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Russie : la valse des généraux corrompus
Le 17 mai, le général russe Ivan Popov, ancien commandant de la 58e armée combattant en Ukraine, a été placé en détention pour « fraude à grande échelle ». Selon ce qu’annonce l’agence de presse officielle TASS, il encourt jusqu’à dix ans de prison.
Depuis avril, au moins deux autres hauts responsables militaires russes ont été arrêtés pour corruption, les généraux Timour Ivanov et Iouri Kouznetsov, et le ministre de la Défense lui-même, Serguéï Choïgou, a dû quitter son poste. Les médias russes ont présenté son remplaçant, un économiste, comme un incorruptible, façon de dire que son prédécesseur, lui, ne l’était peut-être pas. Il y a quelques mois, son adjoint, le vice-ministre de la Défense, avait d’ailleurs été arrêté, là encore pour corruption.
Bien sûr, aucun de ces limogeages ou mises en accusation publique n’a pu se faire sans le feu vert de Poutine. Mais il n’y a aucune raison de croire qu’une envie de nettoyer les écuries de la bureaucratie l’aurait gagné. D’abord, parce qu’il est le représentant de cette caste parasitaire au sommet de l’État. Ensuite, parce que prétendre s’attaquer à la corruption de l’une ou l’autre de ses branches, la hiérarchie militaire par exemple, serait une tâche non seulement titanesque, mais surtout impossible. En effet la corruption et le pillage des ressources de l’État sont le mode d’existence de toute la bureaucratie, depuis un siècle qu’elle s’est emparée du pouvoir sous Staline.
Poutine joue au chevalier blanc de la lutte anti-corruption dans l’armée pour tenter de conforter son pouvoir, et donc celui de la bureaucratie. En ces temps de guerre où l’État exige de la population toujours plus de sacrifices, il doit faire croire qu’il la défend en ne tolérant pas que de hauts gradés s’engraissent alors que les soldats meurent au front.
Nul ne sait dans quelle mesure les classes laborieuses de Russie sont dupes de sa démagogie. Mais si Poutine décide, chose probable, de lancer une nouvelle mobilisation pour pousser son avantage actuel en Ukraine, alors que la population y serait réticente, il pourrait avoir une mauvaise surprise.
En faisant sauter des généraux de premier plan, en les envoyant en prison sous l’accusation de corruption, Poutine s’emploie aussi à préserver son propre pouvoir. L’été dernier, le coup de force avorté du chef de la milice Wagner, Prigojine, avait mis en évidence des fractures dans l’appareil dirigeant. Il était apparu qu’une partie de la haute hiérarchie militaire était critique quant à la façon dont le gouvernement menait la guerre, au point qu’elle n’avait pas su ou pas voulu faire obstacle aux putschistes, dont les troupes avaient progressé vers Moscou sans rencontrer de résistance notable.
Alors, le Kremlin n’en a sans doute pas fini d’avoir à punir, pour l’exemple, des généraux corrompus… en espérant que les postes ainsi libérés feront des heureux, et que les promus lui en sauront gré.