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Transport maritime : CMA CGM et son talon d’Achille
Mardi 24 septembre, Rodolphe Saadé, dirigeant et propriétaire de la CMA CGM, troisième armateur mondial de porte-conteneurs, devait se rendre au Brésil pour y acheter la concession portuaire de Santos.
Pour 2,2 milliards de dollars CMA CGM acquiert ainsi le plus grand port à conteneurs de l’Amérique du Sud, installations, portiques et personnel compris. Il est capable de traiter trois millions de conteneurs par an, et 40 % du fret entrant ou sortant du Brésil y transite. Il ne s’agit que de la dernière emplette de la compagnie qui gère, par l’intermédiaire de deux filiales, des terminaux portuaires tout autour du monde pour un trafic total de plus de 30 millions de conteneurs en 2023.
L’arrivée de CMA CGM à Santos illustre la puissance acquise par les grandes compagnies maritimes, grâce aux dizaines de milliards de dollars de bénéfices accumulés chaque année entre 2020 et 2023. Les quatre premières compagnies et leurs alliances concentrent désormais 80 % du trafic de conteneurs. Elles détiennent en tout ou en partie les principaux ports et leurs opérateurs, de Shanghai à Los Angeles, de New York à Rotterdam. Elles ont commencé à acheter les lignes ferroviaires et aériennes qui desservent leurs terminaux, les flottes de camions et de péniches qui pénètrent les continents. Elles promettent ainsi à leurs clients une ponctualité et une fiabilité sans égales et l’assurance de gérer avec précision les flux de marchandises et de produits semi-finis indispensables à l’économie mondiale et, avant tout, à la réalisation du profit.
Ce monopole de fait et les surprofits éhontés qu’il permet n’existent que grâce à la complaisance des États, des plus puissants au premier chef. Les fonds publics ont financé les installations portuaires gigantesques nécessaires aux bateaux géants, des kilomètres de quai, des bassins excavés à 18 mètres, l’élargissement des canaux vitaux de Suez et de Panama, des grues de 65 mètres de portée capables de déplacer des charges de 30 tonnes, des milliers d’hectares pour stocker les conteneurs, des autoroutes et des voies de chemin de fer pour les emporter. Ils ont tous voté les lois exemptant les compagnies d’impôts, d’obligations sociales et de presque tout contrôle de sécurité, de pollution, de risque. Ils repoussent tous ne serait-ce que l’obligation de déclaration de perte d’un conteneur en haute mer et rechignent à organiser un contrôle portuaire sérieux : le trafic doit être fluide et rapide, quand bien même il s’y mêlerait quelques tonnes de cocaïne de-ci de-là…
Une loi américaine, dont des équivalents sont en vigueur dans nombre de pays, soustrait même les armateurs aux responsabilités civiles au prétexte que leur activité est à la fois nécessaire et risquée. Ainsi le coût total du naufrage du Dali, qui a provoqué le 26 mars 2024 la mort de six ouvriers et bloqué le port de Baltimore et sa région des mois durant, est estimé à quatre milliards de dollars. Pourtant, en usant de cette loi, les deux armateurs prétendent s’en tirer avec quelques dizaines de millions de dollars d’amendes.
Guidée par le profit, couvée par les États, la prouesse technique qui consiste à transporter une telle quantité de marchandises avec une telle fiabilité, mène à une monstrueuse concentration du capital. Moyennant quoi, Rodolphe Saadé, dont la fortune se compte désormais en dizaines de milliards d’euros, parle avec assurance de ses succès, de ses bénéfices et de sa puissance croissante dans une interview à l’hebdomadaire Le Marin, lundi 23 septembre. Il condescend même à dire qu’il « prendra sa part » au cas où le gouvernement demanderait un geste aux contribuables les plus fortunés. Et de préciser qu’il ne doit évidemment pas être question de modifier le mode de taxation au tonnage, grâce auquel la CMA CGM a extorqué 9 milliards au fisc en deux ans.
Il y a tout de même une ombre au tableau : Saadé prévoit quatre à six semaines de difficultés car les dockers de la côte Est des États-Unis se préparent à la grève pour leurs salaires à partir du 1er octobre. Eh oui, ses bateaux ne naviguent, ses conteneurs ne circulent et ses bénéfices ne s’accumulent que si les travailleurs, en Amérique et partout dans le monde, le veulent bien, et la suite logique de la concentration devrait être… l’expropriation.