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Dans le monde
Intelligence artificielle : des sacrifiés par millions
Le développement de l’intelligence artificielle n’aurait pas lieu sans la surexploitation d’un grand nombre de nouveaux prolétaires qui, seuls, permettent à ces systèmes de fonctionner.
Un reportage de France 2 intitulé « Les sacrifiés de l’intelligence artificielle » a rendu publiques des informations confidentielles des grandes compagnies engagées dans ce secteur. Les prolétaires qu’on appelle les data-workers existaient avant que l’on parle d’intelligence artificielle, mais ils sont à présent entre 150 et 430 millions, selon la Banque mondiale. Google annonce qu’il aura besoin d’un milliard de ces travailleurs pour les années à venir, répartis dans le monde entier, et surtout dans les pays pauvres.Cela en ferait la première branche mondiale d’emploi.
Ces travailleurs subissent une surexploitation et des cadences forcenées pendant dix heures par jour, faites de gestes répétitifs, destinés à sélectionner des milliers de données qui sont ensuite traitées par des ordinateurs géants. Ils subissent une dictature, car ils sont astreints au secret sous peine de poursuites, voire de prison, s’ils révèlent ce qu’ils font à qui que ce soit, parmi leurs proches, sans parler de journalistes ou de représentants officiels. Ils ont l’interdiction d’adhérer à un syndicat. Les salaires atteignent à peine 200 dollars par mois pour un travail pouvant aller jusqu’à 60 heures par semaine.
Les quelques témoignages recueillis révèlent la dégradation rapide de la santé psychique de ces travailleurs, au Kenya par exemple. Voilà comment un site propatronal, « Innovation.com », a traité ce problème, avec toute la franchise et le mépris qu’on peut en attendre : « Dans les pays en voie de développement, l’IA offre de nouvelles opportunités économiques. Les entreprises peuvent externaliser les tâches de l’IA, telles que l’annotation de données ou d’images, à des travailleurs dans le monde entier, offrant ainsi des opportunités de revenus pour les personnes ayant accès à Internet, même dans des régions éloignées… C’est un biais des pays privilégiés, qui perçoivent les tâches d’annotation pour l’IA comme des microtâches. Pourtant c’est un travail nécessaire à la révolution IA que peu d’individus dans le monde sont prêts à accomplir. » Et pour cause, devrait-on ajouter.
Quant aux « opportunités de revenus », elles sont surtout pour les compagnies de l’informatique qui peuvent accumuler des milliards de surprofits. Mais c’est aussi une force de travail qui est gaspillée à grande échelle. Car, dans des pays condamnés au sous-développement par l’impérialisme, combien d’équipements pourraient être construits grâce au travail utile de ces centaines de millions de travailleurs ? Et quand la technologie aura vraiment avancé, on peut se demander quel sera le sort de ces galériens modernes, promis au retour à la misère.
Un des auteurs du documentaire « Les sacrifiés de l’IA » a très justement résumé le problème : « On ne s’intéresse qu’à ce que pourrait permettre l’IA, alors qu’on aurait dû commencer par poser la question : avec quels moyens est produite l’IA ? » Et c’est en effet avec de l’exploitation humaine.
Ce qui s’est mis en place autour du développement de l’informatique et de l’IA, n’est pas « un détail ». Mais, jusqu’à présent, seuls certains membres de l’OIT, l’Organisation internationale du travail, dépendant de l’ONU, ont dénoncé le traitement réservé à ces centaines de millions de prolétaires, ainsi que des associations et des chercheurs, certains journalistes, voire aujourd’hui la Ligue des droits de l’homme. Tous se placent sur un terrain humanitaire, mais la classe ouvrière mondiale, et en premier lieu celle des pays riches, doit considérer ces travailleurs comme des sœurs et des frères d’exploitation. Dans le monde capitaliste, la barbarie accompagne toujours ce qui pourrait être, dans une autre société, un progrès incontestable.