- Accueil
- Lutte ouvrière n°1625
- Marseille : Les éboueurs ont fait reculer leur direction
Dans les entreprises
Marseille : Les éboueurs ont fait reculer leur direction
Il aura fallu que la grève des éboueurs de Marseille devienne un événement national pour que le patron de la société Bronzo soit contraint d'entendre raison.
Les éboueurs de cette société privée étaient en grève depuis le 17 août. Ils n'en pouvaient plus. La direction de Bronzo, après avoir décroché le marché du ramassage des ordures ménagères du 13 ème arrondissement, avait décidé d'assurer ce ramassage avec cinq bennes au lieu de sept !
En fait c'est depuis longtemps qu'elle cherche à rentabiliser en calculant les temps de tournée et le matériel au plus juste. Par exemple après avoir chronométré à 15 secondes le temps pour décharger un conteneur dans la benne, elle multiplie par le nombre de conteneurs du secteur et calcule ainsi le temps nécessaire pour effectuer la tournée ! Ce calcul théorique n'a évidemment rien à voir avec la réalité : il faut compter avec les embouteillages, les ordures qui ne sont pas en conteneurs, le vieux matelas qui est là, la voiture garée en double file etc. Alors pour aller plus vite, les travailleurs soulèvent et déversent les conteneurs à la main au lieu d'attendre que le mécanisme de la benne s'en charge et ce sont les tours de reins, les entorses du poignet et les risques d'infection qu'était sensé éviter le système des conteneurs. Et si les tournées ne sont pas terminées, ce sont des sanctions avec des mises à pied.
Les primes, comme celle de salissure ou celle pour le travail du dimanche, permettent d'augmenter un peu le salaire qui, sans ces primes, n'est guère au-dessus du SMIC. Un travailleur qui a 17 ans d'ancienneté touche 7500 F net.
Cela n'a pas empêché la direction de chercher à apitoyer tout le monde. Tout au long du conflit elle essayait de faire croire qu'il n'était pas possible de mettre en place cette 12 ème benne et d'embaucher ces quatre personnes que réclamaient les grévistes. Ce qui est particulièrement scandaleux car Bronzo est une filiale de la Société des Eaux de Marseille, elle-même appartenant pour moitié à Vivendi et à la Lyonnaise des Eaux, des trusts mondiaux aux bénéfices se chiffrant en milliards !
Il y a un peu plus de dix ans que la municipalité de Marseille (socialiste à l'époque) a privatisé le ramassage des ordures ménagères dans les quartiers populaires et pauvres du nord et du centre de la ville. Elle lance régulièrement des appels d'offres et, comme l'a avoué Gaudin lui-même, c'est le patron qui propose les tarifs les plus bas qui emporte le marché ; et pour continuer à faire des profits, il s'en prend aux conditions de travail et de salaire des employés. Et au bout de la chaîne on retrouve très souvent de gros trusts comme Bouygues ou la Lyonnaise des Eaux ou Vivendi.
Ce système des poupées russes, de filiales de filiales de filiales, permet aux patrons des tenter de faire croire qu'ils n'ont pas de moyens, qu'ils n'y sont pour rien, que ce n'est pas eux qui décident etc. Alors quand Loic Fauchon, le PDG de la Société des Eaux de Marseille, a déclaré qu'accorder une douzième benne chaque jour "c'est une mauvaise solution sociale et qui coûtera très cher", certains éboueurs se sont dit et se disent encore aujourd'hui : "On nous prend pour des imbéciles."
Les éboueurs en grève ont tenu le coup. Ils ont arrêté le travail, bloqué les autres centres de ramassage ; très vite leur action a été visible de l'ensemble de la population, les ordures s'entassant rapidement dans tous les quartiers touchés. Un premier accord signé par FO et la CFDT en vue de la reprise du travail a été refusé au cours d'une assemblée générale. Les grévistes ont continué. Ils ont demandé la solidarité des travailleurs des autres sociétés privées qui assurent le ramassage dans les quartiers nord et celle des éboueurs municipaux.
Dimanche 29 août, Gaudin, le maire de Marseille, qui n'avait rien dit et rien fait jusque-là et surtout pas pression sur la direction de Bronzo, a réclamé l'intervention de l'armée. Il s'agissait de la sécurité et de l'hygiène des habitants, voulait-il faire croire. Lui qui laisse, comme d'autres avant lui, se dégrader les services publics, la situation dans les quartiers pauvres et qui continue une politique de privatisations ! Il s'est trouvé mal inspiré car le lendemain de ses déclarations militaires, les employés des autres sociétés, Onyx, Abilis, Polyurbaine se déclaraient en grève. Et c'est cette menace que le conflit ne fasse tâche d'huile qui a sans aucun doute décidé la direction à céder, peut-être cette fois sous la pression des pouvoirs publics.
Les grévistes ont donc obtenu ce qu'ils voulaient : les 12 bennes du lundi au dimanche, deux ramasseurs par benne, l'embauche de 4 personnes et le paiement à 80 % des jours de grève. Comme l'a dit l'un d'entre eux : "C'est vraiment le minimum pour travailler ; quand on vous vend une voiture qui n'a que trois roues et qu'à force de réclamer on vous accorde la quatrième, vous pouvez être contents, mais c'est vraiment la moindre des choses".
Les éboueurs ont eu raison de se battre, de ne pas se laisser abuser par de bonnes paroles ou la menace de faire appel aux autres et de tenir le coup. À la reprise du travail, le mardi 31 août, certains habitants les ont applaudis, d'autres leur ont offert le café ou une bonne bouteille de vin.
Aujourd'hui, il y a une méfiance vis-à-vis de la direction qui depuis des mois demande des efforts à sens unique et qui s'est comportée pendant le conflit comme une véritable anguille, reniant le lendemain ce qu'elle avait dit la veille, et discutaillant sur les mots et sur le vocabulaire. Alors pour certains, ce n'est fini et il faut rester sur ses gardes !