Cuba : l'heure du choix02/05/19611961Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Cuba : l'heure du choix

 

En accordant leur bénédiction et leur soutien technique aux rebelles anti-castristes qui tentèrent récemment d'envahir Cuba, les USA ont confirmé, s'il en était encore besoin, qu'ils n'étaient pas décidés à tolérer de plein gré un régime comme celui de Castro sur le continent américain. La tentative de débarquement a certes échoué, mais le danger demeure.

Castro arrivera-t-il à résister ? Combien de temps ? Personne ne peut le dire. Quand il prit le Mexique avec un petit groupe de compagnons il pensait simplement engager le combat contre le régime dictatorial de Batista, contre la corruption du pouvoir, pour instituer un régime démocratique à Cuba. Arrivé au pouvoir, il put constater que les problèmes qui se posaient à lui étaient bien plus complexes. Une simple rénovation du régime, un remplacement des cadres de l'État par une autre équipe même plus honnête ne résolvait rien. Il lui fallait, s'il voulait aller jusqu'au bout de ses aspirations, engager nécessairement la lutte contre l'impérialisme yankee ; il lui fallait en outre liquider rapidement la lourde succession que lui laissent ses 60 ans de domination US. La tâche n'était pas facile, certains pensaient même que les problèmes posés à la révolution cubaine étaient insolubles, que celle-ci serait réduite soit à succomber héroïquement dans un combat inégal, soit à retomber sous la tutelle américaine.

La situation de Cuba était-elle sans issue ? Alors Cuba et tous les pays sous-développés étaient condamnés à subir l'exploitation des impérialistes jusqu'à ce que la révolution socialiste triomphe dans un pays avancé. L'existence d'un Parti Révolutionnaire serait alors de peu d'utilité dans ces pays, réduits qu'ils sont à attendre que l'émancipation de leur peuple vienne de l'extérieur.

Il n'est pas de situation sans issue, pas plus qu'il n'y a de recette magique qui donnerait la victoire.

Si les masses ont suivi Castro et ses « barbudos », ce n'est pas tellement qu'elles espéraient d'eux une amélioration matérielle de leur sort dans l'immédiat ; elle les suivirent parce que le mouvement du 26 juillet représentait leurs aspirations à la dignité. Condamnés à travailler comme des bêtes de somme pour enrichir les yankees et leurs garde-chiourme, les Batista et autres, ou à mourir au chômage, les Cubains prirent le fusil ou simplement le machete pour qu'enfin on leur reconnaisse le droit d'être des hommes. Mais cet avilissement, cette misère dans lesquelles ils étaient maintenus, ce n'était ni la cruauté de Batista ni la cruauté ou la corruption de son entourage qui en étaient les vrais responsables. Même si cela en accentuait le caractère odieux. La véritable cause, c'est le système d'exploitation en presque totalité aux mains de l'impérialisme américain. C'est lui qui tirait les ficelles, c'est lui qui entretenait Batista, c'est à lui qu'il fallut finalement se heurter. Le combat pour la dignité des masses cubaines passait inévitablement par l'abolition du capitalisme, passait par l'abolition de l'exploitation de l'homme par l'homme. Et ce combat, un parti révolutionnaire pouvait et devait en prendre la tête.

Plaçant dès le départ la lutte dans cette perspective, il aurait appelé les masses en armes à prendre leur sort entre leurs mains par la création de conseils ouvriers et paysans. Il aurait réclamé une réforme agraire intégrale, une socialisation totale de l'industrie contrôlée par les conseils ; il aurait prévu la planification de l'industrie existante, la reconversion de l'agriculture jusqu'alors vouée exclusivement à la production de canne à sucre, l'exploitation des terres abandonnées.

