Ceux de la Stalinallee28/06/19611961Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Ceux de la Stalinallee

Il y a huit ans, le 17 juin 1953, l'envoyé spécial du « Monde » à Berlin-Est écrivait qu'un « vent de folie » venait subitement de se lever sur la ville. A la stupéfaction du monde entier, on apprenait que des troubles graves se produisaient à Berlin-Est et menaçaient de s'étendre à toute la zone orientale. Pour la première fois depuis le problème titiste, quelque chose se produisait dans le glacis qui perturbait les habituels progrès du socialisme.

Les maçons de la Stalinallee, « la première avenue socialiste d'Allemagne », avaient arrêté le travail, le mardi 16 juin dans l'après-midi, pour protester contre le relèvement de 10 % des normes de travail. Ils manifestèrent dans les rues de Berlin, en direction de la Leipzigerstrasse où siégeait le Gouvernement ; les Jeunesses Communistes essayèrent tout de suite d'intervenir, de s'interposer afin que les manifestants ne s'emparent pas du siège du gouvernement comme ils le voulaient ; ces derniers recherchaient aussi les leaders Grötewohl et Ulbricht, principaux responsables selon eux de la mesure de relèvement des normes et plus généralement de leurs mauvaises conditions de vie et de travail.

Cependant, les premières heures se passèrent dans l'expectative. Le Gouvernement de la République Démocratique Allemande, les cadres du Parti, tous étaient débordés et nul ne s'attendait à ce que le mouvement des maçons prenne l'ampleur d'une révolte. Grötewohl et Ulbricht demeuraient introuvables. La police populaire - les Vopos - était indécise : une partie se joignit aux ouvriers et aux jeunes qui manifestaient. Cependant les blindés russes circulaient, provoquant des explosions de haine dans la foule.

Dès le mercredi, le Gouvernement institue l'état de siège et la loi martiale. Il avait préalablement tenté de faire accepter par les ouvriers quelques compromis, mais, ceux-ci avaient un programme précis auquel ils tenaient :

- Plus d'augmentation des normes.

- Baisse de 40 % des prix du magasin national.

Les travailleurs du métro et des chemins de fer s'étaient joints à eux et un appel à la grève générale était lancé. Bientôt d'ailleurs plusieurs autres villes se mirent à bouger aussi : Chemnitz, Erfurt, Magdebourg ...

Ainsi, le mouvement s'étendait, et menaçait de prendre l'allure d'une révolte ouvrière générale. Alors les blindés russes intervinrent, après les premiers coups de feu tirés par les Vopos, souvent hésitants. On étendit la loi martiale à Potsdam et les troupes d'occupation encerclèrent les grandes villes.

Le jeudi 18 juin, l'« ordre » et le « calme » étaient, selon Radio Berlin-Est, rétablis, bien que la grève se poursuivît. Ensuite, les informations se firent de plus firent plus rares...

Ainsi, la révolte de Berlin-Est était étouffée et Adenauer qui, aux premières nouvelles de la grève, avait déclaré à la presse « ça fait toujours plaisir » pouvait désormais verser des pleurs sur les victimes, lui dont toute l'aide s'était limitée à une succession de conseils et de réunions « extraordinaires ». La mort récente de Staline, avait soulevé parmi les masses de grandes espérances. La révolte de Berlin-Est qui fut avant tout une révolte ouvrière, était la première de ces insurrections qui allaient ébranler les pays du glacis dans les années suivantes et se terminer tragiquement par la révolution hongroise d'octobre 1956.

Le vieux dictateur était mort, on changeait d'équipe au Kremlin, les ouvriers pouvaient espérer voir leurs conditions s'améliorer, et ce fut pourtant ce 29 mai 1953 que choisit le gouvernement de la RDA pour promulguer l'ordonnance sur le relèvement des normes, ordonnance qui provoqua la révolte des maçons lorsqu'il s'agit de la faire appliquer. « Erreur d'optique », dit pudiquement la presse occidentale. C'est ce qui explique la relative bienveillance du gouvernement dans les premières heures de l'insurrection.

La correspondante de « l'Humanité » écrivait : « Le Bureau Politique condamne l'application bureaucratique des décisions sur les mesures de production ». Il demande que cette application se fasse avec l'accord des travailleurs, et non pas contre eux.

Ainsi le gouvernement de la RDA essayait de faire machine arrière, de rattraper son erreur. Mais il était trop tard, car le mécontentement de la classe ouvrière était trop profond, avait été trop longtemps contenu, pour se résorber aussi vite sur quelques concessions de pure forme. Il ne se limitait pas, en réalité, aux maçons de la Stalinallee, et bien que Radio Berlin-Est et « l'Humanité » aient répété avec acharnement que seuls des provocateurs à la solde de l'impérialisme étaient à l'origine du mouvement, personne ne fut dupe : les ouvriers se révoltaient bel et bien contre ce qu'on prétendait être leur gouvernement, et cela jetait un jour particulièrement clair sur la nature de cet État.

Beaucoup dirent alors : c'est un simple décalage dans le temps, la R.D.A. ne s'étant pas encore déstalinisée et Ulbricht, parfait stalinien, n'ayant pas eu le temps encore d'être remplacé par un « libéral ». Mais le fait que ce soient les chars russes (déstalinisés ?) qui soient intervenus et que ce soient eux qui aient finalement emporté la décision, ne permettait plus de conserver la moindre illusion sur le libéralisme du régime soviétique après Staline, si l'on en avait eu.

Ce sont les ouvriers qui ont déclenché la révolte de juin 1953 à Berlin-Est et cela donne la mesure du caractère « prolétarien » de la dictature imposée par la bureaucratie soviétique en Allemagne de l'Est, via le trio Grötewohl - Pieck - Ulbricht, le G.P.U. comme le qualifiaient eux-mêmes les ouvriers berlinois.

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