Violences policières, violences urbaines : les symptômes d’une société condamnée16/09/20232023Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/2023/09/234.jpg.484x700_q85_box-0%2C0%2C1383%2C2000_crop_detail.jpg

Violences policières, violences urbaines : les symptômes d’une société condamnée

L’exécution à Nanterre le 27 juin de Nahel M., 17 ans, par un policier a déclenché dans de nombreuses villes du pays sept nuits d’émeutes et de destructions auxquelles a répondu une brutale répression policière. Ces émeutes, symptômes de la violence sociale et de l’impasse d’une société pourrie d’injustice, sont aussi un indicateur du retard dans la conscience politique des exploités face aux offensives de la bourgeoisie et de ses représentants.

Pour venir à bout de 8 000 à 12 000 jeunes émeutiers, chiffres du ministère de l’Intérieur, le pouvoir a laissé les mains libres à ses « cognes ». Plus de 45 000 policiers ont été déployés comme s’ils étaient en guerre dans un territoire ennemi. Les unités mobilisées, dont le Raid, le GIGN et autres forces antiterroristes, ont utilisé tout leur arsenal, y compris les LBD (lanceurs de balles de défense) qui crèvent les yeux et fracassent les crânes. Dans les quartiers concernés, il ne fallait pas croiser la police. Ainsi Mohamed, 27 ans, livreur à scooter, est mort d’un arrêt cardiaque à la suite d’un tir de LBD à Marseille. Dans cette même ville, Hedi, 22 ans, a reçu un tir de LBD dans la tête alors qu’il se promenait après son travail dans un restaurant. Mutilé, il est resté des jours dans le coma. À Mont-Saint-Martin, près de Longwy, Aimène, 25 ans, agent de sécurité, a reçu un tir de bean bag (un sachet rempli de petites billes) lancé par les policiers du Raid à travers la fenêtre ouverte de sa voiture, le laissant dans le coma, puis définitivement handicapé.

Selon les chiffres du ministère de la Justice, au 6 juillet, plus de 3 700 gardes à vue, 1 122 défèrements devant un juge et 586 comparutions immédiates avaient été décidés. Dans les jours suivants, la justice s’est abattue sur les jeunes arrêtés. Selon une note de l’Inspection générale de la justice du 25 août, 4 164 personnes ont fait l’objet d’une procédure. Dupond-Moretti, ministre de la Justice, a donné le ton en envoyant une circulaire aux procureurs exigeant une réponse judiciaire « rapide, ferme et systématique » avec « des peines sévères ». Il réclamait une sévérité aggravée « pour ceux qui visent des policiers ». Pour répondre à cette injonction et « traiter cette masse de procédures », selon les mots du porte-parole des procureurs, ces derniers et les juges ont été mobilisés jour et nuit, y compris le week-end, pour rendre une justice de classe et d’abattage. Ainsi à Chartres, un jeune homme de 25 ans a écopé de sept mois ferme avec incarcération immédiate pour vol en réunion dans un magasin pillé. À Nancy, deux jeunes ont pris quatre mois ferme plus quatre mois avec sursis pour avoir tiré des mortiers d’artifice. D’autres ont été condamnés à six mois de prison pour avoir lancé un projectile contre la police. Plus du tiers des prévenus étaient des mineurs et les deux tiers n’avaient aucun antécédent judiciaire.

Le contraste est évident entre cette justice aussi rapide qu’expéditive contre des jeunes émeutiers ou supposés tels et la lenteur et la mansuétude dont font preuve les tribunaux quand il s’agit de juger les puissants qui enfreignent la loi, des industriels qui ont tué par l’amiante ou le chlordécone ou qui s’affranchissent des mesures de sécurité élémentaires sur les lieux de travail.

