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- Lutte ouvrière n°1626
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Leur société
Les agriculteurs victimes du capital
José Bové, dirigeant de la Confédération paysanne, est enfin sorti de prison plus de trois semaines après y être entré. Les 105 000 francs de caution exigés par la justice ont finalement été déposés auprès du tribunal, collectés dans son entourage mais aussi, pour un tiers, dans les milieux agricoles américains. Ces derniers voulaient ainsi marquer leur solidarité avec leur confrère d'outre-Atlantique, même si les agriculteurs français ont manifesté contre des McDonald's, pris comme symbole des intérêts américains.
José Bové avait été emprisonné pour avoir participé à la mise à mal du chantier de construction d'un McDonald's à Millau, pour protester contre la décision des autorités américaines de taxer lourdement l'importation de produits agricoles français. La décision américaine venait en représailles au refus de la Communauté européenne d'importer du boeuf américain traité aux hormones.
Cette libération ne marque évidemment pas la fin des manifestations et encore moins du mécontentement des agriculteurs. Leurs problèmes demeurent. Les agriculteurs se retrouvent livrés à ceux qui font la loi dans toute la société : les banques, en l'occurrence essentiellement le Crédit Agricole, auprès desquelles ils s'endettent pour s'équiper ; les sociétés de transformation ou de distribution, pour lesquelles ils produisent sans avoir de véritable garantie que leurs investissements, leur travail soient pris en compte. Car ce sont les agriculteurs qui prennent les risques en travaillant pour un marché qu'ils ne contrôlent absolument pas et dont ils subissent de plein fouet les dérèglements.
A l'heure actuelle, à l'initiative de la Confédération paysanne et de la FNSEA, les manifestations se poursuivent, contre les grandes surfaces plus encore que devant les McDonald's. Les agriculteurs protestent contre la chute des cours du lait, des fruits et des légumes d'une part, et d'autre part expriment leur crainte devant la perspective du prochain sommet de l'Organisation mondiale du commerce, prévu pour novembre prochain, aux États-Unis.
Dans le domaine laitier, les producteurs sont en conflit avec les transformateurs qui leur imposent une baisse de 5,4 centimes par litre pour le troisième trimestre de cette année. Ils restent à la merci des industriels de la transformation comme Besnier ou Lactalis, maîtres de faire varier les prix auxquels ils achètent le lait en fonction de leurs impératifs commerciaux, c'est-à-dire en fonction de la situation du marché.
De leur côté, les agriculteurs, qui produisent des fruits et des légumes sont confrontés à des géants de la distribution qui font la loi. Le problème dans ces secteurs, ce n'est pas la surproduction, mais le fait que les distributeurs se servent de leur position dominante pour imposer aux producteurs les prix les plus bas possible. D'où la colère des agriculteurs, manifestant contre Carrefour et autres Leclerc, déversant les tonnes de fruits qu'on ne veut pas leur acheter à un prix permettant de vivre, déposant des trains de chariots de supermarchés au domicile de députés ou de sénateurs, bloquant des entrepôts de Promodès comme à Saint-Brieuc et s'adressant parfois, mais trop rarement, à la population pour distribuer leur production ou la vendre à un prix qui n'a rien à voir avec celui auquel on la trouve dans les grandes surfaces.
Dans tous ces conflits, les agriculteurs, et surtout les moins aisés d'entre eux, ont en face d'eux des capitalistes de l'industrie agro-alimentaire. Ils affrontent les représentants du grand capital dans le monde agricole, qui entendent faire des profits avec les produits de leur travail comme d'autres font du profit avec le travail des ouvriers et des employés de l'industrie. Et pour ce qui est de la grande distribution ou des usines de transformation, les Promodès, Nestlé et autres Entremont exploitent leurs ouvriers et employés autant, sinon plus, que les agriculteurs dont ils achètent les produits.
La FNSEA demande un arbitrage du gouvernement français pour défendre les agriculteurs contre " le terrorisme commercial " des grands distributeurs ou des grands transformateurs. Mais cela ne peut rien changer à la situation. Le gouvernement peut intervenir en arbitre le temps de laisser passer l'orage, mais il ne peut et surtout ne veut pas remettre en cause ce système qui repose sur la loi des marchés, fondée sur les rapports de force entre puissances économiques.
Dans ces conflits, les intérêts des producteurs paysans rejoignent ceux de tous les exploités de cette société. Les solutions et les alliés sont à rechercher, non pas du côté des gouvernants, mais du côté des travailleurs.