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- Lutte ouvrière n°2948
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il y a 80 ans
Janvier 1945, Auschwitz : ils savaient
Le 27 janvier 1945, l’armée soviétique entrait dans l’immense camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz-Birkenau, situé dans une région de Pologne annexée par l’Allemagne nazie. Un million cent mille personnes avaient été tuées dans ses installations, faites pour industrialiser le génocide.
Neuf cent mille de ces victimes furent envoyées à la mort dans les chambres à gaz dès leur arrivée à Auschwitz, les autres succombant au travail forcé, aux privations et aux mauvais traitements. Au total, la politique génocidaire du régime nazi fit six millions de morts. La très grande majorité étaient juifs, mais près d’un demi-million de Tziganes en furent aussi victimes. La barbarie visa également 100 000 handicapés qui furent envoyés à la mort, de même que des homosexuels et des prisonniers politiques. Beaucoup ne revinrent pas des camps de concentration où certains avaient été emprisonnés bien avant le début de la Seconde Guerre mondiale, dès l’arrivée de Hitler au pouvoir.
Malgré leur grand âge, une cinquantaine de survivants ont tenu à faire le déplacement jusqu’en Pologne pour ce quatre-vingtième anniversaire. Et on a pu entendre ou lire dans les médias les témoignages bouleversants de certaines et certains d’entre eux. Mais la commémoration a été aussi l’occasion de discours mensongers de nombre de dirigeants politiques, de Macron à l’ex-néo fasciste Meloni. Ils se posent en héritiers de ceux qui ont délivré le monde de la barbarie. Ils prétendent entretenir la mémoire de leur combat « du côté du bien contre le mal » pour garantir à l’humanité de ne plus jamais laisser faire une telle sauvagerie.
Il y a là une ignoble hypocrisie de la part de dirigeants qui ont couvert et continuent de couvrir les massacres contemporains. Mais de plus, présenter les faits comme le combat entre un camp démocrate et antiraciste qui se serait opposé à la dictature et à l’antisémitisme fascistes, c’est travestir l’histoire. Car les puissances alliées qui s’opposèrent à l’Allemagne nazie ne cherchaient pas à sauver les Juifs de la barbarie, mais à défendre les intérêts de leur camp impérialiste contre celui de puissances rivales regroupées autour de l’Allemagne.
L’indifférence des « puissances démocratiques »
Le programme raciste du régime nazi était connu bien avant la guerre, de même que sa politique génocidaire qui devait culminer avec ce que les nazis appelèrent la « solution finale ». Pourtant, alors que les persécutions antisémites faisaient rage en Allemagne, les régimes démocratiques, en Europe comme aux États-Unis, refusèrent aux Juifs, à quelques rares exceptions près, les visas qui leur auraient permis d’échapper à la mort. En 1938, la Conférence d’Évian, qui devait examiner la situation des Juifs autrichiens et allemands, garantissait aux pays invités qu’aucun d’entre eux ne se verrait contraint de recevoir des réfugiés. Elle eut pour seul résultat de permettre à chaque représentant des grandes puissances de justifier la fermeture de ses frontières aux Juifs fuyant la menace.
La complicité des alliés
Même quand, durant la guerre, le massacre s’étendit à toute l’Europe, avec la complicité active de gouvernements comme celui de Vichy, les dirigeants des puissances alliées se désintéressèrent du sort des populations juives.
Si l’atrocité des chambres à gaz et des charniers fut une horrible découverte pour le public en 1945, au moment de l’arrivée des troupes soviétiques ou occidentales à leurs portes, il ne s’agissait pas d’une révélation pour les dirigeants impérialistes. Ils mirent soigneusement en scène la libération des camps et la prise en charge des survivants afin de pouvoir prétendre qu'ils ne savaient rien de cette barbarie.
Cette version mensongère est démentie par les faits. Dans Le terrifiant secret, l’historien britannique Walter Laqueur rappelle que le gouvernement britannique connaissait les projets d’élimination de la population juive dès 1941 et qu’en 1943, son ministère des Affaires étrangères interdit toute mention des chambres à gaz. La raison cyniquement avancée par les dirigeants américains comme britanniques était que la diffusion des informations sur l’anéantissement de millions de Juifs aurait détourné les forces alliées de l’effort de guerre. En septembre 1944, le chef du département des Affaires méridionales du ministère des Affaires étrangères britannique exprimait crûment qu’il ne voulait pas que les chefs de service aient « à consacrer une partie beaucoup trop importante de leur temps à s’occuper de Juifs gémissants ».
L’historien américain David S. Wyman explique dans L’abandon des Juifs, paru en 1987 : « Malgré le secret soigneusement entretenu par les nazis, les informations sur les massacres étaient parvenues dans les chancelleries occidentales. […] Les grands journaux, quant à eux, ont accordé une place minime au sort des Juifs dans les pays de l’Europe occupée. » Et en effet, lorsqu’en décembre 1942 les Alliés se décidèrent à reconnaître le génocide, la plupart des journaux se contentèrent d’un petit encart pour le signaler.
Wyman rappelle également que deux ans plus tard, en 1944, le ministère américain de la Guerre rejeta plusieurs appels réclamant le bombardement des voies ferrées menant à Auschwitz et celui des chambres à gaz, alors qu’au même moment, l’aviation américaine menait des raids à quelques dizaines de kilomètres du plus grand camp de la mort.
Devoir de mémoire
Le problème des puissances alliées n’était pas de délivrer l’humanité en général et les Juifs en particulier de la barbarie nazie. Leurs dirigeants avaient d’abord vu d’un bon œil cette dictature qui répondait à la grave crise économique en brisant les organisations de la classe ouvrière allemande et en terrorisant la population. Mais en envahissant la Pologne en 1939, Hitler fit un pas de plus dans la remise en cause du partage du monde issu de la Première Guerre mondiale, qui desservait les intérêts de la bourgeoisie allemande. C’est seulement alors, bien tardivement, que les futurs alliés se prétendirent animés du désir de lutter contre le fascisme. Les classes possédantes allemandes avaient remis le pouvoir entre les mains de Hitler et de ses bandes armées, mais les dirigeants des pays du camp dit « démocratique » partageaient la responsabilité de la naissance de ce régime criminel.
Tous ceux qui sont sincèrement révoltés par le nazisme d’hier et par le risque de voir le monde basculer à nouveau dans la barbarie demain, doivent effectivement ne rien oublier. Mais il faut non seulement se souvenir de la réalité terrible des camps de la mort, mais comprendre les raisons qui ont conduit à une telle monstruosité. C’est la crise du système capitaliste qui la rendit possible, et il est certain que tant que celui-ci durera, l’humanité ne sera pas à l’abri d’une nouvelle plongée dans la barbarie.