Une violence destructrice, produit d’une société de classe

Bien sûr, la destruction de centres sociaux, de dispensaires, d’écoles, de médiathèques et autres équipements ou magasins, dont les premiers usagers sont les habitants des quartiers populaires, a suscité de la consternation et de l’effroi parmi ces habitants eux-mêmes. L’incendie de plus de 10 000 voitures particulières, la mise à sac des arrêts de bus ou de trams, voire la destruction de ces bus eux-mêmes, a mis en colère bien des travailleurs, voisins ou parents des émeutiers, qui voyaient partir en fumée leur seul moyen de transport, parfois toutes leurs économies et qui savent que la reconstruction et la remise en service, si elles interviennent, prendront des mois. La fureur destructrice de ces jeunes témoigne d’un manque de conscience évident. Et ce n’est pas un hasard si des petits voyous et des trafiquants, pour qui les quartiers pauvres ne sont que des territoires à défendre, ont pu participer à ces émeutes, ou si le mimétisme et la recherche d’adrénaline ont pu compter autant que la révolte après l’assassinat de Nahel, comme l’ont déclaré de nombreux jeunes devant les juges.

Mais à qui la faute si ces jeunes, qui vivent quotidiennement les contrôles au faciès et les réflexions racistes, qui voient leurs parents trimer au travail pour un salaire qui ne leur permet pas de vivre dignement, se battre pour toucher les indemnités auxquelles ils ont droit ou subir les discriminations pour trouver un emploi ou un logement, n’ont pas trouvé d’autres formes que cette violence stérile et autodestructrice pour exprimer leur rage ?

Ce n’est certainement pas la faute de leurs parents, comme l’ont répété jusqu’à la nausée Dupond-Moretti, ministre de la Justice, exigeant « que les parents tiennent leur gosses », ou Macron menaçant de sanctionner financièrement les familles « dès la première connerie ». Outre son mépris social profond, Macron visait, en reprenant cette démagogie de l’extrême droite, à opposer les jeunes casseurs et ceux parmi les classes populaires que choquaient les destructions, avant tout parce qu’ils étaient les premiers à en subir les conséquences. Comme lors de la révolte des gilets jaunes, en montant en épingle la violence des émeutiers, Macron cherchait à les discréditer aux yeux d’une fraction du monde ouvrier et à effrayer la population.

C’était aussi une façon de masquer ses propres responsabilités et celles de toute la classe dirigeante depuis des décennies. Car à qui la faute si beaucoup de banlieues sont devenues de véritables ghettos où la pauvreté et la précarité conduisent certains jeunes, et parfois même des très jeunes, à tremper dans des trafics en tout genre ? À qui la faute si des policiers racistes s’amusent à provoquer tous les jeunes qu’ils croisent ? Et à qui la faute si les bureaux de poste ou les hôpitaux de proximité ont été fermés ? À qui la faute si les classes dans ces quartiers sont surchargées pour faire des économies de professeurs alors que la variété des origines des enfants, des langues parlées à la maison et le manque d’accès à la culture de bien des familles exigeraient l’inverse ? C’est évidemment la responsabilité de ceux qui se succèdent au pouvoir, et non celle des habitants de ces quartiers populaires d’où partent, tôt le matin, bien avant que les enfants soient levés, des cohortes de travailleurs pour aller faire le ménage, conduire les premiers bus ou prendre leur service dans les hôpitaux, quand ils ne travaillent pas de nuit.

