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Dans le monde
Sénégal : un nouveau président, et après ?
Bassirou Diomaye Faye, qui représentait Ousmane Sonko déclaré inéligible, a remporté les élections présidentielles sénégalaises dès le premier tour. La large victoire de ces deux hommes à peine sortis de prison est apparue comme un camouflet pour l’actuel président Macky Sall, mais aussi pour l’impérialisme français.
La population a fêté le résultat en descendant crier sa joie dans les rues des grandes villes sénégalaises. Ousmane Sonko apparaît depuis des années comme l’opposant le plus résolu au régime de Macky Sall et à la tutelle qu’exerce encore l’impérialisme français sur son ancienne colonie. Radié en 2016 de son poste de directeur des impôts pour « manquement à l’obligation
de réserve » après avoir dénoncé les affaires louches du président, il a alors fondé son parti, le Pastef, (Patriotisme, travail, éthique et fraternité) et est arrivé troisième aux élections présidentielles de 2019 avant de devenir maire de Ziguinchor, la grande ville de Casamance. La répression dont il a été victime n’a fait qu’accroître sa popularité.
Les opposants, cibles de la répression
En 2021 Ousmane Sonko a été condamné à deux ans de prison ferme pour corruption de la jeunesse, ce qui devait l’empêcher de se présenter aux élections de 2024. Puis, en juin 2023, une nouvelle condamnation, cette fois pour appel à l’insurrection et diffamation envers un ministre, l’a fait radier des listes électorales. L’annonce de ces verdicts a fait descendre toute une partie de la jeunesse dans la rue, avec en réponse une répression à la hauteur de ce qu’on pouvait attendre de ce régime que Macron présente comme la vitrine de la démocratie en Afrique de l’Ouest. La police a fait ainsi 14 morts en mars 2021 et 24 en juin 2023. Les trusts français comme Auchan, Total, Eiffage, étaient alors visés au même titre que les bâtiments officiels.
À l’approche des élections présidentielles initialement prévues le 25 février, Macky Sall a tenté une ultime manoeuvre en prétendant les reporter au 15 décembre, une date tardive qui a déclenché à nouveau la colère de la population. Trois personnes ont été tuées par les forces de répression dans les manifestations qui ont suivi. Devant le risque d’une explosion sociale, tout ce que le Sénégal compte de partis politiques, d’anciens chefs d’État ou de dignitaires religieux se sont précipités auprès de Macky Sall pour lui dire de ne pas s’obstiner, bientôt rejoints par les représentants d’autres pays africains et des grandes puissances. C’est devant ces pressions que Macky Sall a plié rapidement et autorisé à nouveau les manifestations, fixant les élections au 24 mars et libérant les opposants parmi lesquels Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye.
Qu’attendre du nouveau pouvoir ?
Les dirigeants du Pastef, hier emprisonnés, vont donc se retrouver à la tête du pays. Bien des travailleurs et des jeunes voient dans ce changement un moyen de mettre fin à la pauvreté, à la misère endémique qui pousse beaucoup d’entre eux à s’aventurer sur des bateaux surchargés, au risque de leur vie, pour tenter de rejoindre l’Europe.
Les déclarations du nouveau président pourraient cependant doucher cet enthousiasme. Ses premières paroles n’ont pas été pour les travailleurs, pour la majorité pauvre de la population, mais pour rassurer les dirigeants des grandes puissances : « Je voudrais dire à nos partenaires bilatéraux et multilatéraux que le Sénégal restera le pays ami et l’allié sûr et fiable de tout partenaire qui s’engagera avec nous dans une coopération vertueuse », a t-il déclaré. Autant dire que l’objectif n’est pas de chercher à s’affranchir de la domination impérialiste qui étrangle le Sénégal comme tous les pays pauvres, mais tout au plus de diversifier un peu les partenaires ou de sortir du franc CFA, ce qui ne garantit pas une amélioration du sort de la population. C’est ce que montre l’exemple de pays ayant leur propre monnaie, le Nigeria ou le Ghana. Et quand on voit Bassirou Diomaye Faye accepter sans sourciller le ralliement d’Abdoulaye Wade, président de 2000 à 2012, connu pour sa corruption, et de son fils Karim, il y a lieu de douter qu’il fasse vraiment changer les choses.
Le programme électoral du nouvel élu comporte un catalogue de promesses parlant d’un « État interventioniste », agissant pour « l’accès aux marchés publics des entreprises à capitaux nationaux » ou « l’appui aux champions nationaux ». Il semble donc surtout destiné à répondre aux intérêts des couches aisées de la population et des possédants. Il ne contient rien qui soit de nature à résoudre les problèmes de la population pauvre dans un pays où les prix des aliments ne cessent d’augmenter, où la hausse des loyers oblige les travailleurs à se loger de plus en plus loin alors que les transports sont défaillants, et où le chômage est tel que la plus grande partie de la population ne survit que grâce à des petits boulots aléatoires, vendeuses de rue ou taxis à la sauvette.
Au Sénégal comme dans toute une partie de l’Afrique, le rejet ô combien justifié de l’impérialisme français, du pillage auquel il se livre et de l’arrogance de ses représentants a porté de nouveaux dirigeants au pouvoir. Mais cela ne doit pas créer des illusions parmi les travailleurs ni à s’en remettre à ces dirigeants.
Le sort des travailleurs du Sénégal repose entre leurs propres mains. Il dépend de leur capacité à engager la lutte sur un programme de lutte regroupant derrière eux toute la population pauvre, en
lien avec les travailleurs des autres pays d’Afrique et au-delà.