Il était une fois un parti...15/11/19611961Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Il était une fois un parti...

Une des principales excuses du PCF pour justifier son inaction à propos de la guerre d'Algérie, envers ses militants et sympathisants, consiste à prétendre que la répression risquerait de le contraindre à une quasi-illégalité, et finalement l'empêcherait totalement de s'exprimer.

Pour comprendre toute l'hypocrisie de cette « explication », il n'est que de se reporter aux luttes que le jeune Parti Communiste (Section Française de l'Internationale Communiste) était capable de mener et en particulier à son action lors de l'occupation de la Ruhr par l'armée française en janvier 1923 (il avait deux ans).

A l'automne de cette année, les révolutionnaires du monde entier avaient les yeux tournés vers l'Allemagne. Celle-ci traversait alors une crise économique et sociale dont l'insurrection communiste de Hambourg le 25 octobre et la tentative de putsch nazi à Munich le 9 novembre allaient marquer le point culminant.

Ce n'était certes pas la première crise que l'Allemagne traversait après la guerre mondiale, mais celle-ci se développa dans le contexte bien particulier de l'occupation de la Ruhr, et jamais les faits n'avaient montré aussi clairement combien, par-dessus les frontières, le sort des différents prolétariats était lié.

Les origines mêmes de la crise remontaient au traité de Versailles. L'Allemagne vaincue y était écrasée économiquement, dépossédée de ses colonies et de certaines de ses provinces, condamnée à payer aux puissances victorieuses, principalement à la France et à la Belgique sur le territoire desquelles la guerre s'était déroulée, d'énormes « réparations ».

Mais la situation économique dans laquelle ce traité plaçait l'Allemagne la rendait bien incapable de s'acquitter de ses dettes, d'autant plus que la bourgeoisie allemande entendait faire retomber tout le poids du diktat sur le dos du prolétariat, et que la seule mesure qu'elle prit effectivement pour sortir de l'impasse où elle se trouvait, fut d'entamer une lutte à outrance contre la journée de 8 heures.

Il n'y a pas qu'en Allemagne d'ailleurs que le capitalisme menait l'offensive. Après la crise révolutionnaire qui traversa toute l'Europe dans les toutes premières années de l'après-guerre, on avait vu le capitalisme se stabiliser et entrer en lutte pour reconquérir les avantages qu'il avait dû céder à la classe ouvrière. La France, quant à elle, est gouvernée par une Chambre de droite où la majorité appartient au Bloc National, les mouvements de grève n'ont cessé de décroître depuis 1920, date où se situe la grande grève des cheminots, dans les mois qui précèdent l'occupation de la Ruhr, le gouvernement français n'hésitera pas à faire tirer la troupe sur des grévistes au Havre.

C'est dans ce contexte de déclin du mouvement révolutionnaire que va se situer l'épisode de l'occupation de la Ruhr. Prétextant l'incapacité de l'Allemagne de s'acquitter des réparations, le gouvernement Poincaré prit la décision de saisir des gages et de faire occuper le bassin minier par l'armée française, à laquelle étaient jointes des troupes belges. En fait, c'était là pour l'impérialisme français un excellent prétexte pour réaliser à son bénéfice la réunion des mines de fer de Lorraine et des Charbonnages de la Ruhr, réunion qui avait toujours tenté les deux bourgeoisies rivales.

L'Allemagne, pratiquement désarmée par le traité de Versailles, n'avait pas les moyens de s'opposer par les armes à la politique française, le gouvernement Cuno ne put que proclamer la « résistance passive » mais, malgré cela, on ne pouvait pas s'y tromper, c'était bel et bien un nouvel épisode de la guerre impérialiste.

Mais depuis les tragiques journées de juillet et d'août 1914 qui virent l'effondrement de la IIe Internationale, les années étaient passées qui avaient vu la révolution russe et la naissance du Komintern. En 1923, les différentes sections nationales de celui-ci et en particulier les sections française et allemande allaient montrer à cette occasion que bien que jeunes et inexpérimentées, elles valaient bien plus que la vieille social-démocratie. Pourtant elles manifestaient déjà certains symptômes dangereux qui préfiguraient leur future dégénérescence, et l'action du Parti français et du Parti allemand fut en quelque sorte leur chant du cygne.

Avant même que les troupes françaises n'entrent dans la Ruhr, le 11 janvier, les représentants des Partis Communistes français, allemand, belge, italien, anglais, tchécoslovaque, hollandais, et de la CGTU s'étaient réunis le 6 janvier à Essen pour déterminer la politique à mener. Il ne s'agissait pas seulement de lutter contre l'occupation de la Ruhr, la « guerre à la guerre impérialiste » que décida la conférence devait être dirigée dans l'optique de la révolution socialiste : « Nous ferons du Rhin le tombeau du capitalisme européen ».

A la section française de l'internationale communiste incomba une des tâches les plus lourdes. puisque c'était l'armée de son impérialisme national qui occupait la ruhr, l'essentiel de son activité allait être dirigé vers le travail anti-militariste, c'est-à-dire vers un travail obligatoirement clandestin, auquel n'était guère habitué le jeune Parti.

En 1923 le PC était loin d'avoir l'importance numérique qu'il a aujourd'hui. Une perpétuelle crise de croissance révolutionnaire s'était traduite par une diminution constante des effectifs depuis le Congrès de Tours. Il n'avait environ que 60 000 membres au début de l'année, il n'en comptera guère plus de 45 000 en décembre.

