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Dans le monde
Russie : conscription et chair à canon
Le 1er octobre, l’armée russe a débuté sa campagne de conscription d’automne. Elle durera jusqu’au 31 décembre, avec un objectif chiffré : fournir à l’état-major les 180 000 hommes supplémentaires que Poutine vient de lui accorder.
En effet, bien que le bilan des pertes humaines de la guerre en cours soit l’un des secrets les mieux gardés, « l’opération militaire spéciale » de Poutine réclame un lot croissant de chair à canon. Les généraux envoient assez d’hommes à la mort pour saturer les capacités de défense des lignes ukrainiennes : c’est à ce prix que le Kremlin peut se vanter d’avoir « libéré » de nouvelles bourgades, écrasées sous les bombes et vidées de leurs habitants, devant Donetsk ou Zaporijjia.
Poutine voudrait apparaître comme le protecteur de sa population dans un contexte guerrier. Il fait dire depuis des mois qu’il refuse toute mobilisation générale et ne veut pas de conscrits pour faire la guerre en Ukraine. À l’en croire, elle ne requiert que des soldats de métier ou des volontaires.
De cette posture à la réalité, il y a un gouffre. D’abord, le terme « volontaire » relève du mensonge, nombre de soldats « sous contrat » n’ayant signé ce dernier que sous la contrainte. C’est celle de la pauvreté, s’agissant d’hommes et de femmes originaires de régions où il n’y a d’emplois que très mal payés, et qui peuvent donc considérer comme mirobolantes les sommes et primes versées à l’engagé, ou à sa famille s’il meurt au combat. Et il y a aussi la pression qui s’exerce sur des conscrits livrés à des officiers que pas grand-chose ne retient. Bientôt, leur arbitraire sera encore plus couvert par la loi : le ministère de la Défense va étendre la possibilité de mettre un soldat aux arrêts au motif d’indiscipline, en se passant, obstacle pourtant limité, de l’avis d’un tribunal militaire.
Récemment, le régime de la conscription s’est encore durci. Un retard de vingt jours pour s’enregistrer auprès de l’autorité militaire est passible d’amende et de diverses sanctions, dont la prison. Depuis le 1er janvier 2024, les hommes sont incorporables de 18 à 30 ans, contre 27 ans jusqu’alors. La mesure vise à ratisser même ceux qui ont obtenu des sursis répétés, pour études ou raisons familiales. Quant aux critères d’attribution d’un sursis, on les a rendus encore plus stricts.
L’armée y trouve évidemment son compte, mais aussi une foule de responsables militaires et civils qui vendent, à qui peut se l’offrir, la validation d’un certificat médical permettant d’être réformé ou celle d’un dossier de soutien de famille qui exempte d’aller à l’armée…
Certains restent dispensés d’office de ce service. Les élus à la Douma d’État et aux organes dirigeants des régions, autrement dit le personnel politique de la bureaucratie acquise à Poutine, le sont ainsi que les piliers du régime : les très nombreux policiers en tout genre.
À l’exception des travailleurs des industries de guerre qui, s’ils coupent à la conscription, restent à la merci d’un licenciement, c’est sur les membres des classes laborieuses que celle-ci repose. Ils paient le plus lourd tribut à cette guerre, individuellement en tant qu’appelés et collectivement avec la hausse des impôts, la fonte des salaires qui ne suivent pas une inflation proche de 10 % en cette fin d’année. Ils le paient aussi par l’accroissement du caractère policier, répressif et militarisé d’un régime au service des nantis de la bureaucratie et de la bourgeoisie russes.