelle fut son attitude, lorsqu'il y a dix-sept ans, en Mai 1945, le Constantinois vivait le prologue de la guerre.

Le PCF n'était pas alors dans l'opposition. Depuis Avril 1944, sa participation ministérielle au Comité Français de Libération Nationale, puis au Gouvernement Provisoire était effective, et rien, en dehors d'une vague démagogie contre les « trusts anti-nationaux », ne distinguait sa politique de celle de de Gaulle.

C'était l'époque où il venait d'adopter le mot d'ordre : « S'unir, combattre, travailler », où les J.C. demandaient la mobilisation des jeunes classes, où les USA étaient une grande puissance démocratique, où « L'Humanité », avec toute l'abjection d'un parvenu du chauvinisme hurlait à mort contre « le Boche » et titrait : « La haine, devoir national ».

La fin de la guerre en Europe allait marquer le début du drame algérien. C'est en effet pendant les défilés célébrant l'armistice, le 8 Mai 1945, que les premiers incidents allaient éclater entre le service d'ordre et les manifestants. La répression, menée avec le concours de l'armée, de l'aviation, et de milices de colons armés, allait faire 45 000 morts, chiffre aujourd'hui communément admis.

C'est seulement le 11 Mai que les lecteurs de « L'Humanité » apprendront qu'il se passe quelque chose en Algérie, et encore n'auront-ils la possibilité ce jour-là que de lire le laconique commentaire du Gouvernement Général que leur journal reproduit sans aucun commentaire

« A Sétif, attentats fascistes le jour de la victoire ; des éléments troubles, d'inspiration hitlérienne, se sont livrés à Sétif à une agression à main armée contre la population qui fêtait la capitulation hitlérienne. La police, aidée de l'armée, maintient l'ordre. »

Déjà au temps de la Commune, on avait pu dire : « On parlait d'ordre, le sang allait couler ».

Le PC avait pourtant les moyens d'être bien renseigné, puisque Tillon, ministre de l'Aviation qui mitraillait les Algériens, faisait à cette époque une tournée en Afrique du Nord. Il est vrai que le sort des « populations indigènes » était le dernier de ses soucis, et s'il avait pris la parole à Alger, c'était pour y définir « les conditions de renaissance de notre aviation ». ( « L'Humanité » du 13 Avril)

C'est le 12 mai que l'organe central du p.c.f. donne sa propre explication des événements, qui ne diffère de la version officielle que parce qu'elle met en cause, en plus des nationalistes algériens, certains membres de l'administration française en algérie, accusés de « vychisme ». les principaux passages de cet article valent d'être cités :

« Depuis que sont connus en Algérie les résultats du premier tour des élections municipales, nous voyons se réaliser point par point la provocation préparée au Gouvernement Général avec l'aide de quelques policiers de bas étage, et naturellement quelques éléments provocateurs au sein des populations algériennes... La population musulmane, complètement affamée, a été facilement poussée par quelques provocateurs bien connus de l'administration, à des violences. On compte des morts... ».

« Voudra-t-on entendre la voix des communistes algériens, celle de la raison : dans l'intérêt de l'Algérie et dans l'intérêt de la France, châtier les traîtres et les provocateurs et pratiquer à l'égard de la population musulmane une politique d'humanité et de démocratie dans notre intérêt commun ».

Les provocateurs en question ne sont pas encore nommément désignés, mais dès le lendemain « L'Humanité » met en cause les militants nationalistes :

« ... Et voilà qu'aujourd'hui, le Gouvernement Général rejette l'entière responsabilité des troubles sur des éléments musulmans. Qu'il y ait parmi eux quelques hitlériens, c'est d'autant plus évident que le chef pseudo-nationaliste Bourguiba était en Allemagne au moment de la capitulation hitlérienne et vient d'arriver dans un pays d'Afrique du Nord ».

Contre ces nationalistes, le Parti Communiste réclame un châtiment exemplaire. « L'Humanité » du 19 Mai explique que :

« Les musulmans des campagnes qui n'ont pas pris la moindre part aux agissements d'une poignée de tueurs à gages dont les chefs sont connus comme mouchards au service de Berque, directeur des Affaires musulmanes, sont pourchassés... Ainsi se réalise le plan des fascistes français et algériens... Pour que l'ordre existe vraiment en Algérie, il faut immédiate-ment... punir comme ils le méritent les tueurs hitlériens ayant participé aux événements du 8 Mai et les chefs pseudo-nationalistes qui ont sciemment essayé de tromper les masses musulmanes ».