Mais ce n'était pas cette relative faiblesse numérique qui entravait le plus ses efforts. En fait, les moers et les méthodes organisationnelles social-démocrates étaient restées en vigueur après 1920 et elles révélèrent rapidement leur rôle néfaste.

Les problèmes qui se posaient au Parti Communiste étaient nouveaux et écrasants, mais s'il manquait de formation politique et d'expérience, ses militants ne manquaient ni d'enthousiasme ni d'ardeur révolutionnaire et en quelques mois, ils accomplirent un travail énorme.

Les Jeunesses Communistes eurent naturellement, puisqu'il s'agissait surtout d'un travail dans l'armée, un grand rôle à remplir. Elles s'en acquittèrent d'autant mieux qu'elles étaient toutes acquises aux idées de la tendance de gauche, dont l'autorité au sein du Parti était beaucoup plus contestée.

Le premier travail à accomplir était d'éclairer les masses sur ce que représentait l'occupation de la Ruhr, de lutter contre la propagande chauvine. Pendant que le PC organisait en France, avec plus ou moins de succès, meetings et réunions, les J.C., en collaboration avec leurs camarades allemands s'adressaient dès le premier jour aux soldats français. Des milliers de tracts et d'affiches proclamaient : « Les ouvriers allemands sont vos frères », « fraternisez avec les travailleurs allemands », « Ne tirez pas sur les ouvriers allemands ».

En quelques mois, toute une presse destinée aux troupes d'occupation fut créée et développée. Une « édition spéciale pour les soldats » hebdomadaire et illégale de « L'Humanité » naquit et devint même quelques mois plus tard bi-hebdomadaire. On doubla le tirage de « La Caserne » mensuel des J.C. destiné aux soldats, afin de le diffuser massivement dans la Ruhr.

Les troupes coloniales ne furent pas oubliées. Au début on dut se contenter de tracts et d'appels en langue arabe expliquant : « Vous êtes ici pour piller et voler en faveur des mêmes impérialistes français qui vous assassinent et vous volent chez vous ». Mais les tracts ne suffisaient pas et quelques mois plus tard parut la « Caserne Coloniale », organe mensuel en arabe.

Parallèlement à ce travail de propagande, il fallait mener un travail d'organisation d'une importance capitale. Jusque là, les liens qui existaient entre les jeunes communistes sous les drapeaux étaient très lâches. La tâche qui s'imposa fut de renforcer ces liens, de construire une organisation centralisée sur la base de cellules de régiment.

La bourgeoisie française ne laissa bien entendu pas faire sans réagir ce travail de sape de sa politique de banditisme. Les deux représentants du PC français et de la CGTU à la Conférence d'Essen, Cachin et Monmousseau, furent arrêtés, l'immunité parlementaire qui protégeait Cachin ayant été levée, et inculpés d'atteinte à la sûreté de l'État. Dans la Ruhr même la répression fut plus sévère. Une centaine de jeunes communistes allemands, une quinzaine du soldats français furent arrêtés. Le procès de Mayence en juin 1924 allait condamner 37 militants à 133 années de prison.

Mais malgré la répression, le travail porta ses fruits, Des soldats furent parmi les premiers à souscrire pour soutenir la presse communiste allemande en difficulté. L'insubordination se manifesta sous toutes ses formes : on vit des soldats refuser de décoller les papillons communistes, quitter les fêtes officielles du 14 juillet, assister à des fêtes syndicales allemandes on chantant l'Internationale et même, manifester dans la rue avec les travailleurs allemands. Dans de nombreux cas, les soldats refusèrent de tirer sur les ouvriers, et l'on vit des troupes marocaines, que l'on considérait alors comme un instrument aveugle, de répression, refuser, à Neustadt, d'ouvrir le feu.

Avec la montée révolutionnaire, à l'automne, le travail anti-militariste avait pris une importance capitale. Il ne s'agissait pas seulement de faire de la propagande contre l'occupation de la Ruhr, il fallait encore obtenir la neutralité bienveillante de l'armée d'occupation vis-à-vis de la révolution, gagner à elle sa partie la plus avancée. Et il est vraisemblable que si la révolution allemande s'était développée, il eut été difficile à la bourgeoisie de se servir de l'armée française comme instrument de répression.

Dans ces quelques mois de 1923, les militants communistes français réalisèrent un travail considérable et écrivirent là la seule belle page de l'histoire du Parti Communiste Français. Mais 1925 marque le grand virage. Si la politique du PC français symbolise tout ce qu'il y avait de positif dans le Parti Communiste, l'ardeur et le dévouement de ses militants, l'échec de la révolution allemande, décommandée au dernier moment par l'Internationale Communiste, marque l'heure de la dégénérescence bureaucratique, devant laquelle les différentes sections de l'Internationale n'étaient pas assez armées idéologiquement, pour pouvoir résister.

Aujourd'hui le PCF ne sait plus à propos de l'Allemagne que parler des dangers du militarisme allemand en un style qui n'a rien à envier aux propos des social-chauvins de 1914 et de 1923, le rappel de ce que sut faire il y a 38 ans la Section Française de l'Internationale Communiste dont il est le tombeau, est le plus terrible des actes d'accusation que l'on puisse porter contre un parti qui, alors qu'il se trouve dans des conditions bien plus favorables que la SFIC en 1923, se vantant de posséder dix fois plus d'adhérents et cinq millions d'électeurs, bénéficiant de la lutte que mène le FLN autant en Algérie qu'en Métropole, n'a su depuis plus de sept ans que l'on se bat en Algérie que proposer des campagnes de pétitions ou des délégations à Evian, quand il n'a pas voté « les pouvoirs spéciaux ».

Partager