- Accueil
- Lutte ouvrière n°2917
- Jean-Pierre Mercier : “La gauche rejoue 2002”
Élections législatives
Jean-Pierre Mercier : “La gauche rejoue 2002”
Question cinéma, les dirigeants de ce NFP ont sorti le grand jeu : ils ont recréé « une gauche qui change la vie pour renouer avec les jours heureux », a dit le socialiste Olivier Faure, ils vont répartir les richesses, « rétablir la concorde », rallumer la flamme à gauche, l’espoir, le soleil… I l y a 15 jours c’était encore Petits meurtres entre amis. Ils s’insultaient à qui mieux mieux, s’accusaient, excusez du peu, d’antisémitisme. Et voilà qu’en une nuit ils ont ressuscité le Front populaire et essayent de faire rêver de nouveau. C’est fou ce que la peur de perdre son strapontin peut changer un politicien ! (...)
Les promoteurs du Nouveau Front populaire ne cessent d’utiliser l’expression « changer la vie ». « Changer la vie », c’était le slogan de Mitterrand, pendant sa campagne de 1981. Les plus anciens d’entre nous s’en souviennent : le 10 mai 1981, jour de l’élection de Mitterrand, avait été une fête pour des millions de travailleurs, qui avaient sablé le champagne et étaient descendus danser dans les bals populaires pour célébrer « la victoire », tant le PS et le PCF avaient réussi à les convaincre que, enfin, tout allait changer.
Un an plus tard, le ton n’était plus à la fête. Ce fut le tournant de la rigueur, le blocage des salaires. Ce fut le gouvernement aidant le patronat à fermer les aciéries, la sidérurgie et licencier les ouvriers de l’automobile par milliers.
Ce fut l’explosion du chômage et de la pauvreté, au point que l’une des grandes conséquences du premier septennat de Mitterrand a été la création des Restos du coeur, pour tenter de donner à manger aux millions de « nouveaux pauvres », comme on les appela alors. Car, en 1982, ce sont bien les socialistes et le PCF qui ont réformé l’indemnisation du chômage, mettant fin à l’indemnisation sans limite de durée et créant la notion de « chômeurs en fin de droits », à qui ils accorderont royalement, quelques années plus tard, une misérable allocation de survie baptisée RMI. (...)
En 1997, le gouvernement Jospin, nommé Gauche plurielle et où Mélenchon, je le rappelle, était ministre, a tellement contribué à dégoûter les travailleurs que son mandat s’est terminé pour la première fois par la présence de Le Pen au second tour de l’élection présidentielle de 2002, à la place du candidat de gauche. Rappelons- nous la fermeture de l’usine Renault de Vilvoorde et le licenciement de ses 3 100 ouvriers, et l’aveu lamentable de Jospin justifiant de laisser faire en déclarant : « L’État ne peut pas tout. » Rappelons-nous la privatisation de France Télécom et d’Air France – sous la direction du ministre des transports PCF Jean-Claude Gayssot. (...)
Et puis, plus près de nous, il y a Hollande et Valls. Hollande, qui s’était fait élire en déclarant « Mon ennemi, c’est la finance », et dont le gouvernement fut le paillasson du Medef pendant cinq années, entamant avec la loi El-Khomri la destruction du Code du travail, et plaçant au ministère de l’Économie un jeune financier aux dents longues sorti de la Banque Rothschild, un certain Emmanuel Macron, qui allait finir par lui marcher dessus pour prendre sa place.(...)
Aujourd’hui, la gauche nous rejoue 2002. Elle nous dit, comme la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, l’a fait cette semaine, qu’il est « minuit moins une ». Elle parle de l’arrivée du fascisme au pouvoir, elle surjoue la dramatisation, dans le seul et unique but de faire voter pour la gauche, sans réfléchir au fait qu’elle n’a jamais été capable de contrer la montée de l’extrême droite, bien au contraire.
Les responsabilités de la gauche
Eh bien, les travailleurs ne doivent pas céder à cette panique que veut provoquer la gauche, et doivent au contraire bien réfléchir à qui est cette gauche qui prétend être un rempart contre l’extrême droite.
Ils doivent se souvenir que dès l’instant où le Front national a commencé à percer électoralement, aux élections municipales de 1983 pour être précis, la gauche, au lieu de combattre les idées du RN, a fait le choix politique conscient de reprendre une partie de ses idées à son compte.
Oh, le PCF n’avait pas attendu ce moment : c’est dès l’année 1981 qu’il avait commencé à diffuser une propagande sordide, par la voix de Georges Marchais, qui martelait, et je le cite mot pour mot : « La cote d’alerte est atteinte. Il faut stopper l’immigration clandestine et officielle » !
En 1991 encore, un tract du PCF disait : « L’immigration est-elle devenue aujourd’hui un vrai problème ? Notre réponse est OUI. (…) Le respect de la tranquillité des gens, des traditions et du mode de vie français – puisque nous sommes en France –, des droits et devoirs de la vie en commun est une exigence qui s’impose à tous et qui ne souffre aucune exception. »
Quant aux socialistes, c’est après avoir instauré la « rigueur » et bloqué les salaires en 1982 qu’ils ont commencé à apporter leur contribution à la montée de la xénophobie. Et ce n’étaient pas des petites phrases stupides : c’était bien une politique, destinée à détourner la déception des travailleurs.
À propos de la série de grèves sur les salaires dans l’automobile des ouvriers majoritairement maghrébins, des années 1982- 1983, le Premier ministre socialiste Pierre Mauroy déclarait : « Les principales difficultés qui demeurent sont posées par des travailleurs immigrés (…) qui sont agités par des groupes religieux et politiques qui se déterminent en fonction de critères ayant peu à voir avec les réalités sociales françaises. » Le ministre socialiste de l’Intérieur, Gaston Deferre, lui emboîtait le pas en parlant de grève téléguidée « par les ayatollahs ».(...)
Édith Cresson, Première ministre socialiste, osait plaisanter, en 1991, sur l’utilisation en vogue à l’époque du terme « charters » pour qualifier les avions ramenant de force les immigrés sans papiers dans leur pays : « Les charters, ce sont des gens qui partent en vacances avec des prix inférieurs. Là, ce sera totalement gratuit, et ce ne sera pas pour des vacances. »
Alors, que ces gens dits « de gauche » ne viennent pas distribuer des leçons de morale et jouer les horrifiés sur la situation politique actuelle. Ils en sont responsables, et même doublement responsables : d’abord parce que c’est leur politique qui a conduit à démoraliser et à déboussoler la classe ouvrière, et ensuite parce qu’ils ont eux-mêmes directement contribué à diffuser le poison du racisme et de la xénophobie parmi les travailleurs !