Parallèlement à cela, « L'Humanité » réclame du blé et des libertés démocratiques pour les Algériens, mais cette citation du numéro du 16 Mai donne un aperçu de sa sincérité :

« Le communiqué officiel accuse des éléments du mouvement « Les Amis du Manifeste » d'avoir poussé à la révolte. En supposant qu'il y ait du vrai dans cette affirmation, POURQUOI DONC LE GOUVERNEMENT GENERAL A-T-IL AUTORISE LA PARUTION DU JOURNAL DE CETTE ORGANISATION ? ( « Egalité » ) dont nous possédons le numéro du 4 Mai. » (La phrase en gros caractères est en italique dans « L'Humanité » ).

Et si « L'Humanité » de ce jour-là se contente de supposer, l'accusation contre « Les Amis du Manifeste » (c'est l'organisation de Ferhat Abbas à cette époque) sera sans équivoque dans le numéro du 29 Mai qui parle des « Amis du Manifeste, organisation pseudo-nationaliste dont les tueurs ont participé aux événements de Sétif et d'ailleurs. »

La politique du Parti Communiste algérien sera d'ailleurs entièrement calquée sur celle du parti-père français, si l'on en juge par ce message de félicitations que le Comité Central de celui-ci lui envoie le 20 Mai :

« Ces événements ont en effet montré que les provocations des cent seigneurs de la terre, des mines et de la banque - instruments des trusts en Algérie - soutenus par une poignée de hauts fonctionnaires indignes, et disposant d'agents directs ou inconscients dans certains milieux musulmans qui se prétendent nationalistes, ont pu être déjouées partout où le Parti Communiste algérien possède des organisations puissantes et influentes parmi les masses ».

Au problème algérien, le PCF « grand parti de gouvernement » au service de la bourgeoisie française, ne voit en 1945 qu'une solution :

« Union des populations algériennes, sans distinction de races, et du peuple de France, seule base possible d'un ordre véritable en Algérie ». ( « L'Humanité » du 29.5.45)

C'est « l'intégration » et l'Algérie Française avant la lettre mais en fait, ce n'est sans doute pour lui qu'un problème secondaire, car il ne mérite pas un seul mot dans les rapports du Comité Central pour le Xe Congrès du Parti, en Juin 1945 (congrès qui, soit dit en passant, allait mettre en avant le mot d'ordre non pas de la « rénovation », mais du renouvellement de la démocratie).

Il faudra attendre des mois pour que l'importance du massacre soit, ne serait-ce que partiellement, avouée. Le 6 Janvier 1946 enfin, « L'Humanité » reconnaît : « 4 000 exécutions en Mai dans la région de Guelma », et elle commente ainsi ce chiffre :

« Quelle valeur accorder après cela aux affirmations officielles selon lesquelles on ne fusille que des bandits. »

Les événements du Constantinois reviennent d'ailleurs à l'ordre du jour en Février 1946 lors du débat sur l'amnistie que le PCF demande, comme tous les autres partis, car :

« La population algérienne a prouvé son attachement à notre patrie sur tous les champs de bataille d'Afrique du Nord, d'Italie, de France, d'Allemagne. »

Et cette demande d'amnistie n'empêche d'ailleurs nullement le député communiste Chaoudria de préciser par ailleurs :

« Il faut par contre prendre des mesures énergiques contre les meneurs et les semeurs de panique qui préparent un nouveau complot fasciste ».

Après avoir ainsi participé à la répression en Algérie, en tant que « parti de gouvernement », le PCF prendra encore part en 1946 au début de la guerre d'Indochine, et il faudra attendre la démission forcée de ses ministres, en Mai 1947, pour qu'il se souvienne qu'il est opposé aux guerres coloniales.

Cela ne l'empêchera d'ailleurs pas de voter en 1956 les pouvoirs spéciaux à Mollet-Lacoste, prouvant ainsi qu'hors du gouvernement comme à l'intérieur, il n'a d'autre politique vis-à-vis des pays coloniaux que celle de sa propre bourgeoisie.

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