L'accord Ligue Communiste - Lutte Ouvrière pour les élections législatives de mars 197301/01/19731973Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

L'accord Ligue Communiste - Lutte Ouvrière pour les élections législatives de mars 1973

Lors des élections législatives qui se dérouleront en France en mars 1973, les révolutionnaires seront présents. En effet, sur les 473 circonscriptions électorales que compte la France, trois cents environ verront la candidature d'un candidat trotskyste, de Lutte Ouvrière ou de la Ligue Communiste. Lutte Ouvrière présente en effet 170 candidats, et la Ligue Communiste 130. De plus, ces 300 circonscriptions sont pour l'essentiel des circonscriptions ouvrières, réparties dans la plupart des villes grandes et moyennes du pays, et dans 84 départements sur 95. C'est dire que, pour la première fois dans l'histoire du mouvement trotskyste, la plupart des travailleurs français auront la possibilité de voter pour un de ses candidats. Cela peut apparaître bien peu, si l'on compare cette situation à celle des grandes organisations politiques de gauche ou de droite, mais ce simple fait, inimaginable il y a quelques années, témoigne des progrès accomplis par les organisations trotskystes, et de leurs possibilités.

Mais la division du mouvement trotskyste posait un problème important pour son apparition au cours de ces élections. Et ce problème n'a pu être réglé qu'en surmontant l'inconséquence et le sectarisme qui sont le fait malheureusement habituel de toute une partie de l'extrême gauche.

Au début de l'été 1972, trois organisations trotskystes avaient annoncé publiquement leur intention de présenter des candidats aux élections législatives. Il s'agit de la Ligue Communiste (Section française du Secrétariat Unifié), de l'Organisation Communiste Internationaliste (OCI rattachée au Comité International), et de nous-mêmes. Mais aucune de ces organisations ne pensait couvrir, par ses propres forces, l'ensemble des 473 circonscriptions du pays.

Nous avons alors proposé (voir Lutte de Classe No 2) à ces organisations un accord politique, prévoyant :

- un accord de répartition des circonscriptions aboutissant à ne présenter qu'un candidat de l'une des trois organisations par circonscription ;

- un appel de chaque organisation à voter pour l'ensemble des candidats révolutionnaires quelle que soit l'organisation à laquelle il appartient.

- une présentation des candidats des trois organisations sous le sigle commun d'un «Front des Révolutionnaires», en plus du sigle de sa propre organisation.

Nous avons fait de telles propositions tout d'abord parce que nous pensions qu'il ne serait pas juste de voir des candidats appartenant à différentes organisations trotskystes, se réclamant d'une même tradition politique, et d'un même terrain de classe, se présenter les uns contre les autres, sans avoir tenté de parvenir à un accord politique même limité, lors de cette campagne électorale. Nous ne pensons pas pour autant que les divergences qui séparent nos organisations sont négligeables ; elles sont au contraire importantes. Mais ces divergences importantes sont finalement de peu de poids, en regard de ce qui nous est commun lorsqu'il s'agît d'affronter, devant les travailleurs, nos ennemis bourgeois et réformistes. Car, dans la campagne électorale des révolutionnaires, c'est bien cela qui importe avant tout. Et il ne s'agit pas de cacher nos divergences, le temps d'une campagne, de peur qu'elles ne donnent de nous une mauvaise image aux travailleurs. Il s'agit au contraire de montrer aux travailleurs que nous sommes des révolutionnaires responsables, et que nos divergences ne nous empêchent pas de nous battre ensemble, chaque fois que cela est possible.

Et, dans les circonstances de cette campagne électorale, un accord des organisations trotskystes permet d'élargir beaucoup leur intervention. En effet, nous proposions, par cet accord, d'additionner en fait les forces des différentes composantes du mouvement trotskyste, en répartissant ses candidats dans le plus grand nombre de circonscriptions possible, afin de donner au plus grand nombre possible de travailleurs la possibilité concrète d'exprimer, par leur vote pour un candidat révolutionnaire, tant leur hostilité à la droite que leur méfiance pour l'Union de la Gauche.

C'est dire que notre proposition n'était nullement un simple accord de répartition des circonscriptions, ou un «pacte de non-agression» selon les termes qu'a employé un dirigeant de la Ligue Communiste, termes bien révélateurs d'une façon erronée de poser le problème. Nous proposions un accord politique, dont l'accord de répartition des circonscriptions ne pouvait être qu'un aspect. Et nous ne cherchions pas un accord pour cacher les divergences existantes mais un accord mettant en relief ce qui est commun aux trois organisations, et fait qu'elles se trouvent qu'elles le veuillent ou non dans le même camp, face aux candidats de la bourgeoisie et à ceux du réformisme, un accord soulignant la solidarité politique des révolutionnaires face à leurs ennemis de classe, et cela quelles que soient leurs divergences. L'accord de répartition des circonscriptions impliquait d'ailleurs, en soi, un tel accord politique. Car comment justifier un accord de répartition entre organisations se considérant comme des ennemis sur le plan politique ?