La responsabilité du mouvement ouvrier

Dénoncer le mépris social des dirigeants bourgeois, comprendre les racines profondes des émeutes de juillet et partager la colère des jeunes confrontés au racisme quotidien de la police, ne signifie ni approuver les méthodes des émeutiers ni en faire les précurseurs d’un soulèvement populaire contre l’ordre social. Leurs méthodes sont stériles et il faut le dire clairement. Détruire des écoles, des centres sociaux ou des équipements collectifs, s’en prendre à des mairies, voire à des maires, est peut-être une façon confuse et primaire de s’en prendre à l’État, mais ce n’est pas une première étape vers la prise de conscience qu’il faut renverser un ordre social inique qui ne profite qu’à la classe capitaliste. Affirmer, comme on l’entend souvent, même parmi les travailleurs, « qu’il faut tout casser pour se faire entendre » n’a rien de radical. C’est au contraire une façon de renoncer à utiliser la puissance de notre force collective. En matière de pillage et de destruction, aucun émeutier n’arrivera jamais à la cheville de la grande bourgeoisie prête à mettre la terre entière en coupe réglée, à piller et détruire la planète, à exploiter l’humanité et à fomenter les guerres.

Qualifier les émeutes de juillet de soulèvement populaire ou de soulèvement de la jeunesse, comme certaines organisations, de Révolution permanente au NPA, qui se refusent à se démarquer des casseurs, est une position spectatrice et suiviste, finalement aussi stérile que celle qui consiste à réclamer de plus en plus de policiers pour faire face aux effets délétères du chômage et de la pauvreté. La classe des travailleurs n’a pas vocation à tout détruire, à commencer par les quartiers où elle vit. Elle a comme rôle historique de réorganiser de fond en comble la production et la distribution des richesses pour permettre de satisfaire les besoins de toute l’humanité. Son rôle fondamental dans l’économie lui donne le pouvoir et la légitimité de diriger toute la société.

La tâche de militants communistes révolutionnaires n’est pas de s’aligner derrière les émeutiers. Elle est de militer en direction des travailleurs pour qu’ils relèvent la tête, reprennent confiance en leurs propres forces et contestent la dictature de la bourgeoisie sur toute la société. Nous devons défendre cette idée autour de nous : si la jeunesse des quartiers populaires ne voit pas d’autre voie pour exprimer sa révolte que de détruire son propre environnement, c’est au fond de notre faute, à nous les travailleurs. Nous faisons tout fonctionner, nous sommes indispensables, mais nous nous comportons comme des esclaves en acceptant de travailler toujours plus pour survivre. Nous n’avons pas su mobiliser toutes nos forces dans la bataille pour empêcher un Macron de nous voler deux ans de notre retraite, nous avons engagé le combat en économisant nos forces. Comment pourrions-nous, dans ces conditions, incarner un espoir d’avenir meilleur aux yeux de la jeunesse ?

Derrière ce retard dans la conscience, il y a la responsabilité des organisations issues du mouvement ouvrier, partis et syndicats, qui ont remplacé, depuis des lustres, les idées de la lutte de classe par des phrases creuses sur les « valeurs de la République », qui ont semé des illusions dans les institutions étatiques, qui ont appelé les travailleurs, élection après élection, à remettre leur sort entre les mains de prétendus sauveurs suprêmes qui n’ont d’autre objectif que de gérer les affaires de la bourgeoisie. Mais il n’y aura pas de raccourci pour rebâtir des organisations ouvrières révolutionnaires et la rage destructrice d’une fraction de la jeunesse ne pourra pas remplacer la conscience des travailleurs.

La police, gardienne de l’ordre social

Des partis de gauche (LFI, EELV mais pas le PCF ni le PS), le NPA et le POI, des syndicats dont la CGT, la FSU et Solidaires, des associations comme Attac et la Ligue des droits de l’Homme, ont lancé, en juillet et de nouveau pour le 23 septembre prochain, des appels à manifester contre les violences policières et le « racisme systémique » dans la police. Dans un texte intitulé Notre pays est en deuil et en colère, ils réclament « l’abrogation de la loi de 2017 sur l’assouplissement des règles en matière d’usage des armes à feu par les forces de l’ordre », et « une réforme en profondeur de la police, de ses techniques d’intervention et de son armement ».