Et surtout il aurait montré que le combat engagé à Cuba était celui de tous les exploités du monde, et en premier lui premier lieu celui des péons d'Amérique latine subissant eux aussi d'exploitation féroce de l'impérialisme américain. Il aurait montré que, seul face aux États-Unis, Cuba n'avait que de faibles chances de triompher, qu'il fallait qu'elle prenne la tête du mouvement d'émancipation de ces peuples non seulement en servant d'exemple, mais surtout en les aidant matériellement. Comment un petit pays comme Cuba pourrait-il les aider ? En s'industrialisant, non pas tellement pour elle-même, mais surtout pour être capable d'aider l'Amérique du Sud dans son combat et dans son industrialisation. Car il est plus important pour la révolution cubaine, comme pour la révolution mondiale, d'être capable de prendre la tête de la révolution sud-américaine.

Cuba, coupée des USA, sous-développée, mettant à profit la démagogie soviétique, pourrait dire à l'URSS : « vous nous proposez de nous défendre et même d'envoyer des fusées. Nous vous en remercions. Le meilleur moyen de défendre Cuba contre l'impérialisme, ce ne sont pas les fusées, c'est la création rapide d'une industrie nous permettant et de résoudre nos problèmes et d'aider nos frères d'Amérique latine. À la place des fusées nous réclamons du matériel et des techniciens ».

Cette ainsi qu'un parti révolutionnaire cubain placerait l'URSS au pied du mur obligée qu'elle serait de satisfaire cette exigence des Cubains, ou sinon de dévoiler aux yeux des masses, en premier lieu des masses cubaines et sud-américaine, son rôle contre-révolutionnaire.

Castro, n'a pas cédé devant le chantage des impérialistes et leurs menaces. Empiriquement, au fur et à mesure que les problèmes se présentaient à lui, il a choisi jusqu'à présent de pousser la révolution un peu plus loin. Aujourd'hui il déclare Cuba première République démocratique socialiste du continent américain. Les nécessités de la lutte de classe l'ont inévitablement conduit là. Mais un baptême ne suffit pas. En confinant son action dans le seul cadre de Cuba, en n'ayant aucun programme à long terme, en n'appelant par les masses à prendre tout le pouvoir entre leurs mains, il néglige les seules armes qui pourraient lui permettre de triompher.

Échec mais pas mat.

« Laissez-moi proclamer clairement, en tant que votre président, que je suis déterminé à assurer la survie et le succès de notre système, quel que soit le coût et quel que soit le péril ». Ce fut la conclusion du discours prononcé par Kennedy à la suite de l'échec du débarquement anti-castriste sur les côtes de Cuba.

Équipés, armés et entraînés aux usa et par les usa, les contre-révolutionnaires cubains n'ont finalement occupé pour la plupart, que les prisons, et quelques-uns, les cimetières. et chacun a ressenti, les américains les tout premiers que l'impérialisme venait de subir une défaite.

Car Cuba est devenue pour tous les peuples exploités par l'impérialisme et en premier lieu pour tous les peuples d'Amérique latine, chasse gardée de l'impérialisme US, le symbole de la lutte de libération économique et politique. Jusqu'ici le régime de Castro avait su résister à la lutte menée sur le seul plan économique et politique par les USA mais chacun pouvait craindre à bon droit, que devant la formidable puissance des USA le peuple cubain ne puisse résister sur le terrain militaire.

Certes, le délégué américain Stevenson pouvait avec quelque raison expliquer devant l'ONU que si les USA étaient intervenus directement et non par l'intermédiaire de Cubains exilés, les choses ne se seraient pas déroulées de la même manière. Mais, l'important est justement que les USA n'ont pas pu, ou pas osé, jusqu'ici, intervenir directement. Les raisons en sont plus ou moins évidentes. Tout d'abord l'impérialisme tient et a toujours tenu, autant que faire se peut à ne pas faire ouvertement figure d'agresseur. Ce n'est certes pas la première fois, depuis la Chine jusqu'au Guatemala en passant par le Mexique que pour rétablir une situation compromise, ou simplement qui menace de se compromettre, il équipe et appuie une force militaire recrutée dans le pays même, tout en multipliant par ailleurs les déclarations de non-ingérence dans la politique intérieure des peuples qu'ils exploitent. Ainsi Dean Rusk, secrétaire d'état américain, déclarait très sérieusement au plus fort de l'affaire : « il appartient au peuple cubain lui-même de décider ce qui se passera dans son pays ».

