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Dans le monde
Transport maritime : bombe flottante dans la Manche
Mardi 8 octobre, le MV Ruby, navire vraquier de 313 mètres de long sous pavillon maltais, était à l’ancre à l’entrée de la Manche, surveillé par les autorités maritimes britanniques et françaises
Le navire est chargé de 20 000 tonnes de nitrate d’ammonium, un engrais répandu sur toutes les terres agricoles mais qui est aussi un puissant explosif. Chauffé brusquement, à l’occasion d’un incendie par exemple, il a déjà produit de multiples ravages : 351 morts en Allemagne, lors de l’explosion de l’usine BASF en 1921, 31 morts à Toulouse dans celle d’AZF en 2001, 26 morts à Brest, en 1947, dans l’explosion d’un bateau, etc. La dernière grande catastrophe fut celle de Beyrouth, en 2020, avec 235 morts, des milliers de blessés et des destructions sans nombre. Il n’y avait pourtant, dans un entrepôt du port « que » moins de 3 000 tonnes de nitrate d’ammonium à l’abandon.
Après cette tragédie, une commission sénatoriale française a été chargée d’évaluer les risques liés au transport de ce produit, en particulier lors de son déchargement dans les ports maritimes et fluviaux de l’Hexagone. Dans ses conclusions la commission notait « une absence de système centralisé de suivi du trafic des matières dangereuses ». On en est là, c’est-à-dire nulle part, et le transport de nitrate d’ammonium est évidemment moins contrôlé encore à l’échelle internationale.
Le MV Ruby a donc, en toute légalité, chargé en Russie, sur la mer Blanche, plutôt que de le faire dans le port habituel, trop près du front ukrainien et des menaces de bombardements. Pris dans une tempête, au nord de la Norvège, le navire a subi des avaries, notamment des fissures à la coque et au gouvernail. Tous les ports lui ont refusé l’accès qu’il demandait pour pouvoir décharger, réparer, recharger et repartir. Escorté par un remorqueur, capable de l’empêcher de dériver vers une côte en cas de panne de moteur ou de direction, le navire a finalement fait route vers la Manche. Il a été arrêté avant de pénétrer dans cet étroit chenal par où 600 navires transitent chaque jour, dont nombre d’autres bombes flottantes, méthaniers, tankers, chimiquiers… Pour le moment, le MV Ruby, ses 19 hommes d’équipage et ses 20 000 tonnes d’explosif attendent donc, en vue des côtes anglaises.
Tout le monde se rejette la patate chaude, et même brûlante. Aucun port ne veut l’accueillir, même pas Malte, son port d’attache, ni les Canaries, sa destination prévue, qu’il aurait de toute façon les plus grandes difficultés à atteindre. La dangerosité du nitrate d’ammonium est suffisamment connue pour qu’on bloque un bateau endommagé qui en transporte. En revanche, on peut continuer sans problème à en produire, en stocker, en utiliser, en transporter, en vendre et en acheter. Les décisions et les bénéfices de ce commerce sont privés et individuels. Les conséquences, qu’elles soient catastrophiques ou simplement ubuesques, qu’une ville entière saute ou que 19 marins y laissent leur vie, seront supportées par la collectivité.