La loi de 2017, voulue par l’ancien Premier ministre socialiste Bernard Cazeneuve et votée par la majorité qui soutenait François Hollande, en modifiant l’appréciation de la légitime défense, a renforcé le permis de tuer dont disposent les policiers. Après bien d’autres, cette loi était destinée à donner des gages aux syndicats de policiers les plus réactionnaires après une agression contre des policiers à Viry-Châtillon. Pour autant, de la mort de Malik Oussekine à Paris en 1986 à celle de Zyed et Bouna à Clichy-sous-Bois en 2005, la police n’a pas attendu cette loi, ni pour tuer ni pour étaler son racisme.

Si une fraction de la police est en effet raciste et gangrenée par les idées de Zemmour, Le Pen et de l’extrême droite – ce que subissent au quotidien les jeunes des quartiers populaires –, la cause première des violences policières n’est pas le racisme des policiers. C’est la nécessité de contraindre les pauvres à accepter leur condition et à rester dans leurs ghettos sans se révolter. La violence d’État est clairement dirigée contre les milieux populaires, contre les habitants des quartiers pauvres, contre les travailleurs, surtout lorsqu’ils luttent, forment des piquets de grève ou occupent leur entreprise. La violence de la police est d’abord celle d’une société de classes de plus en plus dure et d’un système d’exploitation qu’il faut renverser. Prétendre mieux former la police ou « revoir ses techniques d’interventions », c’est faire l’impasse sur son rôle fondamental.

Au contraire, la faiblesse politique du gouvernement et la dégradation générale de la société poussent le pouvoir à laisser les mains libres à sa police. Ainsi, le directeur général de la police a-t-il déclaré, face à la mobilisation des policiers s’opposant à la détention provisoire de leur collègue qui a laissé Hedi pour mort à Marseille : « Cela m’empêche de dormir, avant un procès, un policier n’a pas sa place en prison », encourageant la rébellion policière et son extension à d’autres villes du pays. En mai 2021, les trois quarts des dirigeants politiques, de Le Pen et Zemmour à Fabien Roussel et Olivier Faure en passant par le ministre de l’Intérieur en exercice, Darmanin, avaient apporté leur soutien à une manifestation de syndicats de police, devant l’Assemblée nationale, qui réclamaient un durcissement des lois et une plus grande sévérité de la justice.

Quant à réclamer « le désarmement de la police » comme le fait le NPA, c’est proprement ridicule. Car qui la désarmera ? Darmanin ? Macron ? C’est-à-dire ceux-là mêmes qui ne cessent de donner des gages aux policiers les plus réactionnaires et qui s’appuient sur l’appareil d’État bourgeois… Les seuls qui pourront un jour désarmer la police, ce sont les travailleurs quand ils seront eux-mêmes en armes et qu’ils se donneront les moyens de détruire l’appareil d’État de la bourgeoisie. Et ils trouveront alors en travers de leur route tous les politiciens réformistes qui appellent aujourd’hui à manifester pour une réforme de la police et réclament une bonne justice « républicaine ». Il faut se rappeler comment Maurice Thorez, secrétaire général du PCF, aida de Gaulle et la bourgeoisie française, en 1944, à reconstruire son appareil d’État, c’est-à-dire son appareil de répression, en revendiquant « une seule police, une seule armée » pour dissoudre au plus vite les groupes armés issus des maquis et de la Résistance et redorer le blason de la police vichyste. Cette police dite « républicaine » fut envoyée en 1947-1948 contre les mineurs en grève par le socialiste Jules Moch. Moins de quinze ans plus tard, elle torturait dans les commissariats français les Algériens soupçonnés de soutenir le FLN, et en tua plusieurs centaines lors de la tragique « nuit noire » du 17 octobre 1961.

La police ne peut être autre chose qu’une bande d’hommes en armes destinée à défendre l’ordre social par tous les moyens, y compris les plus brutaux. Maintenir un ordre social injuste est un sale boulot qui ne peut être fait que salement. La seule voie de sortie est de militer pour renverser cet ordre social.

11 septembre 2023


 

Partager