Interventions des groupes invités10/12/20232023Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/2023/12/236.jpg.484x700_q85_box-0%2C0%2C1383%2C2000_crop_detail.jpg

Interventions des groupes invités

Nous publions ci-dessous de larges extraits des interventions d’organisations sœurs de Lutte ouvrière, regroupées au sein de l’Union communiste internationaliste. Nos lecteurs peuvent retrouver leurs organes de presse respectifs sur Internet (voir en quatrième de couverture, ou à partir du site de l’Union communiste internationaliste https://www.union-communiste.org/fr).

Combat ouvrier (Guadeloupe et Martinique)

Il n’y a eu cette année ni révolte sociale, ni mouvement social ou grèves offensives dans les deux îles de Guadeloupe et Martinique. Il y a bien eu des tempêtes mais pas sociales.

Situation sociale

Il existe parmi les travailleurs et la population un mécontentement diffus qui ne s’exprime ni fortement ni collectivement pour l’instant. On peut lister quatre problèmes principaux à l’origine de ce mécontentement :

1) l’eau courante, principalement en Guadeloupe,

2) la hausse des prix,

3) le chlordécone et le non-lieu prononcé dans cette affaire par le tribunal,

4) les dégâts à la suite des tempêtes.

Le problème de l’eau

Il y a peu, seules 9 communes sur 32 bénéficiaient – officiellement – d’eau potable. Mais quand l’ARS prit la décision d’avertir la population, l’eau souillée avait déjà été bue par beaucoup de monde. On trouve dans cette eau du chlordécone, des matières fécales, du cuivre, des traces de médicaments divers, pour ne citer que ces éléments. Des camarades qui travaillent sur le réseau nous disent que, même quand l’eau est déclarée potable par les officiels, il ne faut pas la boire.

De plus en plus de gens préfèrent ne pas boire l’eau du robinet et achètent de l’eau minérale dans de grandes bouteilles en plastique. Alors ceux-là, si j’ose dire, n’ingèrent que du plastique. Disons que c’est un moindre mal. Mais cela coûte plus cher.

Sur cette question, le nouveau ministre des Outre-mer, Philippe Vigier, a perdu l’occasion de se taire. Invité sur la chaîne officielle Guadeloupe première, il a répondu à la journaliste : « Vous n’avez qu’à chauffer l’eau à 70 °C et ensuite vous la mettez au frigo. » Lui qui se dit biologiste aurait au moins pu dire de chauffer l’eau à 100 °C, car à cette température on tue beaucoup plus de bactéries. Mais est-ce qu’on tue les molécules de chlordécone ou de cuivre ? Non. La molécule de chlordécone ne disparaît qu’à plus de 600 °C.

Cette réponse du ministre sur un ton pédant et léger a fortement déplu à la population. Visiblement, il n’avait pas pris la mesure du problème et pensait s’en tirer par une pirouette, face à une population qui attendait des solutions fortes sur ce problème de l’eau. Résultat : une première visite de Vigier ratée en Guadeloupe.

Le problème, c’est que l’ensemble du réseau d’adduction d’eau est pourri. Il y a de nombreuses fuites. La grande majorité des stations d’épuration ne sont pas aux normes et beaucoup sont dans un état de délabrement avancé. Il faudrait refaire entièrement le réseau. Mais, pour ces travaux, il faudrait deux milliards. Alors on fait du provisoire depuis des années en mettant des rustines sur des tuyaux pourris.

C’est une sorte de tonneau des Danaïdes – ces princesses condamnées à remplir un tonneau percé dans la légende grecque. C’est exactement ce qui se fait dans le traitement du réseau d’adduction d’eau.

La hausse des prix

Elle est de 4 % en moyenne sur 2023 et toujours de 28 à 33 % plus élevée que sur l’ensemble de la France. Jusqu’à 40 % plus élevée pour l’alimentation de base.

Le gouvernement fait mine de s’attaquer à la vie chère aux Antilles. Il a d’abord mis l’accent sur le manque de concurrence dans la grande distribution comme cause de la vie chère. Il a déclaré qu’il serait vigilant sur les abus de position dominante dans un certain nombre de secteurs commerciaux. Mais il ne peut rien contre ce fait, car il se heurterait de front au lobby béké de la grande distribution, des concessions automobiles et pièces détachées, notamment. Il se heurterait aux groupes GBH (Bernard Hayot) et SAFO (famille Despointes), pour ne citer que ceux-là.

Alors le gouvernement propose de supprimer ou réformer la taxe d’octroi de mer, qui serait responsable de la cherté de la vie aux Antilles. C’est devenu la tarte à la crème que l’État nous ressert régulièrement depuis quelque temps. Qu’est-ce que l’octroi de mer ? C’est une très ancienne taxe coloniale qui date de 1670, inventée par Colbert, le Premier ministre de Louis XIV. Elle avait été mise en place sur toutes les importations pour protéger la production intérieure des colonies, donc celle des esclavagistes. Et une partie était reversée aux communes pour leur fonctionnement. Au départ, c’était pour permettre à la colonie d’avoir des ressources publiques. Il est vrai que l’octroi de mer est un impôt indirect, payé par la population. Il constitue le quart et parfois jusqu’à la moitié des ressources des collectivités locales. Le gouvernement envisage de supprimer ou réviser la taxe d’octroi de mer pour réduire la cherté de la vie aux Antilles. Il fait ainsi de l’octroi de mer le grand responsable de la vie chère aux Antilles.

Mais en réalité ce sont les grosses entreprises qui augmentent fortement leurs marges bénéficiaires entre l’Hexagone et les Antilles. C’est surtout de là que vient la cherté de la vie. Les capitalistes prétextent l’éloignement, les taxes, pour en réalité augmenter leurs profits. Mais l’État ne peut rien contre eux. Le véritable décideur n’est pas l’État mais les capitalistes. Cette discussion autour de l’octroi de mer n’est que de l’enfumage. Pour permettre à la population, aux travailleurs, de faire face à l’augmentation des prix, il faut augmenter les salaires, les pensions et les minima sociaux. Il faut prendre sur les immenses profits des grosses entreprises.

Les cyclones et leur incidence sur la population

Les cyclones, transformés en tempêtes tropicales, ont causé des dégâts sur les ponts et les routes et aussi dans les habitations. Vous connaissez maintenant dans l’Hexagone ce phénomène presque autant que nous. En une année, nous avons eu droit à trois tempêtes tropicales : Fiona, dont nous avions parlé l’an dernier, Philippe et Tammy.

Le problème du chlordécone

Les travailleurs de la banane ont exprimé de nouveau leur mécontentement car, si les bananes elles-mêmes, en tant que produit hors sol, ne sont pas contaminées au chlordécone, l’eau avec laquelle les bananes sont nettoyées est contaminée par le chlordécone. Les travailleurs sont donc contaminés par cette eau. Nous avons perdu cette année plusieurs sympathisants de la banane par cancer, dont Marie-Anne Georges, une candidate de Combat ouvrier et sympathisante de CO depuis de nombreuses années. Citer son nom à cette tribune est une manière de lui rendre un hommage militant.

Des manifestations ont eu lieu à Fort-de-France après le non-lieu rendu en janvier dernier. Depuis les rejets de plaintes par le tribunal, d’autres plaintes sont en cours. Les dossiers pour maladie professionnelle existent mais ils sont longs et bureaucratiques, donc peu de travailleurs parviennent à être ainsi indemnisés.

Si les travailleurs de la banane ne se sont pas mobilisés cette année, les patrons de la banane, eux, se sont fait entendre. Ils ont manifesté à Fort-de-France et se sont fait entendre aussi en Guadeloupe. Les gros et riches planteurs ont entraîné les petits et moyens planteurs derrière eux pour réclamer plus d’aides et subventions. Ils prétendent qu’avec l’interdiction du chlordécone et plus généralement la diminution de l’utilisation des pesticides, ils dépensent plus d’argent pour lutter contre la cercosporiose noire, due au champignon du bananier, qui avait requis l’utilisation du chlordécone. Bref, ils pleurnichent, et l’État sèche leurs larmes comme toujours.

Chaque année ils perçoivent, sur les deux îles, 129 millions de subventions européennes. Et ils sont toujours mécontents lorsque les tempêtes ne couchent pas les bananiers, car d’autres subventions leur échappent.

Sur le plan politique

Une volonté se dessine de la part des dirigeants locaux d’aller vers plus d’autonomie, voire vers un statut officiel d’autonomie. Elle est plus forte chez les notables de Martinique que chez les notables de Guadeloupe pour l’instant. Serge Letchimy, président de la collectivité, ne perd pas une occasion de faire savoir au gouvernement qu’il veut plus d’autonomie, voire l’autonomie. Les notables des assemblées locales ont l’œil sur ce qu’il va se passer en Corse et en Nouvelle-Calédonie en termes d’autonomie, promise par Macron, et de modification de la Constitution, dernièrement.

Un des objectifs de Letchimy et des notables majoritaires à la Collectivité territoriale de Martinique (CTM) serait d’obtenir par exemple la liberté de lever l’impôt ou une partie de celui-ci. Actuellement, Letchimy cherche à rassembler autour d’un projet le plus possible d’organisations, de partis et de syndicats pour un projet d’autonomie. On ne voit pas dans tout cela ce qui pourrait bien être à l’avantage des travailleurs de Martinique. Il s’agit d’une opération de notables en lien avec le gouvernement. Ils tentent encore de créer des illusions parmi les travailleurs et la population. Une illusion d’avoir une vie meilleure lorsqu’eux, les notables locaux, auront un peu plus de pouvoir – disons plutôt ce que Paris voudra bien leur accorder.

En attendant, le président de la CTM ne perd pas une occasion de soigner une image de bon patriote martiniquais. Il a organisé à la CTM un vote pour que le créole devienne langue officielle de la Martinique à côté du français. Cette proposition a été votée à l’unanimité moins une voix1. Il a fait lever solennellement le drapeau martiniquais et adopter un hymne de la Martinique. Ces petits gestes tentent de faire vibrer la fibre régionaliste ou nationaliste d’une partie de la population. Il soigne aussi son électorat de Fort-de-France et des quartiers pauvres de la ville, dont il est lui-même issu.

Nous devrons intervenir et écrire à nouveau sur cette question-là. Nous ne sommes ni indépendantistes, ni autonomistes. Nous sommes d’abord communistes révolutionnaires. Et c’est en tant que tels que nous abordons cette question. Bien sûr, nous ne ferons pas de l’autonomie la panacée à tous les maux des travailleurs et des masses pauvres. Mais nous ne sommes pas non plus anti-­autonomistes, dans un pays dont l’histoire fut principalement coloniale. Nous devons remettre en cause le capitalisme et appeler à son renversement. Donc appeler les travailleurs à créer leur propre force politique, leur propre parti, contre les capitalistes et leurs serviteurs politiques, c’est-à-dire tous les notables. Et cela aussi bien sous le statut actuel que sous une future autonomie.

Nous n’allons pas faire campagne pour telle ou telle forme de pouvoir des notables et des capitalistes. Tant que ce sont ces derniers, les capitalistes, qui détiennent toujours le vrai pouvoir en demeurant les maîtres possédants de l’économie, il faudra les combattre. Car l’autonomie sans renversement du capitalisme par les travailleurs ne sera qu’une forme de pouvoir de la bourgeoisie, que ce soit en Martinique, en Guadeloupe, dans d’autres Outre-mer ou en Corse. Nous ne contribuerons pas à semer de nouvelles illusions dans la tête des travailleurs avec l’autonomie.

Alors, oui à l’autonomie des travailleurs et des pauvres, non à l’autonomie des notables et des riches !