Mais cette proposition d'un accord politique s'est heurtée à des réticences, tant de la part de la Ligue Communiste que de la part de l'OCI, alors que ces organisations se sont tout de suite déclarées favorables à un accord de répartition des circonscriptions. C'est qu'un accord politique se heurtait aux pratiques sectaires habituelles dans l'extrême gauche, et en particulier entre les organisations trotskystes.

Mais ce sont les faits eux-mêmes qui imposaient cet accord. Pour les travailleurs, comme d'ailleurs pour nos ennemis de classe bourgeois ou réformistes, les organisations trotskystes représentent, qu'elles le veuillent ou non, un même courant politique. Aucune ne peut prétendre représenter à elle seule le courant révolutionnaire, contre les autres tendances. C'est donc la situation elle-même qui imposait aux organisations trotskystes de s'entendre pour offrir aux travailleurs, face à la droite et à «I'Union de la Gauche», un même visage politique. Cela n'impliquait d'ailleurs pas, pour chacune d'entre elles, la perte de son originalité, ou la mise sous le boisseau de ses divergences avec les deux autres, chacune pouvant mener la campagne électorale à sa façon, selon ses méthodes, et en accord avec ses analyses politiques. Mais cet accord impliquait la simple prise de conscience de la réalité, et du fait que face à l'ennemi de classe d'une part, aux yeux des travailleurs d'autre part, nous représentons le même courant, et devons nous battre ensemble.

Malgré leurs réticences et leur sectarisme, tant l'OCI que la Ligue Communiste l'ont finalement fort bien compris, puisqu'elles ont accepté immédiatement une discussion sur la répartition des circonscriptions. Et si elles se sont trouvées si réticentes à un accord politique, sans voir qu'une répartition des circonscriptions impliquait un tel accord, cela ne fait que démontrer une grave inconséquence.

En ce qui concerne l'OCI, le sectarisme a finalement été le plus fort, puisque cette organisation a finalement refusé un tel accord politique, et par conséquent aussi un accord de répartition des circonscriptions. Après avoir depuis le début des négociations entre les trois groupes, c'est-à-dire depuis mai dernier, accepté de discuter ce dernier point, le représentant de l'OCI a finalement déclaré, au mois de décembre, que son organisation se refusait à appeler à voter au premier tour pour la Ligue Communiste ou Lutte Ouvrière, et envisageait d'appeler indifféremment, àl'échelle nationale, à un vote en faveur de Lutte Ouvrière, de la Ligue Communiste, ou... du PCF ou du PS, mettant toutes ces organisations sur le même plan. Encore l'OCI ne s'engageait pas elle même à ce que cette prise de position nationale corresponde aux prises de position locales de ses militants. L'OCI laissait ainsi ouverte la possibilité de voir ses militants appeler à voter pour le PC ou le PS... contre la Ligue Communiste ou Lutte Ouvrière.

Une telle position retirait tout sens politique à un accord de répartition des circonscriptions, qui se serait réduit dans ces conditions à un simple marchandage électoral sans principe. Et il ne nous restait plus dans ces conditions qu'à constater, de la part de l'OCI, la rupture de fait des discussions, et à nous rabattre sur un accord à deux, associant la Ligue Communiste et Lutte Ouvrière. Nous avons appris par la suite que l'OCI décidait finalement de ne présenter plus que 19 candidats, alors que, au début de nos négociations, elle annonçait son intention d'en présenter 180 ! Un tel recul revient à se retirer de ces élections, et à renoncer à apparaître en tant que tendance politique nationale, puisqu'un tel chiffre ne donne même pas droit à l'utilisation de la radio et de la télévision. Et nous sommes convaincus que si l'OCI a finalement fait ce choix, ce n'est pas pour des simples raisons matérielles, mais bien pour des raisons politiques ; le refus d'un accord avec la Ligue et avec Lutte Ouvrière impliquait de de la part de l'OCI que celle-ci estimait nécessaire de nous affronter politiquement y compris sur le terrain électoral et d'apparaître ainsi à l'échelle nationale comme tendance distincte des deux autres, capable d'expliquer aux travailleurs, pourquoi il fallait voter pour elle plutôt que pour les deux autres. Si l'OCI a finalement reculé devant ce choix, qui n'aurait été que la conséquence logique de sa rupture, cela revient à reconnaître par la négative que les faits imposaient cet accord politique. Si elle a finalement choisi de se retirer en fait, plutôt que d'accepter un accord avec nos deux organisations, cela prouve son sectarisme et son inconséquence, mais démontre aussi que les organisations trotskystes n'avaient pas d'autre choix logique qu'un accord entre elles. Et l'attitude de l'OCI n'est que cette réaction, trop répandue dans l'extrême gauche, qui consiste à se cacher la tête dans le sable, plutôt que d'accepter l'attitude responsable qu'impose la situation politique.