Les USA ont jusqu'ici pratiqué cette politique de « non-intervention » à Cuba parce que, sur le plan international, où les pays du tiers-monde prennent de d'importance, ils peuvent difficilement se permettre d'être les assassins officiels de la liberté, mais aussi parce que le peuple cubain, preuve en a été faite d'ailleurs, est susceptible d'opposer une résistance acharnée. Cette perspective de pacification et les difficultés qu'elle entraînerait, peuvent être autant sur le plan intérieur que sur le plan extérieur - (le faible crédit international auprès des masses des pays sous-développés des USA en serait certainement détruit et cela susciterait partout des dangereuses colères) - a certainement pesé sur la décision de ne pas intervenir directement. Pourtant, après l'échec des soldats de Cardona, le danger n'est pas moins grand pour l'impérialisme US de laisser faire. C'est ce qui explique les réactions officielles du gouvernement américain à la suite de l'échec contre-révolutionnaire à Cuba.

Il s'agissait de faire savoir à tous, et en particulier à toutes les Nations d'Amérique latine (car « une nation de la taille de Cuba est moins une menace pour la survivance des USA qu'elle ne constitue une base de subversion dirigée contre les autres pays libres des Amériques » ) que si les USA n'étaient pas intervenus en personne jusque là à Cuba, cela ne signifierait nullement qu'ils n'interviendraient pas dans l'avenir, à Cuba ou ailleurs : « s'il devait apparaître que la doctrine interaméricaine de non-ingérence ne fait que masquer ou excuser une politique de passivité, si les pays de cet hémisphère devaient manquer à leurs engagements à l'égard d'une pénétration communiste extérieure, je veux qu'il soit clairement compris que le gouvernement américain n'hésitera pas à faire face à ses obligations fondamentales qui sont d'assurer la sécurité de notre peuple ».

En clair, si les mouvements révolutionnaires s'étendaient, nous nous chargerions de rétablir l'ordre.

Bien entendu il s'agit d'abord d'un avertissement à tous les peuples ou leurs dirigeants tentés de suivre les traces de Castro - principalement les peuples d'Amérique latine. Cela ne signifie pas obligatoirement que les USA vont lancer une offensive ouverte contre Cuba, du moins dans l'immédiat. Et les dirigeants américains voudraient sans doute bien que les menaces suffisent.

Mais cela signifie que l'hypothèse de l'intervention directe est envisagée à Washington, est ouvertement affirmée. Si les menaces ne suffisent pas, il est possible que les impérialistes tentent d'étouffer ce développement par le fer et dans le sang, car tout mouvement révolutionnaire à l'heure actuelle met forcément en cause « la survie et le succès « du système impérialiste. Si les impérialistes veulent bien éviter autant que possible d'apparaître ouvertement comme des agresseurs et des brigands, ils ne sont certainement pas prêts à se laisser dépouiller et sans combattre. Le raidissement annoncé dans la politique extérieure américaine par Kennedy en est l'affirmation solennelle.

Ainsi aucun peuple ne peut espérer s'attaquer à l'impérialisme sans s'exposer à l'intervention armée de cet impérialisme à un moment ou à un autre.

Plus l'impérialisme, devant l'émancipation des peuples coloniaux ou semi-coloniaux, sent sa domination chanceler et plus il est prêt à tout pour ne pas périr. La coexistence pacifique avec l'impérialisme n'existe que dans l'esprit des dirigeants bureaucratisés, désireux de tromper les masses.

Seul le développement du mouvement révolutionnaire à l'échelle internationale et jusque dans les pays les impérialistes eux-mêmes peut mettre l'impérialisme hors d'état de nuire et permettre le libre développement de tous les peuples.

 

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