The Spark (États-Unis)

La guerre au Moyen-Orient

Il s’agit d’un sujet qui préoccupe beaucoup de gens, en tout cas dans les villes où nous militons. C’est là une grande différence avec ce que nous avons vécu lorsque la guerre en Ukraine a éclaté. Nous avons écrit sur cette guerre dans notre journal et dans les éditoriaux de nos bulletins mais, même dans notre milieu proche, c’était nous qui devions amener le sujet de l’Ukraine pour avoir un début de discussion. Bien sûr, la gauche s’est saisie de ce sujet à l’époque, avec des slogans similaires à ceux utilisés en France, mettant en avant le droit à l’autodétermination pour l’Ukraine, mais laissant de côté le rôle joué par notre impérialisme.

La guerre au Moyen-Orient touche bien plus de gens. Et les réactions que nous avons entendues étaient souvent très partisanes. Malgré tout, même lors de nos ventes publiques, les gens, nombreux à s’arrêter, étaient souvent ouverts à la discussion. Certains, dans notre milieu, voulaient discuter des raisons pour lesquelles le Moyen-Orient est divisé comme il l’est aujourd’hui et de l’origine de l’État d’Israël. C’est là en effet une histoire qui n’est pas évoquée dans les reportages. Nous avons commencé à entendre des travailleurs noirs qui s’identifient avec l’oppression permanente à laquelle est soumise la population de Gaza. Mais, au-delà, il y eut une réaction très forte lorsque la télé montra les déplacements de Palestiniens du nord au sud de la bande de Gaza, les destructions à grande échelle d’hôpitaux et d’immeubles d’habitation dans Gaza.

Pour ce qui est de l’extrême gauche, le principal slogan du SWP était de « défendre le droit d’Israël à exister », appelant de fait et parfois même ouvertement à ce que les États-Unis accroissent leur soutien. La plupart des autres formations des milieux gauchistes ont fait peu de différence entre les Palestiniens de Gaza et le Hamas, certains ont même salué l’attaque du Hamas comme une victoire du peuple palestinien.

De notre côté, la guerre a permis de discuter du rôle de l’impérialisme américain au Moyen-Orient, y compris en Israël. Et, pour des raisons que nous ignorons, cette guerre semble avoir ouvert les yeux sur les réalités de la guerre à davantage de personnes autour de nous, dont certaines se disaient horrifiées par la guerre et voulaient faire quelque chose.

La politique intérieure

La grande affaire du moment est la prochaine élection présidentielle, dans près d’un an. Mais, à moins d’un imprévu, on sait déjà qui seront les candidats des deux grands partis, à savoir Biden et Trump. Trump se sert des quatre procès qu’il a sur le dos pour contre-attaquer, il intensifie son discours démagogique contre le gouvernement de Biden. Pour l’instant, cette stratégie semble fonctionner, elle lui permet de multiplier ses soutiens, du moins selon les sondages. Ceux-ci, pour autant qu’ils aient quelque valeur à près d’un an du scrutin, indiquent que les démocrates ont du souci à se faire. Si les élections avaient lieu aujourd’hui, Biden perdrait contre Trump, avec un écart notable. Dans le Parti démocrate, ça râle et on met ouvertement en cause l’âge de Biden. Mais le grand problème de Biden et des démocrates, c’est la situation économique.

L’économie se porte bien… pour les riches. Pour les autres, c’est l’inverse. Le taux d’activité des hommes en âge de travailler est si bas qu’il rappelle ceux enregistrés à la suite de la crise de 1929. Les femmes sont plus nombreuses à travailler, mais pour les mêmes raisons qui incitent les patrons, y compris des plus grosses entreprises, à embaucher de plus en plus d’enfants. Ils peuvent payer les femmes et les enfants moins que les hommes, pour accomplir le même travail. Parmi ceux qui travaillent dans l’industrie, hommes et femmes confondus, plus de 10 % ont un contrat temporaire. Et 20 % de l’ensemble des salariés sont soit en intérim, soit à temps partiel.

Biden prétend que l’inflation ralentit. Peut-être, mais pas sur les produits que les travailleurs achètent. On achète moins de choses aujourd’hui avec le salaire d’une semaine que dans les années 1970. Mais ce qui fait plonger le revenu des travailleurs, c’est la disparition de ce qu’on appelle les « prestations sociales », c’est-à-dire de l’assurance retraite et de l’assurance maladie. Ces prestations sociales font partie du système de sécurité sociale dans les autres pays industrialisés. Aux États-Unis, elles étaient fournies jusqu’ici par les employeurs, et sont en train de disparaître aujourd’hui, sauf pour les hauts cadres et les professions libérales. L’espérance de vie des travailleurs est en recul, et ce depuis 2010. Ce n’est pas un effet statistique. Les États-Unis ont beau être le pays le plus riche du monde, comme leurs dirigeants s’en vantent eux-mêmes, ils présentent les inégalités les plus élevées, et de loin, parmi les pays industrialisés.

Biden est donc considéré comme responsable de la dégradation de la situation de la plupart des travailleurs, même s’il s’est montré sur un piquet de grève organisé par le syndicat de l’automobile. Et, jusqu’à présent, le crédit de Biden est aussi mauvais pour ce qui concerne la question de la guerre, spécialement depuis le début de la guerre au Moyen-Orient. Les gens voient les destructions de masse perpétrées par Israël dans Gaza au journal télévisé du soir, et ils entendent Biden promettre encore plus d’aides financières et d’armes à Israël.

Parmi les travailleurs, le soutien aux démocrates continue à s’effondrer, même parmi les Noirs, qui ont pourtant été leur base électorale la plus solide et fidèle. Un sondage récent a fait apparaître que 22 % des électeurs noirs sont prêts à voter Trump, et qu’ils sont même plus de 30 % chez les hommes noirs… bien que Trump soit ouvertement raciste.

Le seul sujet qui permette à Biden de marquer des points est le droit à l’avortement. En 2023, un nouveau référendum a été organisé sur ce sujet dans l’Ohio, où les républicains sont majoritaires, à l’initiative d’organisations de défense des droits des femmes et du droit à l’avortement. Il portait sur l’adoption d’un amendement à la Constitution de l’État afin de protéger le droit à l’avortement, a été fortement soutenu par des associations médicales, et couronné de succès, puisque 57 % des électeurs l’ont approuvé. C’est la septième fois que le sujet est soumis à référendum depuis que la Cour suprême a jugé qu’il devait être du ressort de chaque État. Et la septième fois que la population consultée déclare qu’il faut laisser la femme concernée libre de décider. Bien sûr, un amendement à une Constitution ne garantit rien. Mais le résultat de ces scrutins et l’activité militante qui a permis de l’obtenir montrent que la population est profondément attachée à la défense de ce droit.

La grève de l’automobile

Le sujet qui nous a occupés une bonne partie de cette année a été la possibilité d’organiser une grève dans l’automobile, puis la grève elle-même. Depuis le changement en mars à la tête de l’UAW, le syndicat de l’automobile, les nouveaux dirigeants employaient un discours quelque peu radical, qui semblait promettre une grève. En tout état de cause, cette grève nous semble montrer clairement le rôle que les travailleurs de l’automobile jouent dans l’économie et la puissance que ce rôle leur donne.

La grève a été suivie de près par d’autres bataillons de la classe ouvrière. Le fait que les travailleurs de l’automobile ont obtenu satisfaction sur certaines de leurs revendications, même si les médias ont largement exagéré cette victoire, a fait apparaître clairement que, si l’on veut améliorer sa situation, il faut être prêt à se mettre en grève. La grève dans l’automobile n’a pas été la seule cette année, mais de loin la plus importante. Elle a préoccupé à la fois les médias, les commentateurs économiques et le monde politique. Ceux que l’on appelle les trois grands, c’est-à-dire Ford, General Motors et Stellantis, ne dominent plus l’industrie automobile comme dans les années 1970, époque où ils regroupaient 60 % des travailleurs du secteur, et où 80 % étaient syndiqués à l’UAW. Aujourd’hui, ces trois constructeurs n’emploient plus que 13 % des travailleurs du secteur et l’UAW n’en regroupe que 20 %. L’industrie automobile a beau être fragmentée, avec une syndicalisation faible, elle reste un secteur hautement interdépendant, et c’est cela qui a inquiété les médias.

Cette petite concentration de pouvoir syndical allait-elle mettre en branle tout le secteur, et à sa suite le reste de l’économie ? Une grève organisée par l’UAW allait-elle attirer à elle des non-syndiqués ? Mais la nouvelle direction de l’UAW a montré très clairement, par ses actes, si ce n’est par ses paroles, qu’elle respectait les règles du jeu. La « grève » a duré six semaines. La plupart du temps, les travailleurs en ont été les spectateurs. Il n’y a eu des piquets de grève que dans 9 usines sur les 86 principaux sites des trois grands constructeurs. S’y ajoutent plusieurs dizaines de sites très petits sans activité productive. Mais la production du secteur n’a guère été touchée par la grève. Les médias ont parlé d’une « nouvelle manière de faire grève ». Shawn Fain, le nouveau dirigeant de l’UAW, expliquait : « Nous allons créer de la confusion pour les entreprises. Elles vont se demander en permanence ce qui va arriver ensuite, et cela va booster le pouvoir de nos négociateurs. » Autrement dit, c’était une grève comme celles que nous avons connues jusqu’à maintenant.

Les dirigeants syndicaux ont souligné que son succès reposait sur leur intelligence, et non pas sur l’action des travailleurs. Et il était certes impossible pour les travailleurs d’avoir le moindre contrôle sur les actions menées dans un tel cadre. La grève et sa marche ont été décidées par les dirigeants de l’UAW, sans aucune participation des travailleurs. Cette « nouvelle manière de faire grève » était simplement un nouvel habillage de la manière habituelle d’organiser une grève par en haut, sans consulter la base. Mais cette grève a fait apparaître une division nouvelle et plus nette entre grévistes et non-grévistes dans la même entreprise. Elle a été très strictement encadrée dès le début. La nouvelle direction syndicale a même annulé la seule réunion qui existait jusqu’alors, c’est-à-dire un passage des travailleurs grévistes dans les locaux du syndicat pour s’enregistrer comme grévistes la première semaine, puis chaque semaine pour recevoir leurs indemnités de grève.

C’était une chose purement technique, qui s’étalait sur plusieurs heures, mais qui permettait au moins aux travailleurs qui le souhaitaient de se retrouver d’une manière naturelle. Au lieu de cela, les nouveaux bureaucrates syndicaux ont tout réduit à des contacts par Internet. Chaque gréviste recevait les informations sur la grève par courriel, et son indemnité de grève était virée directement sur son compte bancaire.

Une fois par semaine, Fain, le dirigeant de l’UAW, annonçait sur Facebook de manière grandiloquente les sites en grève, s’il y en avait. C’était un peu comme regarder le tirage du Loto. Les travailleurs pouvaient écrire leurs commentaires sur la page Facebook, mais il n’y avait pas de discussion parmi eux et, après la première semaine, les dirigeants syndicaux ont cessé de répondre aux commentaires et questions des travailleurs. L’activité était limitée à six heures de piquet par semaine pour chaque gréviste – et seulement sur les sites effectivement en grève. Cette manière d’organiser la grève conduisait à des regroupements minimes dans des usines gigantesques, et donnait peu de chances aux grévistes de se rencontrer.

Il y a eu un rassemblement à Detroit, d’environ un millier de personnes, mais sans aucun effort pour faire participer davantage de travailleurs. C’était un simple coup de pub organisé en face du Salon de l’auto. Outre Fain, Bernie Sanders et d’autres responsables du Parti démocrate se sont hissés sur la scène. Un autre rassemblement eut lieu à Chicago, avec encore plus d’intervenants du Parti démocrate ainsi que les responsables du syndicat des enseignants de Chicago. Un autre jour, Biden a rejoint un piquet de grève… juste le temps de faire un discours.