L'attitude de la Ligue Communiste elle-même confirmé au fond ce point de vue. Si ses représentants ont, dès le début, accepté une discussion sur les circonscriptions, ils ont tout comme l'OCI, exprimé leurs réticences devant l'accord politique que nous proposions, en ne voyant pas plus que l'OCI l'inconséquence qu'il y avait à accepter la première discussion en refusant la seconde. Lors de son congrès lui-même, tenu les 7, 8, 9 et 10 décembre derniers, la Ligue Communiste a exprimé clairement cette opposition dans une résolution, en déclarant (cf. Rouge - n°184 du 16 décembre 1972)

«Le premier tour sera conçu comme une bataille anti-électorale et de clarification programmatique. (...) L'affirmation d'un courant révolutionnaire, en opposition avec le programme d'Union de la Gauche, ne peut se réaliser sous la forme d'un front politique commun des diverses composantes de l'extrême gauche. Un tel front, s'il était praticable, serait confusionniste et contradictoire avec notre tactique de clarification de l'extrême gauche».

«Elle ne peut se réaliser davantage à travers un accord politique entre Lutte Ouvrière, l'OCI et la Ligue, incluant un vote mutuel au premier tour. Une telle «solution» (...) crée la confusion en accréditant l'idée journalistique de la «famille trotskyste». De plus un tel vote «trotskyste» ne permet pas de polariser l'ensemble des voix d'extrême gauche pour faire apparaître sur le terrain électoral un courant en rupture avec l'Union de la Gauche.»

Mais les faits sont têtus, et ont fini par s'imposer même à ceux qui ne voulaient pas les voir. La preuve en est que les dirigeants de la Ligue eux-mêmes ont, au lendemain même de leur Congrès, fini par se ranger à notre proposition d'un accord politique, en signant avec nous le texte suivant «Décider périodiquement, pour un certain nombre d'années, quel membre de la classe dirigeante foulera au pied, écrasera le peuple au Parlement, tel est l'essence véritable du parlementarisme bourgeois, non seulement dans les monarchies constitutionnelles parlementaires, mais encore dans les républiques les plus démocratiques»

Ce qu'écrit Lénine en 1917 n'a en rien vieilli quant au fond, et les élections législatives de 1973 qui se préparent en sont une excellente illustration. D'un côté, les gaullistes au pouvoir depuis 14 ans, leurs alliés d'aujourd'hui, giscardiens et centristes, ainsi que les réformateurs qui -se sont déjà déclarés prêts à se joindre demain à la majorité actuelle, se donnent ouvertement pour but, au-delà de leurs querelles trompeuses, la défense des intérêts capitalistes.

De l'autre, les partis regroupés au sein de l'«Union de la Gauche», en prétendant vouloir «changer la vie», ne cherchent qu'à recueillir les suffrages des travailleurs pour accéder à leur tour au gouvernement, dans le cadre d'un État bourgeois et d'une société d'exploitation dont aucun des rouages, aucune des structures ne seraient fondamentalement modifiés. Le contenu du Programme Commun qu'ils ont signé atteste de leur volonté de ne pas s'en prendre au capitalisme lui-même.

C'est pourquoi les révolutionnaires interviendront dans cette campagne pour affirmer que ce ne sont pas les élections, mais la lutte de classe qui mettra définitivement à bas le système capitaliste, pour défendre les perspectives de la révolution socialiste.

Les deux organisations, Ligue Communiste et Lutte Ouvrière, présenteront à elles deux des candidats dans 300 circonscriptions. La Ligue Communiste et Lutte Ouvrière appellent les travailleurs à voter pour leurs candidats afin d'exprimer ainsi leur volonté d'en finir avec l'exploitation capitaliste, de ne pas se fourvoyer dans les impasses réformistes -stalinienne ou social-démocrate et de s'engager ensemble sur la seule voie qui puisse mener à leur libération celle de la révolution socialiste.

Cet accord politique entre la Ligue Communiste et nous-mêmes est donc aujourd'hui un fait acquis. Le plus important est que, face à la droite et à l'Union de la Gauche, les révolutionnaires mettent toutes leurs forces dans la balance pour affirmer leur présence, montrer qu'ils sont une tendance bien vivante dans la classe ouvrière. Nous regrettons seulement que l'OCI n'ait pas cru devoir se joindre à cet accord, en préférant finalement se retirer. Le mouvement révolutionnaire a encore fort à faire pour se débarrasser d'une de ses tares majeures : le sectarisme, qui mène à la démission devant les tâches politiques. Pour notre part, nous en sommes très conscients, et nous continuerons à le combattre, sous toutes ses formes. Et, si nous avons pu, au cours de cette discussion préélectorale, marquer des points contre ce sectarisme des organisations trotskystes, nous sommes conscients d'avoir ainsi défendu l'intérêt général du mouvement trotskyste, c'est-à-dire l'intérêt de la classe ouvrière.

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