Charité bien ordonnée05/11/19631963Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Charité bien ordonnée

Dans toute démocratie bourgeoise, les seuls problèmes qui soient démocratiquement discutés et résolus au sein du Parlement sont ceux concernant les affaires propres de la classe dirigeante. C'est pourquoi il est bien dommage que les comptes-rendus des débats parlementaires auxquels seuls quelques rares journaux au tirage restreint consacrent une place notable, ne soient lus que par une infime minorité des électeurs, car c'est la seule occasion où l'on puisse parfois juger les hommes politiques rien que sur leurs propres paroles.

En effet, si les députés des partis de 1'opposition, qu'elle soit de droite ou de gauche, peuvent toujours tenir des propos destinés à séduire leur clientèle électorale, le gouvernement et ses représentants doivent, eux, rendre des comptes, justifier sans fards leur politique, non pas aux électeurs qu'ils sont sensés représenter, mais à la bourgeoisie dont ils font profession de défendre les intérêts. Et c'est un client qu'il n'est pas question de duper.

Et cela est vrai même dans un Parlement aussi croupion que celui de notre Ve République. Ce fut particulièrement visible le 28 octobre, lors du débat sur les crédits du secrétariat d'État aux affaires algériennes. Alors que l'opposition de droite au sein de l'Assemblée Nationale entonnait le refrain de l'égoïsme sacré, au nom du pays qui ne pouvait supporter des charges aussi lourdes, au nom de la Bretagne sous-développée et des routes non goudronnées (bien que les crédits demandés ne représentent que l'équivalent de ce que coûtait un mois et demi de cette guerre d'Algérie dont ils ont été les supporters acharnés pendant huit ans), alors que l'opposition de gauche, oubliant la part de responsabilité qu'elle avait eue dans la répression en Algérie, faisait étalage de beaux sentiments et de générosité, le gouvernement, lui, était bien obligé de parler chiffres.

Pour « Le Monde » du 30 octobre, « seize mois après la proclamation de l'indépendance... le sens, la nature et l'objet de la coopération franco-algérienne apparaissent profondément modifiés ». Faut-il donc croire que l'« aide » à l'Algérie fut un jour la conséquence de « mobiles nobles » et de « raisons sentimentales » ? Monsieur de Broglie, lui, est plus réaliste : « La France, affirme-t-il, n'a cessé d'orienter son aide en fonction de ses intérêts propres ». Substituez au mot « France » sous lequel il se cache, le mot « bourgeoisie », et vous aurez l'explication fondamentale de la politique de « coopération ». Et le débat devait apporter de nombreuses précisions à ce sujet.

« Durant le premier semestre de 1963, déclarait M. Quena - UNR - l'Algérie a été le quatrième client de la France. La balance commerciale entre elle et notre pays nous est favorable. Les transports entre les deux pays s'effectuent sous pavillon français ».

Il y a bien sûr le pétrole : « Nous nous procurons au Sahara, c'est-à-dire dans la zone franc, 2 milliards de pétrole » disait le même orateur, et le député « indépendant » Bettencourt, bien que critiquant en partie la politique du gouvernement reconnaissait : « En revanche, nous comprenons le raisonnement du gouvernement, à propos du pétrole saharien, qui nous a permis, cette année, d'économiser 280 millions de dollars ».

Le pétrole n'est pas seul en cause. « Nous n'accepterons pas, disait encore le même de Broglie, que l'Algérie se dérobe à ses engagements quant à la commercialisation des produits des terres nationalisées, produits qui représentent 40 milliards d'anciens francs pour les vins, et 20 milliards pour les agrumes et les céréales. »

Ces quelques déclarations et chiffres suffiraient déjà à détruire le mythe d'une France grande, belle et généreuse aidant par pure bonté d'âme la pauvre Algérie à se développer. Dans les rapports franco-algériens, ce n'est pas l'Algérie, mais la France, qui est la bénéficiaire.

Mais il est encore plus intéressant de voir de quelles manières sont utilisés les crédits votés. L' « aide » à l'Algérie se présente sous trois aspects différents. Il y a d'une part la coopération technique culturelle indispensable pour que continue à tourner sans à-coups la machine économique algérienne, et pour que les bénéfices continuent à rentrer dans les portefeuilles les bourgeois français.

II y a d'autre part l'« aide » financière proprement dite, laquelle se divise en deux parties distinctes.

« Sur le milliard inscrit au budget une part ira... à l'aide liée, c'est-à-dire liée au financement de projets approuvés par nous et dont l'exécution est réservée par priorité à des entreprises françaises », selon les paroles de Pompidou.

Il y a dans cette phrase deux choses remarquables. La première, c'est l'approbation donnée par le gouvernement français à ces projets, c'est-à-dire, en fait, le droit de contrôle. qu'il s'arroge sur les investissements de l'État algérien, sur l'orientation que celui-ci peut vouloir donner à sa propre économie. Il y a ensuite la priorité donnée à des entreprises françaises, ce qui revient à subventionner les trusts français par l'intermédiaire du gouvernement algérien.

Si « l'aide liée » est un moyen de contrôle de la politique économique de l'Algérie « l'aide libre », elle, est un véritable moyen de chantage.

« Quant à l'aide dite libre, disait encore Pompidou, nous n'avons pas l'intention de la réduire par principe. Mais nous la verserons par tranches échelonnées, et chaque versement sera subordonné au respect des engagements antérieurs de la République algérienne. »

Ainsi, si l'Algérie depuis seize mois a accédé à l'indépendance politique, ces débats montrent bien toute la relativité, la précocité d'une telle indépendance. Seule, sans l'aide de capitaux extérieurs l'Algérie, dont toutes les richesses produites durant plus d'un siècle de colonisation ont été volées, ne peut pas se développer, et « l'aide » financière que lui apporte l'impérialisme ne peut lui permettre de le faire que dans mesure où cela ne gêne pas celui-ci, où ce n'est pas une entrave à ses profits.

Une aide réellement désintéressée, seul un État ouvrier sera capable de l'accorder. C'est pourquoi, pour les pays sous-développés comme dans les pays capitalistes avancés, la seule voie de salut, le seul objectif juste et réaliste, c'est non pas la lutte contre un impérialiste, mais la guerre totale contre l'Impérialisme par la révolution prolétarienne.

 

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