Lorsque les accords sur les contrats furent finalement annoncés, les commentateurs étaient proches de l’extase : « Historique ! » ; « Personne ne pensait que Fain pourrait gagner ! » ; etc. Avant même que les travailleurs aient la possibilité de voter sur ces contrats, ils ont été renvoyés au boulot. Cela soulignait encore plus, si besoin était, que leur approbation était considérée comme une simple formalité. Mais les votes contre les accords ont commencé à affluer de quelques usines importantes. Fain et d’autres bureaucrates de l’UAW ont alors organisé une discussion spéciale sur Facebook pour expliquer qu’on ne peut pas obtenir tout ce qu’on veut… comme si les travailleurs n’en étaient pas conscients ! Un vice-président du syndicat a même laissé entendre que les travailleurs ne comprenaient pas comment les négociations se déroulent. Certes, les travailleurs n’ont pas eu le dernier mot. Mais ceux qui ont dit non aux accords ont terni, un peu, la petite gloire bien artificiellement attribuée à Fain dans les médias. Chez Ford et Stellantis, le non a regroupé plus de 30 % des travailleurs. Mais chez GM, où les travailleurs avaient fait l’expérience d’une grève dans tout le groupe quatre ans plus tôt, le non a failli l’emporter chez ceux travaillant en production. Chose intéressante, le non a obtenu de bons scores notamment sur les sites qui avaient été en grève.

Bien sûr, nous avons essayé, durant les six semaines de la grève, de discuter avec les travailleurs de ce qui se passait et de ce que les gens voulaient. Chez Ford, un camarade a organisé des réunions qui ont regroupé quelques dizaines de travailleurs pour discuter de la manière de préparer leurs camarades de travail à une grève. Pendant la grève, nous avons organisé quelques personnes sur les sites où nous sommes présents, qui n’étaient pas en grève, pour aller vers les piquets de grève d’autres sites. Les travailleurs qui y sont allés et ceux qui tenaient les piquets ont apprécié de se retrouver ainsi. Nous avons noué quelques nouveaux contacts, et peut-être certains camarades de travail et certains de nos militants comprennent-ils maintenant un peu mieux ce qu’est effectivement la bureaucratie syndicale.

Par ailleurs, une autre grève est en cours à Blue Cross. Une camarade qui y travaille a pu s’y faire la porte-parole des travailleuses qui voulaient simplement savoir pourquoi il y avait grève. Elles ont obligé la direction syndicale à organiser une réunion, et d’autres travailleuses ont gagné l’assurance nécessaire pour poser leurs questions. Au 23 novembre, cette grève durait depuis dix semaines. La plupart des grévistes sont des femmes avec des enfants, qui touchent en général des salaires plus bas que dans l’industrie automobile. À travers tous ces événements, nous avons poursuivi notre travail militant habituel sur les sites où nous sommes présents, et l’activité syndicale de nos camarades qui détiennent un mandat.

Notre participation aux élections

Nous travaillons à remplir les conditions légales pour pouvoir nous présenter aux élections de l’année prochaine.

À Baltimore, où le total des voix que nous avons obtenues aux précédents scrutins est en dessous du niveau requis pour nous présenter, nous avons commencé à collecter des signatures pour réenregistrer le Working Class Party.

Ces collectes de signatures, qui concernent aussi Chicago et la Californie, ne sont pas du temps perdu. Elles nous ont permis de discuter avec des gens que nous n’aurions jamais rencontrés autrement.

Dans le Michigan, nous venons d’organiser un congrès du Working Class Party de cet État2. Nous avons notamment décidé de présenter des candidats l’année prochaine. Mais les principales interventions lors de ce congrès ont porté sur deux sujets : d’abord, les leçons à tirer des grèves dans l’automobile et à Blue Cross pour les luttes à venir de la classe ouvrière ; et ensuite, les changements dans la situation internationale, désormais caractérisée par la guerre, qui ont une influence nouvelle sur nos activités.

Discuter ces questions dès maintenant nous permet de préparer notre milieu à une campagne qui devrait être quelque peu différente l’année prochaine.

Organisation des travailleurs révolutionnaires (OTR, Haïti)

Dans la barbarie des gangs

En Haïti, l’actualité est toujours dominée par l’emprise chaque jour plus grande des gangs armés sur le pays, par les démêlés des classes riches et de leurs alliés internationaux pour desserrer de leur cou l’étau de ces bandes, par les pourparlers interminables et ridicules à propos d’une intervention militaire étrangère et par les répercussions de cette situation catastrophique sur les conditions de vie de la classe ouvrière, des masses populaires et sur le pays en général.

Il y a toujours un gouvernement officiel mis en place et soutenu par les ambassades occidentales depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse en juillet 2021 dans sa résidence officielle. Il y a une police, un embryon d’armée depuis cinq ans et même un groupe de paramilitaires : le BSAP (Brigade de sécurité des aires protégées). Avec un personnel réduit, les missions diplomatiques internationales assurent une présence symbolique. La classe politique est également présente. Mais tout ce beau monde est réduit au rang de faire-valoir par les bandes armées qui s’imposent comme les véritables maîtres des lieux.

Les politiciens en place se contentent de se remplir les poches, tandis que ceux qui sont dans l’opposition fomentent des plans pour prendre la place. Tout cela pendant que les masses populaires boivent le calice jusqu’à la lie, pendant que le pays s’effondre.

De leur côté, tous les grands commerçants, les chefs d’entreprise, les banquiers et les compagnies s’accommodent des gangs armés en acceptant de payer une rançon. C’est leur monde. Dans la boue, dans la crasse, au milieu des cadavres, des tonnes d’immondices puantes, ils continuent, sans honte, de dégager de ce marasme les dividendes de leurs activités économiques, assez pour partager avec les chefs de gang ! Cela n’exclut pas évidemment la faillite de certains d’entre eux, incapables d’y faire face.

Mais ce qui dérange la classe bourgeoise, ce n’est pas tant la situation catastrophique du pays, la détérioration des droits de l’homme, la faim, le chômage, les viols d’enfants, ni même la violence des gangs armés contre les classes populaires ; ce n’est pas non plus que des organisations internationales, comme l’ONU, l’OEA, ne cessent de dénoncer toutes ces atrocités dans leurs rapports ; c’est surtout de s’être laissé déborder par les gangs criminels.

Les principaux chefs de gang qui évoluent dans l’aire métropolitaine étaient hier les bras armés de la bourgeoisie. Ils intervenaient, pour le compte des patrons, sur la zone industrielle pour briser les os des travailleurs qui manifestaient contre les mauvaises conditions de travail.

Ils intervenaient, pour le compte des politiciens, dans les rues, pour réprimer férocement les étudiants, les masses populaires qui exigeaient de meilleures conditions de vie. Mais aujourd’hui, ces criminels prennent leurs distances avec leurs maîtres et évoluent pour leur propre compte.

Quatre-vingts pour cent de la commune de Port-au-Prince, qui compte environ 4 millions d’habitants, sont sous l’influence de ces gangs armés. Ceux-ci sont en mesure de mener des opérations loin de leurs bases. Ils occupent tous les grands axes routiers, y établissent des points de péage. Ils sont en train de prendre le contrôle des mers : à bord de leurs chaloupes, de leurs bateaux, tout en se livrant au commerce des armes, de la drogue, ils interceptent les petits voiliers qui assuraient jusqu’ici la liaison entre certaines communes côtières. Ils ont aussi des drones qui surveillent leur environnement immédiat.

Iront-ils jusqu’à occuper officiellement et physiquement le pouvoir ? C’est plus une question tactique qu’autre chose, tant ils dominent la situation. Des centaines de groupes armés dénombrés, peut-être quatre à six groupes émergent, mais se font régulièrement la guerre. Ce sont tous des crapules, qui tuent des enfants, des vieillards, des femmes enceintes, mettent le feu aux maisons des plus pauvres. Celui qui semblait révéler une carrure politique, un ancien policier du nom de Barbecue, s’est fait déborder par des groupes encore plus criminels. Mais, entre malfrats, l’idée fait son chemin.

De son côté, la classe ouvrière et les masses populaires continuent d’encaisser des coups. Car les attaques des gangs, des patrons, des grands commerçants, du gouvernement pour s’approprier tout le fruit de l’exploitation de la classe ouvrière et des masses populaires s’accentuent.

La zone industrielle se vide de ses travailleurs. Les usines, les petites et moyennes entreprises ferment leurs portes les unes après les autres, renvoyant leurs ouvriers presque sans un sou. Quelques usines de sous-­traitance, qui continuent encore de fonctionner sur la zone, le font avec un effectif réduit. Le salaire minimum, tournant autour de 4 dollars par jour de travail depuis 35 ans, continue de perdre de la valeur ; salaires bloqués, inflation élevée, dévaluation de la monnaie locale par rapport au dollar américain sont une calamité sur laquelle se greffent les effets des exactions des bandes criminelles, comme les kidnappings contre rançon, les détournements des camions de marchandises entraînant la hausse vertigineuse des prix, les coûts exorbitants du transport en commun, les guerres opposant différents gangs, etc. Tout cela contribue à l’augmentation de la misère.

De nombreux quartiers populaires se vident de leurs habitants, chassés par les attaques des bandes armées. Le cas de Carrefour-Feuilles (une banlieue de la capitale) est un exemple désastreux : en septembre, près de 200 000 personnes y ont fui leur maison pour échapper à la fureur des criminels. Il y a eu des dizaines, voire des centaines de morts, car des personnes sont portées disparues. Une fois les habitants partis, les malfrats ont pillé les maisons puis y ont mis le feu.

Depuis trois voire quatre ans, ces attaques criminelles sont régulières, et consistent chaque fois en des massacres, avec leurs lots de morts, des milliers de déplacés, des orphelins, des familles disloquées. On en parle très peu, car la vie de ces pauvres travailleurs, des chômeurs, compte peu, voire pas du tout. Cette désastreuse situation a fait dire à un politicien que la durée de vie dans le pays est de 24 heures renouvelables.

Pour éviter ces attaques meurtrières, les gens se barricadent là où ils peuvent encore le faire : derrière des sacs de sable, derrière de nombreuses barrières mises à l’entrée des quartiers.

Désespérés, de nombreux jeunes n’ont qu’une idée : fuir le pays !

Depuis janvier, 100 000 à 110 000 d’entre eux ont émigré vers les USA via un programme humanitaire du gouvernement américain, et 600 000 demandes sont en attente d’une réponse. Ils fuient également vers le Canada.

Récemment, en délicatesse avec son homologue américain, le gouvernement nicaraguayen a ouvert son pays comme terre de transit aux migrants haïtiens. En quelques semaines, plusieurs dizaines de milliers de jeunes ont fui Haïti vers le Nicaragua, d’où ils espèrent gagner les USA en passant les frontières mexicaines. Le phénomène a eu une telle ampleur que le gouvernement américain a intimé l’ordre au gouvernement haïtien d’arrêter les vols charters depuis son territoire et menacé de poursuivre leurs organisateurs pour trafic d’êtres humains.

Des cas de résistance aux gangs

En ce qui concerne les luttes des travailleurs et des masses populaires contre la montée en puissance des gangs armés, il y a eu de nombreux « coups de griffe » à l’initiative de la population. Les opérations de protection dénommées opérations Bwa Kale. Mais si toutes ces initiatives ont eu le mérite de valider que seule la mobilisation des masses peut mettre hors d’état de nuire les gangs criminels et le système qui leur donne naissance, toutefois aucune d’entre elles ne s’est étendue dans la durée, aucune d’entre elles n’a touché une large frange des masses populaires. Ces mouvements se sont éteints avant même d’atteindre leur maturité en termes organisationnels et de conscience de classe.

