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Leur société
Martinique : colère contre la vie chère
En Martinique, les mobilisations contre la vie chère n’ont pas cessé. Mardi 15 octobre, une « opération molokoy » (escargot) de sensibilisation a été organisée par les militants et sympathisants de la CGTM en direction des salariés de la zone Champigny à Ducos.
Officiellement, les prix de l’alimentation dépassent souvent de 40 % ceux des mêmes articles dans l’Hexagone. Les salaires, pensions et revenus sociaux sont très bas. Le chômage frappe la jeunesse. Un mouvement populaire contre la cherté de la vie, initié par le collectif Rpprac (Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéennes) dirigé par Rodrigue Petitot, dit « Le R », a débuté le 1er septembre. Il revendique l’alignement des prix de l’alimentation sur ceux de la France hexagonale. Plusieurs organisations syndicales ont appelé leurs adhérents à la mobilisation contre la vie chère et à exiger des augmentations des salaires, des pensions et des minima sociaux.
Mobilisations populaires et répression
Tout au long du mois de septembre, les manifestants ont multiplié les actions. Il y a eu des opérations chariots ou blocages des magasins à grande surface appartenant aux gros possédants békés locaux, comme Bernard Hayot. Il y a aussi les journées de grève auxquelles ont appelé les organisations syndicales, avec mobilisations auprès des salariés des zones commerciales de Jambette, La Lézarde au Lamentin et de Ducos. Ces manifestations sont populaires. Elles regroupent à chaque fois plusieurs centaines de salariés, de femmes, des jeunes, des retraités.
Lundi 7 octobre, les manifestations contre la vie chère ont été réprimées par les hommes de la CRS 8. Cette compagnie, connue pour ses méthodes agressives, avait été appelée en renfort par le préfet face au développement du mouvement contre la vie chère et aux heurts avec des groupes d’activistes et des jeunes en colère à la fin septembre. Ces policiers « d’élite » ont chassé les manifestants du barrage du carrefour Mahault, situé à une dizaine de kilomètres de Fort-de-France à coups de tirs de LBD et de grenades de gaz lacrymogène. Deux jours plus tard, le 9 octobre, c’était au tour des gendarmes de déloger sans ménagement les manifestants bloquant la route à l’entrée du bourg du Carbet dans le cadre d’une « opération île morte ».
Les premières réactions populaires à cette violence policière ont été de l’incompréhension. Les vidéos des échauffourées ont largement été partagées. Mais, très vite, face au mépris du gouvernement qui se défile et laisse pourrir la situation depuis plus d’un mois, le dégoût et aussi la colère ont pris place. Au lieu de répondre favorablement aux demandes légitimes de la population de baisser les prix, celui-ci envoie ses forces de répression attaquer des manifestants pacifiques. Cela fait trop !
Une jeunesse des quartiers en colère
Dans les nuits des 9 et 10 octobre, des groupes d’activistes et de jeunes se sont carrément déchaînés sur les voies publiques de l’île. Exprimant leur colère et cherchant sans doute à se venger, du nord au sud, de Saint-Joseph au Lorrain, en passant par la ville du Carbet ou Fort-de-France, ils ont multiplié les barrages enflammés, faits de voitures hors d’usage, d’arbres coupés et autres frigidaires. Ils ont aussi vandalisé de nombreux commerces, grands et petits, brûlant plusieurs concessionnaires de véhicules, une gendarmerie, une pharmacie, multipliant dégradations et pillages. Vendredi 11 octobre, la Martinique s’est réveillée abasourdie ! Les autorités ont commencé à déblayer et le ministre de l’Intérieur Retailleau s’est étouffé de colère, allant jusqu’à menacer de s’en prendre au leader du Rpprac, sans toutefois le nommer.
Les mobilisations populaires et de salariés contre la vie chère ont continué. La sixième table ronde autour de Serge Letchimy, président de la collectivité, et du préfet Jean-Christophe Bouvier, avec les patrons de la grande distribution et les représentants du Rpprac était prévue mercredi 16 octobre. État et patrons de la grande distribution ne sont toujours pas prêts à donner satisfaction aux revendications contre la vie chère.
Les 26 septembre et 1er octobre, six cents puis un millier de travailleurs ont manifesté dans les rues de Fort-de-France. Le préavis de grève reconductible de la CGTM est toujours valable.
Travailleurs en grève
Les travailleurs territoriaux, ceux de l’aéroport, du port, ont fait grève et manifesté durant plusieurs jours. Jeudi 10 octobre, ceux de l’aéroport ont manifesté dans les locaux avec beaucoup de détermination. Le même jour, des centaines de manifestants venus de l’extérieur ont envahi la piste et contraint à détourner tous les vols vers la Guadeloupe, car il était question de l’arrivée de plusieurs centaines de membres des forces de répression. Au Port, les travailleurs ont refusé pendant un moment d’embarquer les marchandises sur conteneurs.
Les habitants des quartiers pauvres, en particulier la jeunesse, ne connaissent que précarité, chômage, vie chère et répression policière, autant de méfaits engendrés par le capitalisme et aggravés par les séquelles coloniales. Le système économique ne fonctionne que pour les Hayot, Parfait, riches békés et bourgeois de couleur. Car, dans ce système, ce sont eux qui ont le pouvoir.
Jusqu’à présent, il est significatif que pour les préfet, patrons, dirigeants de la collectivité, il n’est jamais question lors des tables rondes des profits énormes du groupe GBH (groupe Bernard Hayot) ou de la CMA CGM, qui s’engraissent sur l’augmentation des prix. Le groupe Hayot, c’est plusieurs centaines de milliers d’euros de profits et la CMA CGM de la famille Saadé, ce sont 23 milliards de profits en 2023 sur le transport de marchandises.
Les travailleurs, soutenus par Combat ouvrier, réclament la baisse des profits sur les marchandises. Mais les gros capitalistes du transport et de la grande distribution cachent leurs marges. Ils refusent de dire combien de profits ils réalisent. Alors, à bas le secret commercial, à bas le secret des affaires ! Pour une réelle amélioration des conditions de vie, les salaires, les pensions, les allocations doivent augmenter en même temps que les prix augmentent !
Pour le moment, les émeutes des quartiers sont suspendues. Mais la mobilisation se poursuit. Des réunions et meetings ont lieu quotidiennement à la maison des syndicats.
Les négociations devaient reprendre mercredi 16 octobre. Il est question de baisser les prix sur 54 familles de produits de base, surtout alimentaires. Mais cela ne ferait pas encore le compte car rien n’est envisagé pour prendre sur les profits des sociétés de la grande distribution.
Cependant, il aura fallu toutes ces journées de colère populaire pour qu’État, préfet, administrations et patronat admettent que le mouvement de protestation était « légitime », comme l’a dit le préfet de la Martinique. Et la population et les organisations restent mobilisées et vigilantes.