Quand la Ligue Communiste prend des « leçons de stratégie diplomatique »01/11/19721972Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Quand la Ligue Communiste prend des « leçons de stratégie diplomatique »

« Le GRP vient de reprendre de façon éclatante l'initiative diplomatique ». C'est en ces termes que le numéro 171 de Rouge, l'organe de la Ligue Communiste (la section française du Secrétariat Unifié), commentait à la mi-septembre les propositions du GRP, dans lesquelles celui-ci se déclarait partisan de la formation d'un gouvernement de « concorde nationale », avec la participation de représentants du gouvernement Thieu, gouvernement qui pourrait d'ailleurs bien naître dans les jours qui viennent si l'on en croit les rumeurs de plus en plus importantes qui circulent à l'heure où nous écrivons à ce sujet. Et Rouge d'ajouter, admiratif, « à la leçon de stratégie militaire le GRP ajoute une leçon de stratégie diplomatique ».

Cette manière de poser sur le plan de la tactique diplomatique un problème qui relève de l'orientation politique générale du FNL est tout de même assez surprenante de la part de gens qui se réclament du marxisme.

Ce n'est pas que la déclaration en question du FNL ait changé quoi que ce soit de fondamental à la politique de cette organisation. Mais on aurait cependant pu croire que l'expression « concorde nationale » avait un sens suffisamment précis, et une résonance suffisamment forte, pour amener ceux des militants révolutionnaires qui identifient la lutte du FNL au combat pour la révolution socialiste à se poser quelques questions.

On nous dira sans doute qu'après vingt-cinq ans d'une guerre quasiment ininterrompue, contre l'impérialisme français d'abord, contre l'impérialisme américain ensuite, nul ne peut reprocher aux combattants vietnamiens de rechercher un compromis avec l'adversaire. Et il est vrai qu'il ne s'agit pas de jouer aux jusqu'au-boutistes du Café du Commerce. Mais le problème n'est pas celui de savoir si le FNL a raison ou non de rechercher un compromis avec ses adversaires, mais est celui du contenu politique du compromis proposé par le Front National de Libération.

Rouge écrivait encore par exemple dans ce numéro : « Présent dans le gouvernement provisoire, n'ayant pas eu à déposer ses armes, le GRP n'aura aucun mal à garantir le caractère démocratique des élections. Le résultat de ces élections ne fait guère de doute. La formule de gouvernement de concorde nationale est donc une formule de transition. Elle a pour fonction de détacher du régime Thieu et des États-Unis les forces qui n'ont pas encore pris parti ou qui suivaient Saïgon... Il ne sert à rien d'exterminer les ennemis qui n'ont plus de pouvoir effectif, tel est le sens de la part que le GRP va faire à l'administration Thieu dans le gouvernement de concorde nationale... »

A lire cette prose, on pourrait croire que cette « politique de clémence » (l'expression est de Rouge) est destinée aux garçons de bureau des ministères de Saïgon, ou aux sous-officiers de l'armée de Thieu ! Or, ce n'est évidemment pas de cela qu'il s'agit. Ce que propose le GRP, c'est la formation d'un gouvernement formé de représentants du gouvernement Thieu, de représentants du FNL et de neutres, avec, évidemment, une administration, une police et une armée -c'est-à-dire un appareil d'État- à cette image. Et si les dirigeants du FNL considèrent qu'une telle fusion est possible, c'est qu'ils sont conscients, eux, de ne pas se battre sur un terrain de classe différent de celui de leurs adversaires. Les appels à la « concorde nationale » ont d'ailleurs un sens bien précis en politique : il ne peut s'agit que de concilier les intérêts contradictoires et inconciliables de toutes les classes de la société, mais il s'agit, au nom de cette « concorde nationale », de placer les masses à la remorque des classes dominantes.

Et si, à terme, il est évidemment possible, et même probable, que dans le cas d'une telle combinaison le pouvoir finirait par se retrouver entre les mains du seul FNL, il n'en reste pas moins que l'appareil d'État né dans ces conditions serait absolument étranger aux masses laborieuses du Vietnam, et à plus forte raison au prolétariat. Qu'il ne serait en rien leur État, défendant leurs intérêts, mais qu'il défendrait au contraire des intérêts de classes opposés à ceux des travailleurs vietnamiens.

Encore une fois, les nouvelles propositions formulées par le GRP en septembre ne constituent nullement un virage politique de celui-ci. Elles s'inscrivent au contraire très logiquement dans la politique qui est celle du FNL depuis ses origines. Elles éclairent seulement plus crûment la manière dont les dirigeants du Front voient le problème de leurs rapports avec l'appareil d'État en place à Saïgon.

« Les révolutionnaires vietnamiens - écrivait encore Rouge - répètent depuis des années qu'ils donneront toutes les occasions aux États-Unis de ne pas perdre la face, mais que sur le fond, sur les principes, le droit à l'autodétermination du peuple vietnamien, ils ne transigeront pas ». Tout le problème est là. Pour le FNL, « le fond, les principes », c'est « le droit à l'auto-détermination du peuple vietnamien ». Et pour la Ligue Communiste aussi. Mais où est dans tout cela le prétendu contenu socialiste de la lutte du FNL ? Où est la « révolution indochinoise » dont la Ligue voudrait se faire le porte parole ?

Ce que la Ligue Communiste appelle une « leçon de stratégie diplomatique », c'est la banale application d'une politique vieille comme la lutte du prolétariat : celle qui consiste à enchaîner celui-ci au char des forces bourgeoises, au nom de la « concorde nationale ». Que pourrait donner l'application, par la Ligue, de telles « leçons de stratégie diplomatique » dans le cadre de la lutte politique dans ce pays ? La verrons-nous demain applaudir à la formation d'un gouvernement Marchais-Messmer sous prétexte de « stratégie » politique, et en expliquant que l'UDR n'a « plus de pouvoir effectif » ?

Les révolutionnaires se doivent d'apporter au peuple vietnamien un soutien sans restriction. Mais soutenir la lutte du peuple vietnamien ne signifie nullement se mettre à la remorque de la direction politique de cette lutte, alors que celle ci se place sur le terrain du nationalisme bourgeois et de la « concorde nationale ». Et quelle que soit l'influence que cela puisse avoir sur les événements, c'est trahir complètement son devoir internationaliste que d'apporter sa caution à une telle politique. Au nom, précisément, de la solidarité avec les combattants vietnamiens, et pour que les immenses sacrifices qu'ils ont consentis ne soient pas vains, nous devons tout mettre en oeuvre pour reconstruire la Quatrième Internationale. Y compris au Vietnam.

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