Il faut souligner cependant qu’il y a certains coins où les gangs n’osent pas mettre les pieds pour le moment. Récemment à Mirebalais, une commune de 100 000 habitants située à 30 km de Port-au-Prince, la population les a repoussés. Les gangsters ont attaqué cette commune vers 2 heures du matin. Mais ils ont fait face à une population qui s’était préparée. Pris de court, ils ont pris la fuite dans les bois en tirant dans tous les sens. La population les a poursuivis. À court de munitions, certains ont grimpé aux arbres pour s’abriter. Mais on les a alors cueillis comme des pommes.

Et des résistances ouvrières

La situation est à peu près semblable du côté de la classe ouvrière. Malgré la morosité de la situation, il y a eu quelques débrayages, quelques remous dans certaines usines.

Il y a deux semaines, alors que les travailleurs s’activaient pour faire sortir le quota d’une des rares journées de travail que le patron leur « offre », en milieu de journée, la direction a fait passer un message annonçant : « L’usine suspend dès aujourd’hui ses activités définitivement. La direction vous informera par téléphone des suites », ajoutait le message. Rien que cela !

Remontés, les ouvriers ont immédiatement arrêté le travail. Il s’en est suivi une demi-journée et une nuit entière de bagarre, au cours de laquelle le patron et son père ont été gardés dans l’entreprise. Les travailleurs voulaient avoir la garantie de recevoir l’argent des derniers jours de travail, l’argent du congé annuel, la prime de fin d’année, leur préavis et le dédommagement. Pendant plus de 16 heures, les ouvriers ont eu le contrôle de l’usine. Craignant aussi pour leurs salaires, les agents de sécurité ont fait allégeance aux grévistes en leur donnant les clefs des barrières et en leur indiquant les endroits où allaient se cacher le patron et sa bande. Les travailleurs ont reçu l’aide d’un directeur de radio qui a retransmis en direct leur mouvement.

Ils ont ainsi pu tenir tête à la police, avec deux chars blindés et un bataillon de juristes, ainsi qu’aux membres de gangs venus en soutien au patron. Finalement, vers 4 heures du matin, les policiers ont donné l’assaut en brisant une barrière avec un blindé. Des ouvriers se sont couchés par terre pour ralentir leur progression.

Mais, tandis que les travailleurs étaient en pleine bagarre, des responsables syndicaux corrompus se réunissaient dans un autre local avec d’autres responsables de l’usine, dans le dos des travailleurs en lutte. Une commission ouvrière, sorte de comité de grève, a été mise sur pied pendant la soirée pour contrer les manœuvres des syndicats avec le patron. Les ouvriers n’ont pas eu gain de cause, la négociation se poursuit avec les patrons.

Union africaine des travailleurs communistes internationalistes (UATCI, Côte d’Ivoire)

Le business de la CAN payé par les classes populaires

Le gouvernement ivoirien est branché depuis quelques années sur la préparation de la Coupe d’Afrique des nations de football (CAN) qui commence mi-janvier. À Abidjan, les travaux de voirie, de construction de nouvelles voies, d’échangeurs, de ponts, d’hôtels de luxe et autres bâtiments de prestige vont bon train.

Nous n’allons pas parler ici des opérations de « déguerpissement » qui ont déjà commencé bien avant le début des travaux. Des milliers de familles pauvres ont été chassées manu militari pour laisser la place aux constructions. Ce qui est un peu nouveau c’est que la circulation, déjà difficile en temps ordinaire, est devenue infernale.

Aux heures de pointe, le prix d’un trajet en gbaka ou wôro-wôro (minibus et taxi collectif) est multiplié par deux, voire par trois. De ce fait, des travailleurs y consacrent jusqu’au quart voire au tiers de leur salaire journalier. Il existe pourtant une société de transport public et son prix est plus abordable que celui des gbakas et wôro-wôros, mais le nombre de bus est tellement insuffisant qu’il faut parfois passer des heures à les attendre sans être sûr de trouver une place, tellement c’est bondé.

Conséquence de cette situation, de plus en plus de travailleurs sont contraints de passer les nuits sur leur lieu de travail, pour ne rentrer qu’en fin de semaine. De plus, avec l’inflation sur le foncier et donc aussi sur les loyers, les familles pauvres sont éjectées de plus en plus loin dans la périphérie d’Abidjan, à moins de trouver un endroit dans un bidonville.

Ainsi, un de nos camarades qui travaille dans le bâtiment a trouvé un boulot à une trentaine de kilomètres de chez lui. C’est une distance encore raisonnable, mais le coût du trajet quotidien lui revient à environ 2,5 euros sur un revenu moyen journalier de 11 euros. Cela étant au-dessus de ses moyens, il passe ses nuits sur le chantier.

Richesse et pauvreté

Du côté des riches, c’est la belle vie ! Le centre d’Abidjan prend de plus en plus l’allure d’une belle ville, avec ses grands axes fleuris, ses buildings luxueux, ses centres commerciaux, ses restaurants, galeries marchandes, souvent les mêmes qu’en France et parfois plus luxueux dans certains endroits. C’est qu’il existe dans ce pays une réelle classe bourgeoise avec un pouvoir d’achat conséquent.

L’économie, du point de vue de cette classe, se porte plutôt bien. En plus de la production agricole, qui représente le quart du produit intérieur brut (PIB), il y a le gaz, le pétrole, l’or, le diamant et autres minéraux. Il y a aussi le négoce, le port et l’industrie. Le PIB a été multiplié par sept entre 1990 et 2022. Cela ne veut pas dire grand-chose, mais indique quand même qu’il y a du fric dans ce pays et que certains s’en mettent plein les poches sur le dos des travailleurs et des petits paysans.

La situation des travailleurs a nettement empiré. La pauvreté a gagné la très grande majorité des foyers. Cette montée de la pauvreté est visible, même dans les entreprises modernes. Il y a 30 ans, en voyant un travailleur ou une travailleuse sortir de l’usine, il était parfois difficile (pour un œil extérieur) d’imaginer qu’il s’agissait d’une ouvrière ou d’un ouvrier. Aujourd’hui, les travailleurs de cette même boîte sont amaigris, usés. Ils sont de plus en plus nombreux à passer des nuits au sein de l’usine, faute de pouvoir rentrer tous les jours à la maison.

Deux jobs

De même qu’il est maintenant courant de voir des travailleurs qui font deux jobs (par exemple gardien pendant la nuit et ouvrier dans la journée). D’autres font deux quarts successifs dans la même boîte. Il y a dans la zone industrielle de Yopougon des jeunes qui sortent d’une usine pour aller travailler dans une autre. Ils en tirent un revenu de 7 euros multiplié par deux, après 16 heures de boulot. Il faut souvent soudoyer quelqu’un pour décrocher un job.

La situation n’est pas à la lutte. C’est illustré par ce qu’un camarade travaillant dans une petite usine métallurgique vient de vivre. Il était dans l’équipe de nuit et sa machine est tombée en panne. Vers minuit, comme elle n’était toujours pas réparée, on leur a dit de rentrer chez eux. Évidemment, c’est chose impossible à cette heure tardive. Aussi, les travailleurs concernés ont passé la nuit dans l’enceinte de l’usine. Mais le lendemain, leur pointage indiquait zéro, y compris celui du mécanicien qui s’était démené pour essayer de réparer la machine, sans y parvenir car la panne était électrique et il n’y avait pas d’électricien de quart. Les travailleurs, tous des journaliers, n’ont pas bronché, de crainte de se faire renvoyer et se retrouver sans le sou.

Un autre exemple illustre cette peur. Il s’agit d’une boîte où un tract est apparu pour la première fois. L’exploitation y est particulièrement dure. À la vue de ce papier, sans même l’avoir lu, un travailleur a réagi négativement en disant : « C’est ici qu’on vient se débrouiller et ces gens viennent gâter notre travail. »

Dans une autre boîte, un vieux travailleur habitué au tract a dit : « C’est bien ce qu’ils écrivent, mais il ne faut pas qu’ils oublient que nous avons aussi des familles à nourrir. » C’est à peu près la même réaction que nous avons constatée devant les boîtes de la zone industrielle de Yopougon. Un jeune travailleur s’est exprimé ainsi : « Ce papier-là, ça peut faire quoi ? » Un autre a dit : « Ça fait révolter, mais si on nous renvoie, ce ne sont pas ces gens qui diffusent ce papier qui viendront nous aider. »

La même méfiance a été constatée envers tout ce qui s’apparente à un syndicat. Il y a la peur, mais peut-être aussi un sentiment de trahison ou de déception qui s’y greffe. Dans leur écrasante majorité, les travailleurs sont des journaliers et les renvois sont monnaie courante. Par exemple, le travailleur cité plus haut travaille depuis quatre ans dans la même entreprise, mais par l’intermédiaire d’une boîte de sous-traitance. Il a un statut de journalier, ne bénéficie ni de congé, ni d’autre chose. Et quand il n’y a pas assez de production, on lui demande de rester chez lui, sans salaire évidemment. De même qu’il arrive qu’il soit convoqué brusquement pour bosser samedi et dimanche, ou qu’il soit obligé d’effectuer des heures supplémentaires.

Peu de temps avant, il s’était fait renvoyer de sa section par son petit chef. Il est resté deux semaines sans travail. Il a dû ensuite négocier avec un petit chef d’une autre section pour être pris dans son équipe moyennant deux semaines de travail à l’œil, sous prétexte de « formation ». Pourtant, son travail consiste tout simplement à scotcher des cartons et à les charger sur des palettes. C’est une entreprise plutôt moderne, produisant notamment pour le compte de grosses entreprises multinationales. Autant dire que, pour ces gros bonnets de l’industrie, la vie d’un travailleur ne pèse pas lourd.

Dans le secteur du bâtiment ce n’est guère mieux. En cas d’accident de travail, même mortel, il n’y a généralement aucune suite contre le patron. Celui-ci se débrouille avec l’administration corrompue pour s’en sortir à bon compte.

La dégradation des conditions de vie et de travail de la classe ouvrière, amorcée en janvier 1994 par la dévaluation de 50 % du franc CFA, s’est amplifiée depuis une trentaine d’années. Même si on ne meurt pas de faim à Abidjan, la situation ne fait que s’aggraver. Chaque année c’est toujours plus de privations, toujours plus de détérioration des conditions d’existence des travailleurs.

Aujourd’hui, on a peut-être atteint un palier de plus et cela se voit autour de nous. De petites gens dorment à l’abri d’une terrasse de pharmacie ou d’une boutique quelconque, là où l’on peut se mettre à l’abri de la pluie. Il y a souvent le gardien qui dort là. Mais parfois, on peut aussi apercevoir une petite famille avec des enfants. Ce sont des choses qu’on ne voyait pas souvent auparavant.

Les petits vendeurs ambulants, ceux qu’on appelle les banabana, sont de plus en plus nombreux dans les rues d’Abidjan. La très grande majorité vient des pays voisins. Il existerait même des filières spécialisées dans cette activité. Effectivement, avec la situation économique et politique de ces pays, ce n’est pas étonnant. Il y a par exemple une filière guinéenne pour les petites vendeuses. Elles travaillent pour le compte de ceux qui les font venir par dizaines. Même tard vers 21h, tant qu’il y a des bouchons dans les rues, on peut les voir encore nombreuses se faufiler entre les voitures pour proposer leurs marchandises aux automobilistes et aux passagers.

Situation politique

On s’achemine peut-être vers une crise de succession de l’actuel président Ouattara, à mi-parcours de son troisième mandat. Ce mandat avait été contesté par ses opposants, du fait de la limitation à deux mandats par la Constitution.

La prochaine échéance présidentielle est en 2025, mais la bataille pour sa succession a déjà commencé dans les coulisses. Un membre du trio qui anime la vie politique du pays depuis trois décennies, Bédié, est décédé cette année. Avec Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo, ils étaient à l’origine de toutes les crises politiques, des tueries inter-ethniques et xénophobes, depuis 1993, avec la succession du premier président, Houphouët-Boigny. Chacun des protagonistes s’est appuyé sur son ethnie et sur sa région pour parvenir au pouvoir. Cela s’est terminé par un bain de sang et la scission du pays en deux parties. C’est du passé, mais pas tant que ça. Les mêmes causes peuvent produire les mêmes effets.

