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Leur société
Jospin sur son nuage
Jospin est-il bien Premier ministre, c'est-à-dire en principe titulaire du poste duquel on gouverne le pays ? Il y avait de quoi en douter à le voir et à écouter ses étranges explications données au journal du soir de France 2 lundi 13 septembre.
Il paraît que, dans la foulée des déclarations triomphalistes des dirigeants du PS sur " la baisse du chômage ", Jospin allait annoncer la " deuxième étape " de l'action de son gouvernement. Mais entre-temps était tombée l'annonce des licenciements chez Michelin, et il faut croire que dans cette " seconde étape " pas plus que dans la première, Jospin n'avait prévu quoi que ce soit pour contrer ces décisions de droit divin patronal qui se renouvellent pourtant avec régularité et au mépris total des déclarations gouvernementales sur la " baisse du chômage ".
Alors on a vu ce Premier ministre expliquer que bien sûr, la décision de Michelin est " choquante ", mais surtout " parce que les salariés n'ont pas été informés comme ils auraient dû l'être " et parce qu'elle a été annoncée " devant une assemblée d'analystes financiers ". Voilà Jospin qui découvre soudainement ce qui se passe à peu près tous les jours, c'est-à-dire que les patrons annoncent des licenciements aux financiers justement parce que c'est ce qui peut faire monter leurs actions à la Bourse ! Et voilà aussi qu'il annonce du même coup que le gouvernement ne peut pas tout : " Les salariés existent, il y a des syndicats, une mobilisation qui peut se mener ", à eux de se débrouiller en somme.
Et le gouvernement, dont le chef s'avoue ainsi " choqué ", agira-t-il face au droit divin des patrons ? Vous n'y pensez pas, car Jospin " ne croit pas que l'on puisse administrer l'économie ". Même la promesse pourtant bien timide, faite avant les législatives de 1997, de rétablir l'autorisation administrative de licenciement, est définitivement passée à la trappe. Quant aux projets de Martine Aubry de taxer les patrons recourant abusivement au travail précaire, ils sont régulièrement évoqués mais on a appris de Jospin que sur cette " question importante ", le gouvernement allait encore travailler " dans les années qui viennent " !
Jospin, on le sait, estime avoir du temps devant lui. Les licenciés, les chômeurs, les travailleurs réduits à la précarité, sont donc priés d'attendre que le gouvernement ait bien pris son temps pour envisager... de réfléchir à l'éventualité d'étudier la possibilité de voir s'il est bien raisonnable de faire un tout petit déplaisir aux patrons. Comme si les patrons, eux, attendaient pour licencier et pour mettre en crise des régions entières par leurs décisions arbitraires !
Alors Jospin, quoique " choqué ", nous dit qu'il ne peut rien. Il viendra peut-être même nous dire demain que si les licenciements passent chez Michelin, ce sera parce que les travailleurs ne se seront pas assez mobilisés. Et s'ils se mobilisent ? De quel côté sera le gouvernement, ou simplement par exemple la police à laquelle, que l'on sache, celui-ci commande ? On ne sait pas, mais on sait au moins qu'ils auront droit à des considérations philosophiques du Premier ministre ; comme José Bové, le dirigeant de la Confédération paysanne. On sait maintenant que Jospin aime bien ce genre de " personnalités qui émergent " d'un peuple qui a gardé " des origines gauloises ", " avec sa radicalité ". Ça console, non, quand on vient de faire un séjour en prison pour avoir manifesté devant un Mac Donald's ?
Eh oui, tout ça plaît à Jospin. Un peu comme un entomologiste qui aime bien les papillons avec de jolies couleurs, il aime bien regarder de sa fenêtre la " radicalité " qui peut naître contre la société qu'il dirige. Mais surtout pas pour en faire preuve, en tant que Premier ministre, contre ces patrons qui dictent leur loi.