Depuis la mort de Bédié, deux poids lourds pointent déjà leur nez pour prendre sa place, pour être le candidat du parti. L’un d’eux est Jean-Louis Billon, issu d’une famille riche franco-­ivoirienne. Il est considéré comme l’homme le plus riche du pays. Avec ses 30 000 salariés sur le territoire ivoirien, il revendique la place de premier employeur après l’État. Le second candidat, Tidjane Thiam, est lui aussi un riche financier international. Il y a quelques années, il tenait le poste de directeur général de la seconde grande banque suisse. Il est apparenté à la famille d’Houphouët-Boigny. Il semble avoir pour l’instant l’appui de quelques caciques du parti. Comme l’actuel président Ouattara, Tidjane Thiam a passé la plus grande partie de sa carrière à l’extérieur et ne s’est pas vraiment mêlé aux aléas de la vie politique ivoirienne.

Quant à l’ancien président Laurent Gbagbo, il est rentré en Côte d’Ivoire il y a quelques années après avoir passé dix ans derrière les barreaux de la prison de la Cour pénale internationale, aux Pays-Bas. Malgré son âge avancé, il a déjà déclaré qu’il se présentera en 2025 si son parti l’investit.

Pour l’instant, son nouveau parti, le Parti des peuples africains (PPA-CI) ne va pas très fort, à en juger par le mauvais résultat lors des élections locales tenues cette année.

Quant à Ouattara, le dernier du trio, il laisse pour l’instant planer le doute sur un éventuel quatrième mandat présidentiel. En tout cas, certains de ses proches s’expriment déjà pour lui dans le sens d’une candidature. Dans le cas contraire, il a sans doute un autre souci à régler concernant sa succession. Son parti, le RHDP, est entre les mains d’hommes d’affaires qui se sont surtout enrichis à l’ombre du pouvoir. Ce sont des hommes qui lui ressemblent, mais il ne semble pas très emballé pour leur laisser son héritage. C’est probablement la raison pour laquelle il a nommé, il y a trois ans, l’ex-gouverneur de la BCEAO au poste de vice-président, donc son successeur potentiel en cas de vacance du pouvoir. Il a ainsi damé le pion au président de l’Assemblée nationale, qui était jusque-là le remplaçant officiel du président, en cas de décès par exemple.

Mais il se trouve que ce vice-président, même s’il est originaire du Nord comme lui, ne semble pas bénéficier d’un grand soutien de son parti. Ce qui laisse donc penser que toutes les cartes ne sont pas encore jouées pour 2025.

On verra si Ouattara et Gbagbo trouvent un accord pour sortir en quelque sorte par la grande porte ou s’ils sont prêts à en découdre, quitte à raviver de nouveau le poison de l’ethnisme et de la xénophobie et entraîner le pays vers une nouvelle crise politique, avec tout ce que cela comporte comme barbarie.

Workers’ Fight (Grande-Bretagne)

La comédie politique

La dernière en date, au sommet de l’État, c’est le départ de Suella Braverman, cette ministre de l’Intérieur raciste et anti-immigrés, elle-même issue – quelle ironie ! – de l’immigration.

Mais si elle a été renvoyée, ce n’est pas pour sa xénophobie ni pour ses prises de position ­anti-réfugiés. Ce n’est pas non plus pour avoir qualifié les manifestations contre le bombardement de Gaza par l’armée israélienne de « marches de la haine ». Ce qui lui a fait perdre son poste, c’est son refus d’obéir aux ordres et son ambition de remplacer Rishi Sunak à la tête du Parti conservateur.

C’est donc un ancien réserviste de l’armée britannique, James Cleverly, qui a pris sa place. Lui saura sûrement obéir.

Quant à savoir s’il empêchera les réfugiés de traverser la Manche dans de petites embarcations, comme l’ont promis les Tories, et les expulsera ensuite vers le Rwanda, c’est une autre histoire.

Pour cela, il faudrait que la Grande-Bretagne se soustraie à la juridiction des deux cours qui administrent le droit international, dans le cadre de l’UE et de l’ONU, puisque c’est sous ce régime que la Cour suprême britannique a jugé illégaux les projets du gouvernement avec le Rwanda.

Il est peu probable que le gouvernement aille jusque-là, à moins qu’il ne veuille délibérément laisser un gros casse-tête aux travaillistes quand ils arriveront aux affaires.

Vers un retour des travaillistes

Des élections législatives sont prévues dans les douze prochains mois. Les conservateurs ont 20 points de retard sur le Labour Party dans les sondages. Ils ne peuvent tout simplement pas gagner.

Pour eux, les choses sont allées de mal en pis après le vote du Brexit en 2016. Aujourd’hui, 57 % de la population pense que le Brexit était une erreur. Pas étonnant : c’est la principale cause de l’inflation galopante en Grande-Bretagne.

Oui, les conservateurs ont beaucoup de comptes à rendre. Comme si cela ne suffisait pas, leur gestion révoltante de la pandémie de Covid est rappelée quotidiennement par une mission officielle chargée de l’étudier. Leur choix d’imposer le confinement trop tardivement s’est traduit par le troisième bilan le plus lourd au monde en termes de mortalité en pourcentage.

Il y a deux semaines, un responsable scientifique a expliqué comment, à l’époque, le Premier ministre Boris Johnson, qui avait arrêté les sciences à l’âge de 15 ans, ne comprenait rien : ni les statistiques, ni les graphiques, ni la différence entre risques absolu et relatif… On a appris que Johnson et Sunak pensaient tous deux qu’il fallait laisser mourir les personnes âgées. De fait, 40 000 d’entre elles sont mortes au cours des deux premiers mois de la pandémie.

Il y a deux semaines, le ministre des Finances Jeremy Hunt a présenté son budget d’automne. Des esprits moqueurs ont souligné qu’il allait avoir du mal à faire passer une « ligne rouge » entre sa politique et celle du Parti travailliste. Les figures de proue travaillistes à la Chambre des communes sont en effet parmi les plus à droite de l’histoire du parti, ce n’est pas peu dire quand on a connu les années Tony Blair…

Lorsque les nationalistes écossais du SNP ont présenté au Parlement britannique une résolution exigeant un cessez-le-feu à Gaza, le leader du Labour Party, « sir » Keir Starmer, a interdit aux députés travaillistes de voter pour. Starmer soutient à 100 % les représailles menées par Netanyahou. C’est lui, on s’en souvient, qui en avril 2020 avait évincé Jeremy Corbyn, le leader travailliste précédent, au langage plus à gauche. Starmer accusait Corbyn d’être un antisémite, car il soutenait la cause palestinienne. Le Parti travailliste a alors officiellement adopté la définition de l’antisémitisme établie par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste, qui assimile certaines critiques d’Israël à de l’antisémitisme. Or juridiquement, l’antisémitisme est considéré comme un crime de haine.

Heureusement, jusqu’à présent, il y a eu peu d’arrestations pour ce motif. Mais lors de la dernière manifestation londonienne en faveur d’une « Palestine libre », la police a distribué des tracts aux manifestants pour leur dire qu’ils ne devaient pas scander des slogans susceptibles de soutenir le terrorisme ou d’être antisémites, sans plus de précisions.

Les luttes ouvrières bradées

L’année dernière, nous avons beaucoup parlé ici de la série de grèves qui, depuis l’été, avaient entraîné de nombreuses catégories de travailleurs.

Cette année, malheureusement – et c’était prévisible –, l’heure est à la capitulation. Le gouvernement et les patrons ont résisté aux grévistes et ces grèves se sont essoufflées. Elles n’ont pas eu plus de soutien du côté des travaillistes : les élections approchant, le Parti travailliste ne veut surtout pas qu’on puisse l’accuser d’être associé aux luttes de la classe ouvrière. C’est maintenant la fin de la partie et les grévistes ont subi une défaite collective, même s’ils n’ont pas mené le combat collectif qui s’imposait ! Mick Lynch, le dirigeant du syndicat cheminot RMT, vient de demander à ses membres de se prononcer en faveur d’une offre qui est encore pire que l’accord refusé par la direction du RMT il y a six mois. Les travailleurs étant fatigués des grèves de 24 heures qui n’aboutissent à rien, et avec les dépenses de Noël en vue, il est probable qu’ils l’acceptent (résultat du vote le 30 novembre…).

L’autre grand bataillon de grévistes en 2022 et début 2023, c’étaient les postiers. Ils sont très amers. Après quatre mois sans appels à la grève et sans nouvelles des dirigeants syndicaux, ils ont finalement été invités à voter en juillet, sur un accord pourri mais néanmoins recommandé par leurs dirigeants ! Après 18 jours de grève étalés sur 10 mois, tout ça apparemment en vain, ils en avaient assez… Au bout du compte, 76 % des postiers ont voté en faveur de l’accord. Celui-ci court sur trois ans. Il inclut une augmentation de salaire de 4 % au cours des deux prochaines années et une prime de 500 livres. L’inflation étant encore de 8,9 %, cela signifie une réduction du salaire réel. Les postiers sont également confrontés à des suppressions d’emplois. Les travailleurs du tri ont été informés qu’ils ne sont plus nécessaires, bien qu’ils travaillent sans relâche ! Des pressions sont exercées pour qu’ils partent, mais les indemnités de licenciement ont été réduites de moitié. Sinon, on les incite à passer à la distribution, ce qui suppose d’avoir le permis de conduire ou d’être apte à marcher.

En fin de compte, on ne peut donc pas dire que les grèves aient bénéficié à une quelconque catégorie de travailleurs. Les conducteurs de train et les médecins du NHS (le système de santé) n’ont pas encore signé d’accord, mais cela ne saurait tarder.

La situation sociale

Celle de la classe ouvrière n’est pas brillante. Officiellement, 14,5 millions de personnes vivent dans la pauvreté, soit plus de 20 % de la population. Le dernier budget du gouvernement, tout en réduisant les impôts des patrons, prévoit de diminuer les prestations sociales pour les chômeurs de longue durée. Et il n’y a pas d’argent pour le NHS, défaillant, qui compte 7,8 millions de personnes sur liste d’attente. Il serait surprenant que le système de santé ne s’effondre pas cet hiver.

Bund Revolutionärer Arbeiter (Allemagne)

À nouveau une crise politique

Depuis la mi-novembre, le gouvernement allemand se trouve à nouveau dans une crise politique. Pour masquer l’ampleur de l’endettement, il avait caché plusieurs centaines de milliards de subventions au patronat dans des fonds spéciaux, qui n’apparaissent pas dans le budget officiel. Mais la Cour constitutionnelle vient de déclarer illégale l’utilisation d’un de ces fonds. Le gouvernement, qui veut évidemment maintenir ces subventions au patronat, doit en urgence trouver un nouveau financement pour la « petite » somme de 60 milliards d’euros.

Les trois partis gouvernementaux, SPD, Verts et Libéraux, se disputent maintenant pour savoir s’il faudrait pour cela creuser le déficit budgétaire, augmenter les impôts sur le gasoil, supprimer des aides aux chômeurs et aux familles pauvres, etc. Et peut-être finiront-ils par faire tout cela à la fois.

Ce n’est pas la première crise que traverse ce gouvernement ; des crises qui sont liées à l’aggravation de la situation économique.

Sur fond de dégradation économique

Il faut se rappeler qu’entre 2010 et 2019 l’Allemagne avait vécu une situation un peu exceptionnelle. La production industrielle avait augmenté pendant dix ans, dépassant sensiblement le niveau d’avant la crise financière de 2008.

Mais, depuis la pandémie, la production n’a jamais retrouvé ce niveau record. En 2021 elle est retombée au niveau d’avant 2008 et continue depuis sur une pente descendante, pour les multiples raisons qu’on connaît et qui affectent particulièrement l’industrie allemande basée sur l’exportation : augmentation des prix, notamment de l’énergie, rétrécissement du marché mondial et en particulier celui de Chine, mesures protectionnistes des États-Unis, etc.

Pour assurer les profits énormes du patronat dans un environnement économique devenu plus difficile et pour essayer de riposter à l’Inflation Reduction Act des États-Unis, le gouvernement arrose les grandes entreprises de subventions d’une ampleur inédite. Quelques exemples : 15 milliards de subventions à Intel et MSC pour la construction de deux usines de semi-conducteurs, 30 milliards pour subventionner le prix de l’électricité des entreprises industrielles ou encore 2 milliards pour ThyssenKrupp, et plusieurs milliards pour les trusts de l’automobile au nom de la « transformation écologique ».

Pour justifier ces cadeaux somptueux, qu’on fera évidemment payer aux classes populaires, patronat et gouvernement ont entamé une campagne catastrophiste, racontant que, si l’on ne réduisait pas massivement les coûts pour l’industrie, l’Allemagne n’aurait bientôt plus d’industrie du tout. Ils s’adressent aux classes populaires, pour lesquelles la hausse massive des prix a eu des conséquences lourdes, et leur disent : « Nous les patrons, c’est pareil. La hausse des prix, en particulier de l’énergie, nous ruine. C’est pourquoi l’État doit nous sauver. »

Cette campagne gagne en crédibilité, parce qu’elle n’est pas seulement soutenue par tous les partis politiques au Parlement, mais aussi par les syndicats. Pire, les syndicats appellent carrément les travailleurs à descendre dans la rue pour revendiquer encore plus de subventions pour le patronat, reprenant eux aussi le chantage que, sinon, les usines seraient délocalisées ou fermées.

Les syndicats revendiquent en particulier que l’industrie paie au maximum 4 centimes le kilowattheure pour l’électricité, sachant que les consommateurs, donc leurs propres travailleurs, payent en moyenne 40 centimes le kilowattheure. La revendication des syndicats consiste donc à dire que les travailleurs devraient payer cher l’électricité et en plus, par leurs impôts, payer les frais d’électricité des grands trusts.

Pour cette « revendication », le syndicat de la chimie a mobilisé 8 000 travailleurs de BASF à Ludwigshafen. Et la semaine dernière encore, l’IG Metall a mobilisé 10 000 travailleurs à Duisburg. Le patronat, très content, paye le salaire des ouvriers qui vont manifester.

C’est une campagne ignoble qui désarme davantage les travailleurs, au moment où le patronat et le gouvernement commencent à devenir bien plus agressifs pour sauver la mise aux capitalistes malgré la baisse des ventes, et où il faudrait au contraire préparer les travailleurs à défendre leur peau contre la classe dirigeante.

Jusqu’ici, les conséquences de cette baisse de production ne se faisaient pas encore trop sentir pour les travailleurs. Le chômage partiel par exemple est encore très bas, et le total des heures travaillées était même plus élevé cette année que jamais depuis la réunification. Cela pourrait changer très vite : ces dernières semaines, plusieurs grandes entreprises ont annoncé des plans de suppressions d’emplois, voire des fermetures de sites. Mais comment se battre contre de telles attaques si, comme le prétendent les syndicats, les patrons doivent absolument « réduire leurs coûts de production » ? Et comment se défendre contre des plans d’austérité qui ne vont pas tarder, si les énormes cadeaux au patronat paraissent « nécessaires » ?

Toute la campagne actuelle sur la prétendue « nécessité de sauver la compétitivité de l’industrie allemande » ressemble d’ailleurs presque à l’identique à celle que le chancelier G. Schröder avait menée au début des années 2000 pour préparer idéologiquement l’introduction des lois Hartz, des lois qui ont fait chuter les salaires et répandu la précarité et le temps partiel imposé. Et, comme à l’époque, leur campagne s’accompagne d’une propagande abjecte contre les prétendus « assistés » qu’il faudrait forcer à travailler et dont il faudrait réduire les prestations sociales.

La montée de l’extrême droite facilitée

Tout cela ne présage rien de bon. Mais, au lieu de sonner l’alerte, les syndicats propagent l’idée que le patronat et les travailleurs devraient se battre ensemble contre un gouvernement qui ne soutiendrait pas assez l’industrie.

Ce faisant, ils font en plus le jeu de l’extrême droite. Car cette dernière propage aussi l’idée que les problèmes de l’économie allemande viendraient du prix de l’énergie et que la politique erronée du gouvernement en serait responsable. Par politique erronée, ils entendent les sanctions contre la Russie et surtout le prétendu « fanatisme pour le climat ». Selon eux, le gouvernement SPD-Verts-­Libéraux serait en train de ruiner les bases de l’industrie allemande en prenant trop de mesures contraignantes « pour protéger le climat ». Et ils ont orchestré une véritable chasse aux sorcières contre un mouvement de jeunes qui se collent sur des routes principales et empêchent la circulation pour revendiquer plus de mesures écologiques, les accusant d’être des terroristes dangereux.

Cette propagande marche pas mal : surtout parce que les classes populaires ont rapidement commencé à détester le gouvernement dans lequel les Verts sont particulièrement visibles et qui passe son temps dans des rivalités politiciennes entre les trois partis gouvernementaux, alors qu’une partie croissante de la population a de plus en plus de mal à joindre les deux bouts suite à la hausse des prix.

Aux dernières élections régionales de Bavière et de Hesse en octobre, les partis gouvernementaux ont dégringolé, alors que le parti d’extrême droite AfD a fait un score record en Allemagne de l’Ouest, avec 14,6 % et 18,4 % des voix.

Les réfugiés en boucs émissaires

Le renforcement de l’AfD a enclenché une surenchère ­anti-immigrés, les partis gouvernementaux et la droite dans l’opposition se surpassant depuis des mois dans leurs propositions anti-réfugiés, en une tentative de concurrencer l’AfD. Les réfugiés, dont plus de trois millions sont arrivés entre 2015 et 2023, sont rendus responsables de tous les maux de la société, en particulier du manque de logements abordables, de places dans les crèches ou les écoles, alors que ce manque existait évidemment bien avant.

Le résultat : l’idée que l’Allemagne serait « débordée » par un prétendu « afflux ingérable de réfugiés » est devenue très répandue et revient en permanence, dans toutes les discussions.

Et le fossé entre communautés risque de se creuser encore avec l’actuel massacre à Gaza. Le gouvernement allemand a une attitude particulièrement intransigeante, Scholz allant jusqu’à déclarer : « Il ne peut pas y avoir deux avis en Allemagne. » Tous les Allemands devraient soutenir Israël dans sa « légitime défense » pour la survie des Juifs et de leur État.

Tous les partis politiques au Parlement le soutiennent. De l’extrême droite à Die Linke, ils ont voté leur soutien inconditionnel à Israël. Et les syndicats entonnent le même refrain.

On ne peut pas dire que cette propagande unilatérale ait convaincu la majorité. Mais beaucoup d’Allemands ne savent plus du tout quoi penser et se taisent. Pour pouvoir en discuter, nous devons souvent commencer par évoquer le cadre plus général de la menace de guerre impérialiste mondiale, menace qui inquiète beaucoup de gens.

Le silence dans les milieux non immigrés renforce cependant l’impression que tous les Allemands seraient du même avis que le gouvernement. Beaucoup d’immigrés, notamment du Moyen-Orient ou de Turquie, dont la grande majorité sont révoltés par le massacre des Palestiniens, ont l’impression de vivre dans un monde parallèle. Aussi, beaucoup n’osent pas s’exprimer en public. Dans les entreprises ou dans nos activités militantes, il faut que nous commencions par dire ce que nous pensons pour qu’ils s’ouvrent. Beaucoup nous en remercient. Ces discussions sont une occasion pour expliquer que ce n’est pas une guerre de religions ou de communautés, et qu’en tant que communistes nous pensons que tous les exploités doivent se battre ensemble contre l’impérialisme et tous les oppresseurs. Et, notamment parmi les immigrés récents dont beaucoup viennent de pays comme la Syrie, l’Afghanistan ou l’Irak, nos idées peuvent trouver un point d’appui dans leur vécu personnel, car bon nombre ont justement fui les guerres impérialistes et les intégristes de leur pays.

Lutte ouvrière (La Réunion)

Chômage et pauvreté record

La Réunion est un département français qui bat de bien tristes records. Mais le record le plus préoccupant est celui du chômage. En effet, au premier trimestre de 2023, 153 790 personnes sur 873 000 habitants que compte La Réunion étaient inscrits à Pôle emploi, soit 18 % de la population. La Réunion est le troisième département le plus pauvre de France, après Mayotte et la Guyane. En trois ans, les conditions de vie des classes populaires se sont encore dégradées du fait de l’inflation. De juillet 2022 à juillet 2023, d’après les chiffres de l’Insee, les prix de l’alimentation ont grimpé de 8,2 % ; les prix des produits frais de 7 %. En 2018, la flambée des prix, notamment ceux du carburant, avait été à l’origine du mouvement des Gilets jaunes qui avait paralysé l’île pendant près de trois semaines.

En réponse aux revendications de la population, le gouvernement Macron et sa ministre de l’Outre-mer d’alors, Annick Girardin, avaient proposé de revoir le « bouclier-qualité-prix », ce panier percé que les préfets qui se relaient dans l’île avancent régulièrement quand la question du pouvoir d’achat est mise sur le tapis. En fait, malgré ce bouclier en carton-pâte, la vie est toujours plus chère pour les classes populaires.

Une paupérisation sous toutes les formes

La paupérisation des classes populaires n’est pas qu’économique. Nous voudrions à ce propos souligner quelques particularités sociales qui, par leur ampleur, gangrènent la société réunionnaise.

Selon les chiffres officiels, La Réunion est en quatrième place en 2022 pour les violences envers les femmes, dont 15 % sont victimes de violences conjugales, soit trois fois plus que dans l’Hexagone.

L’île est le territoire français le plus touché par les troubles causés par l’alcoolisation fœtale. L’ARS en donne une définition : « La forme clinique la plus fréquente… est responsable de troubles neurodéveloppementaux, d’échec scolaire, de troubles des conduites, de délinquance et d’incarcération, de consommation de produits à l’adolescence. » Il n’est pas inéluctable qu’une région productrice d’alcool voie sa population sombrer dans l’alcoolisme. En revanche, le chômage autant que les conditions de travail abrutissantes sont pourvoyeurs de ce fléau qui ruine la santé physique et encore plus la santé morale.

L’illettrisme concerne environ 120 000 Réunionnais, soit 23 % de la population. Ce chiffre n’a pour ainsi dire pas bougé depuis 40 ans ! Et ce ne sont pas les journées nationales de lutte contre l’illettrisme ou autres « cases à lire » animées par les bénévoles des associations, aussi dévoués soient-ils, qui vont remédier à la situation.

Quant aux diabétiques… ils représentent 13 % de la population adulte, et deux fois plus de patients pris en charge qu’au niveau national.

Selon l’Observatoire des inégalités : « Ces maladies chroniques touchent davantage les plus modestes… Elles limitent les capacités des personnes [à faire des études, à trouver un emploi, à partir en vacances, etc.] et agissent sur leur bien-être de manière générale. »

La Réunion ne compte pas moins de 41 000 demandeurs de logement. Mais ceux qui ont la chance d’avoir leur propre toit sur la tête ne sont pas forcément bien lotis. C’est pour dénoncer l’état déplorable des logements sociaux à La Réunion, la mauvaise gestion des immeubles par les bailleurs sociaux, le prix des loyers et le montant exorbitant des charges locatives qu’une manifestation a été organisée le 23 septembre à Saint-Denis par la CNL, à laquelle ont participé environ 300 personnes.

Au même moment, une autre manifestation, celle-là contre les violences policières, réunit une cinquantaine de personnes devant la préfecture, dont les syndicalistes de la FSU, de la CGTR, de FO, Solidaires, Saiper, Attac Réunion et de la Ligue des droits de l’Homme, qui revendiquaient une police plus conforme « aux valeurs républicaines ». Pour notre part, nous avons fait le choix d’être aux côtés des familles populaires manifestant pour dire stop « aux bidonvilles modernes » dans lesquels ils vivent.

Ces fléaux, illettrisme, diabète, mal-logement, frappent particulièrement les classes populaires et sont aggravés par le désengagement financier de l’État dans la santé, l’éducation, etc.

Économie de subventions en mode insulaire

Avec la crise, nombre de petites entreprises sont au bord du gouffre. En revanche les affaires des grands groupes capitalistes, en particulier les Hayot, ­Leclerc, Ravate, Tereos, etc. qui dominent la grande distribution, le bricolage, l’agroalimentaire, se portent plutôt bien, dopées par les exonérations d’impôts sur les bénéfices, totales pendant cinq ans dans les zones franches urbaines (ZFU), et par les millions d’euros de subventions, notamment celles de l’État et de l’Europe, distribuées localement par le département et la région. En matière de distribution de cadeaux aux capitalistes, la région mérite le prix d’excellence. Elle est dirigée depuis 2021 par une alliance de gauche avec à sa tête Huguette Bello, ex-dirigeante du PCR qui a créé son propre parti, le PLR (Pour la Réunion).

Un exemple de sa politique de cadeaux aux entreprises est la mobilisation de capitaux pour remettre en vol la compagnie aérienne Air Austral. Cette compagnie aérienne appartenait à 99 % à la Sematra, une société d’économie mixte dont la région possédait 73,5 % des parts. Air Austral croulant sous une dette de 250 millions d’euros, la présidente de la région a fait « appel au patriotisme » des « investisseurs réunionnais ». Un groupe de 27 investisseurs privés, dont Run Air, groupe mené par Michel Deleflie, le PDG du groupe Clinifutur, s’est porté candidat à son acquisition à la condition… que ses dettes soient effacées ! Le message a été reçu cinq sur cinq par la région, l’État, le département et la Commission européenne, qui ont autorisé une aide à la restructuration de 119 millions d’euros. Le département, autre actionnaire de la Sematra, ayant accordé une subvention de 5 millions d’euros, ce sont au total 185 millions d’euros de dettes qui ont été effacées au profit de Run Air, qui détient désormais 55 % de Air Austral. Huguette Bello, désignée présidente du conseil de surveillance, s’est réjouie d’une opération dont elle tire « une grande fierté ». De son côté, Michel Deleflie, voulant gagner sur tous les tableaux en bon capitaliste qui se respecte, n’a pas manqué de rappeler que l’objectif est de « travailler dur » pour « assurer rentabilité et compétitivité » à Air Austral.

C’est encore Huguette Bello qui, le 1er décembre, au nom de la pluralité de la presse locale, a fait voter à la région une aide de 600 000 euros à l’un des deux quotidiens de l’île menacé de liquidation judiciaire. Aussitôt, l’autre quotidien, le Journal de l’Île de La Réunion (JIR), s’est porté candidat à la même aide, sa situation n’étant pas meilleure. Le Quotidien, créé il y a 47 ans par un industriel réunionnais, Alfred Chane Ki Chune, ayant accumulé des millions de dettes, sa fille a licencié un tiers des journalistes, ce qui a fait plonger encore plus la vente du journal. Si, faute de repreneur crédible le 13 décembre prochain, le tribunal de commerce décide de confirmer la liquidation judiciaire de l’entreprise, 150 salariés perdront leur emploi. Le patron imprimeur local du JIR s’est porté candidat à la reprise, avec pour programme de faire table rase des droits des journalistes et même de les remplacer par ChatGPT pour économiser sur les salaires !

Les profiteurs de crise sortent du bois.

Son dévouement au service des intérêts de la bourgeoisie, la présidente de la région aura l’occasion de le pratiquer à une échelle encore plus grande, venant d’être désignée pour un an à la présidence tournante des neuf régions ultrapériphériques de l’Union européenne (la Guyane, la Guadeloupe, Saint-Martin, la Martinique, La Réunion, Mayotte, les Canaries, les Açores et Madère). Ce poste la place dans l’antichambre des institution européennes pourvoyeuses d’argent public. Elle peut s’y faire l’intermédiaire de ces valeureux entrepreneurs quémandeurs de la manne étatique et européenne que sont les capitalistes. Comme le font les politiciens de tous bords au service de ce système.

Ripostes ouvrières

L’offensive patronale est ressentie dans tous les secteurs. Des grèves éclatent contre les licenciements, les mauvaises conditions de travail et pour des augmentations de salaire. En voici quelques exemples.

Les chauffeurs-ripeurs de Derichebourg ont fait grève à plusieurs reprises pour exiger que la direction leur fournisse des camions de ramassage respectant les normes de sécurité. Les camions, n’étant pas réparés, sont un vrai danger pour tout le monde, il y a eu plus d’une vingtaine d’accidents de travail et sur une équipe de quarante personnes près des trois quarts sont en arrêt maladie, selon les syndicats.

Le mois dernier, les travailleurs de SPL Estival, le réseau de transport de l’Est, qui emploie 126 salariés, se sont mis en grève pendant dix jours contre un plan de licenciements voulu par le mandataire judiciaire et la direction. En effet la société, plombée par une dette de 2,9 millions d’euros, a été mise en redressement judiciaire.

Depuis des mois, les travailleurs pouvaient constater une gabegie que les syndicalistes avaient dénoncée. Le PDG a d’ailleurs été démis de ses fonctions mais les six maires de la communauté de communes, la CIREST, les donneurs d’ordres en quelque sorte, n’assument pas leur responsabilité, chacun se défausse en accusant l’autre. Mais tous sont d’accord pour que leur incurie soit payée par les travailleurs.

La grève a été très largement suivie. Presque tous les bus étaient à l’arrêt. Pour les grévistes, le mot d’ordre était sans équivoque : aucun licenciement !

C’est une intersyndicale qui a pris les rênes de la grève. Les camarades de Lutte ouvrière ont milité pour que les grévistes prennent leur grève en main. Mais ces derniers sont restés plutôt en retrait de la direction du mouvement et ont fait confiance à l’intersyndicale.

Sans prendre l’avis des grévistes, des membres de l’intersyndicale ont proposé des solutions à la direction, envisageant même publiquement des baisses de salaire. Cela a mis en colère les grévistes mais, leur nombre étant alors en baisse, cela n’a pas suffi pour qu’une autre direction de la grève s’organise. La grève a été mise en pause par l’intersyndicale, dans l’attente de nouvelles rencontres.

En novembre également, les hospitaliers du CHU sont entrés en grève pour réclamer davantage de moyens matériels et humains. Leur grève a été présentée comme en partie victorieuse car, au bout des quelques jours de mobilisation devant les établissements hospitaliers du Nord, du Sud et de l’Ouest, les grévistes ont obtenu que le gouvernement mette la main à la poche par l’augmentation du coefficient géographique, porté de 31 % à 34 % pour La Réunion. Si cette mesure, réclamée depuis des années par les soignants, va apporter quelque 15 millions dans l’escarcelle du CHU, elle est loin de lui permettre de se libérer de sa dette, qui dépasse les 80 millions d’euros. Mais surtout, elle ne satisfait pas les grévistes, qui continuent à réclamer la pérennisation de plus de 1 100 contrats précaires.

La CGTR

Pendant que le patronat est à l’offensive et que l’inflation ronge le pouvoir d’achat, la direction confédérale de la CGTR est empêtrée dans des bagarres intestines. Le secrétaire général, accusé de dilapider l’argent du syndicat, a été révoqué par la commission exécutive et le conseil confédéral, les deux instances dirigeantes du syndicat, deux ans après son élection. La plupart des membres du bureau issu du congrès de 2021 ont été mis sur la touche ; un bureau dit « transitoire » a été mis en place et un congrès extraordinaire avait été fixé au 25 novembre dernier. Au nom de leur structure syndicale respective, sept membres mécontents de la CE ont fait appel à un tribunal pour régler leurs comptes avec le bureau « transitoire » accusé de ne pas respecter les statuts. Suite à cela, le 10 novembre, le tribunal de Saint-Denis a nommé une mandataire « pour d’une part assurer le fonctionnement de la confédération, d’autre part, veiller au respect des statuts ». C’est la mandataire judiciaire qui va donc occuper pendant six mois (et aux frais du syndicat !) le poste de secrétaire général de la CGTR.

Cette situation sans précédent a choqué bien des militants de la CGTR, et même au-delà. Au nom de l’union régionale de l’Est, dont nous sommes toujours responsables, nous nous adressons aux syndiqués. Nous rappelons les principes que nous avions défendus lors du dernier congrès en 2021. Le syndicat doit être une école de démocratie ouvrière dans laquelle les travailleurs trouvent naturellement leur place. Dans cet objectif, nous avions proposé une révision des statuts ouvrant la commission exécutive à tous ceux qui voulaient investir leur bonne volonté et leur disponibilité dans l’élaboration de la politique et des activités du syndicat. Cette proposition avait été rejetée.

Finalement, les règlements de comptes dans un petit cénacle refermé sur lui-même ont conduit à remettre les manettes de l’organisation syndicale entre les mains d’une représentante officielle de l’État bourgeois ! Les choses n’ont ainsi jamais été aussi claires.

Mayotte

Les informations, les reportages, les tournées ministérielles n’ont pas manqué de mettre le projecteur sur la situation catastrophique de Mayotte. Pénurie d’eau, caillassages de cars, d’automobiles, opération Wuambushu, bandes de jeunes à l’abandon, cherté de la vie, rien de ce qui pourrit la vie des Mahorais n’a trouvé de solution. Mais tout sert la politique sécuritaire, autoritaire, xénophobe des Darmanin et autres Le Pen.

Politique

À La Réunion, cinq des sept députés sont de gauche. Ils passent bien plus inaperçus que la présidente de la région, ou que la maire PS de Saint-Denis. Si, à l’occasion du mouvement sur les retraites en début d’année, ils ont pu prendre des positions calquées sur celles des syndicats, ils ne se distinguent le plus souvent que par leur suivisme nationaliste. Ainsi, à coups de communiqués et de diverses gesticulations parlementaires, sous prétexte de s’opposer à la politique du gouvernement, ils apportent leur voix au concert anti-zoreils (Blancs métropolitains).

Pour sourire un peu, citons la réaction du député Nupes de l’Est, Jean-Hugues Ratenon, s’inscrivant dans la polémique soulevée par deux naturistes militant pour leur cause : ils se baladent nus avec sac à dos sur les chemins de randonnée. Les médias rapportant les prudes indignations que ce petit fait divers provoque, le député Ratenon, dans une surenchère nationaliste avec d’autres politiques, y est allé de son indignation ! « C’est inadmissible, scandaleux, profondément choquant. […] Nous les Réunionnais n’avons pas cette culture qui s’apparente à de la débauche. »

Lutte ouvrière / Arbeidersstrijd (Belgique)

La Belgique, siège de l’OTAN

Dans les déclarations guerrières des dirigeants des pays de l’Union européenne, ce n’est pas la Belgique qui se fait le plus remarquer. Mais c’est une apparence trompeuse.

Car c’est quand même en Belgique que se trouve le quartier général de l’OTAN. Et l’industrie d’armement de la Belgique veut aussi sa part du butin. Les F-16 livrés par les pays membres de l’OTAN à l’Ukraine seront par exemple entretenus par Sabena Technics en Belgique, très satisfait d’avoir remporté ce contrat juteux. L’armée belge ne fait pas exception. Elle voit son budget augmenter fortement et embauche à tour de bras : 4 000 recrutements sont annoncés en 2024, un chiffre record. C’est à comparer à l’état catastrophique dans lequel se trouve l’enseignement. La pénurie criante d’enseignants conduit à supprimer de nombreuses heures de cours. Mais là, il n’y a pas de recrutement. Par contre, le ministre responsable de l’enseignement francophone se demande à voix haute s’il ne faut pas baisser les salaires des enseignants.

Également dans l’air du temps, dans l’enseignement professionnel et technique, une nouvelle filière a été ouverte il y a quelque temps. Elle forme aux « métiers de la défense et de la sécurité ».

Aggravation de l’exploitation

Dans les entreprises, l’exploitation s’est fortement aggravée. Chez les sous-traitants d’Audi, les intérimaires sont souvent appelés une heure après le début de la prise de travail de l’équipe, quand les contremaîtres ont constaté le nombre d’absences et le volume à produire. Ce sont des contrats pour quelques heures, pendant lesquelles il faut souvent faire le volume d’une journée entière. Ceux qui s’y refusent descendent dans la liste des intérimaires appelés. Chez Audi même, la direction a plusieurs fois annoncé des samedis travaillés mais, au lieu des samedis, ils ont eu plusieurs périodes de chômage. Actuellement, les décisions de la direction du groupe sur l’avenir de l’usine, où est produit un modèle électrique qui arrive en fin de cycle, sont suspendues à l’évolution de la situation d’Audi en Chine, à l’évolution de la mobilité électrique en Europe, à la guerre en Ukraine, à la prochaine guerre qui va éclater quelque part, etc. Devant les flottements de la direction et l’annonce de la « suspension » du deuxième modèle produit à l’usine, l’inquiétude monte parmi les travailleurs.

Avec ça, les profits ont encore une fois pulvérisé les records. Et cela avec un volume de production et de vente en baisse. Les dividendes du groupe Volkswagen, dont Audi est une filiale, ont augmenté de 80 % depuis 2019.

Boycott ou grève ?

Le conflit social qui a marqué l’année est celui dans la chaîne de supermarchés Delhaize, qui fait depuis quelque temps partie du groupe hollandais Ahold. La direction du groupe a annoncé en février 2023 vouloir franchiser les 128 magasins qui ne l’étaient pas encore. Cela signifie une attaque majeure sur les salaires et les conditions de travail. Avec la perte des primes et de l’ancienneté, certaines travailleuses vont perdre jusqu’à 25 % de leur revenu ! Les employées les plus âgées craignaient à juste titre d’être poussées dehors par les patrons franchisés. Il y a eu des réactions des travailleurs dans tous les magasins concernés. Elles ont rencontré beaucoup de sympathie dans la population et ont duré plusieurs mois, malgré les huissiers envoyés, la menace d’amendes, etc. Mais à aucun moment les directions syndicales n’ont appelé à élargir le mouvement, au moins au reste du secteur de la distribution. Pourtant, pas une seule enseigne n’a échappé aux restructurations ces derniers mois.

Et, en fait, c’est encore pire que ça, car l’idée dominante du mouvement n’était même pas la grève, mais le blocage et le boycott. Les clients étaient appelés à boycotter Delhaize, et les dépôts de marchandises furent plusieurs fois bloqués. Les étagères vides et la perte de clients étaient censées rendre plus difficile pour Delhaize de trouver des candidats pour les franchises. Les clients étaient donc invités à faire leurs courses chez Aldi, Lidl, Carrefour ou Colruyt… où les conditions de travail ne sont guère meilleures. Cela a surtout bien isolé les travailleurs, et les magasins sont en train de passer sous franchise, comme prévu par la direction. Les dirigeants des appareils syndicaux viennent ainsi de sacrifier non seulement les salaires et conditions de travail et de vie des travailleuses et travailleurs concernés, mais aussi leur meilleure implantation dans ce secteur.

Vers de nouvelles crises politiques et attaques sociales

Le gouvernement semble parti vaille que vaille pour tenir jusqu’aux prochaines élections, qui auront lieu en juin 2024… Mais les lendemains de ces élections sont lourds d’une nouvelle crise politique. Lors des dernières élections en 2019, plus de 20 % des votes valables sont allés à des partis qui n’ont jamais été au gouvernement.

En Wallonie, c’est le Parti du travail de Belgique qui récupère le mécontentement. Il s’agit d’un parti aux références maoïstes, qui se présente à la gauche du PS. En Flandre, c’est l’extrême droite du Vlaams Belang, écarté du pouvoir par un « cordon sanitaire ». Dans les derniers sondages, le PTB est crédité de 19,2 % en Wallonie. En Flandre, le Vlaams Belang deviendrait le premier parti avec 23,3 %.

Former une coalition gouvernementale sera un exercice encore plus compliqué que les dernières fois pour les politiciens qui veulent gouverner. Et les nationalistes flamands annoncent déjà que leur soutien à une coalition sera conditionné par le fait de démembrer le pays encore un peu plus. La crise politique sera à coup sûr utilisée pour tenter d’arracher une nouvelle réforme d’État. Or, c’est sous cette forme-là que passent les plus grandes attaques sociales en Belgique. Les pouvoirs qui restent encore au niveau fédéral, et qui seraient donc encore régionalisables, se font rares aujourd’hui. En fait, à part l’armée, le morceau qui reste à dépecer, c’est le système de la Sécurité sociale.

Les travailleurs des trois régions du pays devront trouver le moyen de se défendre ensemble. Et c’est loin d’être simple. Aux Wallons, les politiciens du PS vont désigner « les Flamands » comme responsables des nouvelles attaques sociales. C’est à cause de ces Flamands qui « votent à droite » que le PS doit toujours faire le contraire de ce qu’il promet… Si l’extrême droite est moins forte électoralement en Wallonie, c’est surtout parce qu’elle est dispersée. Un parti plus crédible saurait détourner une partie des électeurs du PTB. Mais la situation peut vite changer, et les groupes du type identitaires sont en train de se développer. Au fond, les travailleurs en Flandre ont les mêmes préoccupations et les mêmes intérêts que les travailleurs en Wallonie.

Sinif Mücadelesi (Turquie)

L’an dernier déjà, en Turquie, on ne pouvait même plus parler de crise économique, mais d’un effondrement. Cela ne s’est pas amélioré. On peut citer quelques chiffres parlants.

Ainsi, en 2018, la Banque centrale avait encore environ 28 milliards de dollars de réserves. Aujourd’hui, elle n’a plus de réserve, mais un trou de plus de 56 milliards de dollars ! Le cours de la monnaie turque, la livre (LT), ne cesse de s’effondrer. En 2018, il fallait 5 livres turques pour avoir un euro. Aujourd’hui il en faut plus de 31 : son cours a été divisé par 6. Cela se traduit par le renchérissement de tous les prix. La population subit tous les jours les conséquences de cette inflation. Le prix d’un pain de 200 grammes est passé de 1,25 LT en 2018 à 8 LT aujourd’hui. Le prix d’un kilogramme de tomates était de 4,6 LT en 2018 et il est passé à 25 LT en novembre 2023. Globalement, le prix des produits alimentaires a augmenté de 531 % en deux ans, entre septembre 2021 et novembre 2023. 27 millions de personnes n’arrivent à survivre que grâce aux quelques aides qu’elles reçoivent, des communes ou de diverses associations d’entraide. Le montant des loyers a été multiplié par 3, voire par 4, à tel point que dans la presse on lit tous les jours des informations sur des bagarres opposant les propriétaires aux locataires, mortelles dans certains cas. Autre fait parlant : au début de cette année, 73 % des jeunes, ne voyant aucun avenir en Turquie, voulaient quitter le pays, un chiffre passé à plus de 80 % en novembre 2023 !

L’évolution politique

Dans le contexte de cette dégradation économique, politique et sociale, l’opposition s’est regroupée pour les élections du mois de mai. Ils ont créé une Alliance nationale, composée de six partis autour du CHP, le Parti républicain du peuple, qui se dit social-démocrate. La fin du régime d’Erdogan semblait arrivée. Finalement cela n’a pas été le cas.

On peut comprendre pourquoi en regardant ce qu’a été la politique de ce CHP depuis 2015 et la composition de cette Alliance nationale. Les cinq partis qui se sont regroupés avec le CHP sont tous des partis de droite, voire d’extrême droite, des partis réactionnaires sans véritable base dans la population. Pendant la campagne électorale, cette alliance n’a rien dit ni fait aucun geste qui aurait pu susciter de l’espoir ou des illusions. Sa campagne électorale était axée autour de slogans complètement creux, du genre « Demain tout ira bien ! »

D’après la dernière Constitution, Erdogan, ayant effectué deux mandats, ne devait pas avoir le droit de se présenter à l’élection présidentielle. Le CHP n’a même pas entrepris les actions en justice nécessaires pour empêcher sa candidature, expliquant que de toute façon il allait balayer Erdogan aux élections. Il n’était donc absolument pas nécessaire de chercher à faire appliquer la loi ! Enfin, dans sa campagne électorale, le candidat du CHP, Kiliçdaroglu, s’est gardé d’expliquer ce qu’il aurait fait concrètement en arrivant au pouvoir. Il a préféré axer sa campagne contre les immigrés, surtout les immigrés syriens.

Autre fait significatif : au début du mois de janvier de cette année, dans quelques quartiers, des manifestations spontanées contre les augmentations importantes des prix ont eu lieu. Très rapidement, le CHP et ses alliés sont intervenus pour les faire arrêter, en expliquant qu’elles faisaient le jeu du pouvoir d’Erdogan !

Un climat réactionnaire

Erdogan et son parti ont donc gagné les élections, sans doute en partie grâce à la fraude. Déjà, lors des élections de 2015, qu’ils risquaient de perdre, ils avaient mis en circulation plusieurs millions de bulletins non valides, et avaient ainsi gagné !

La victoire d’Erdogan et de son parti n’a rien changé à la situation économique catastrophique. En fait de changement, le ministre de l’Économie et des Finances du nouveau gouvernement est un ancien ministre qu’Erdogan lui-même avait traité d’escroc ! À la tête de la Banque centrale, ils ont placé une femme venue exprès des États-Unis et censée être une experte des questions financières. Des démarches ont aussi été effectuées auprès de pays comme le Qatar ou l’Arabie saoudite en vue de prêts, sans grand succès jusqu’à présent. Le gouvernement essaye aussi de trouver de l’argent en vendant les propriétés de l’État. Au mois de mars prochain, des élections municipales sont prévues. C’est pourquoi toute la vie politique est tournée vers cette échéance, et le gouvernement d’Erdogan cherche à faire bonne figure malgré la crise.

En même temps, le gouvernement continue sa politique de répression. Les arrestations arbitraires continuent, frappant les militants de gauche, les militants kurdes ou simplement des journalistes qui ont écrit des articles un peu critiques. Cela entretient un climat de peur parmi les militants et même dans une partie de la population.

En ce qui concerne la classe ouvrière, la situation est catastrophique du fait de l’inflation galopante et de la crise. Il y a des réactions par-ci, par-là, et même quelques grèves dans certaines usines de taille moyenne. Le mécontentement augmente en particulier parmi les 150 000 travailleurs de la métallurgie. Pour le moment, ils attendent les résultats des négociations pour les conventions collectives, qui arrivent à échéance. Les syndicats ne font cependant rien pour mobiliser les travailleurs. Ils se souviennent des luttes de l’année 2015, qui les avaient un peu débordés, et ils préféreraient visiblement les éviter.

1Cf. « Créole et politique en Martinique et en Guadeloupe », Lutte de classe n° 235, novembre 2023.

 

2Les vidéos des interventions présentées lors de ce congrès sont visibles sur le site http://www.workingclassfight.com.

 

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