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Leur société
Crèches : les bébés livrés à l’ogre du profit
Après Les Fossoyeurs, qui révélait les agissements du groupe Orpéa dans les Ehpad, Victor Castanet vient de publier Les Ogres, cette fois consacré à la gestion des crèches par les groupes privés, en particulier le groupe People & Baby.
Basé sur une enquête de plus de deux ans, son livre s’appuie sur les témoignages et le combat de parents dont les enfants ont été victimes de maltraitance, mais aussi de travailleuses, auxiliaires de puériculture, directrices de crèche ou de cadres qui ont courageusement rompu le silence sur les pratiques de ces sociétés. Le résultat est glaçant. Le livre décrit aussi la totale complicité des sphères dirigeantes de l’État, en particulier de la Caisse d’allocations familiales dans le siphonnage de l’argent public par les groupes privés.
Plusieurs mères ont engagé le combat à la suite de maltraitances subies par leur enfant dans certaines crèches People & Baby. Cela commence par les fesses irritées car la couche n’a pas été changée. Certaines mères notent que l’enfant sortait tous les soirs affamé, au point que la courbe de croissance des bébés a été gravement affectée et n’a retrouvé une trajectoire normale qu’après leur départ de la crèche. D’autres parents témoignent à quel point leur enfant est devenu irritable, voire violent. Le manque de fournitures et de personnel est la première cause de ces dysfonctionnements. Si cette situation est commune à bien des secteurs du privé mais aussi du public, soumis aux impératifs de la rentabilité, le cynisme des dirigeants de People & Baby fait froid dans le dos.
Ainsi, l’ancien responsable des achats explique que le groupe a comme pratique financière de ne pas payer les fournisseurs, la plupart se décourageant devant le coût et la longueur des poursuites à engager : tant pis si le groupe se retrouve alors sur la liste noire de nombre de fournisseurs qui cessent leurs livraisons. Une ancienne directrice multisites indique qu’elle a « fait face à des soucis d’approvisionnement quasiment chaque mois. Et ce, sur tous les postes : alimentation, hygiène, jeux, mobilier… ». Mais ce chaos permet au groupe d’assurer un fonds de roulement et de réaliser de nouvelles acquisitions.
Les groupes promettent des tarifs très bas aux mairies pour remporter les appels d’offres. Ces tarifs ne peuvent être tenus qu’en diminuant de manière irresponsable le personnel et l’alimentation des enfants. Ainsi, un récent appel d’offres du groupe demandait aux fournisseurs des quantités de 12 % inférieures aux préconisations minimales du document de référence de la restauration collective, alors que l’habitude est plutôt 10 ou 20 % au-dessus.
De même, les effectifs ont diminué de 10 %, par exemple dans les crèches d’Aix-en-Provence confiées à un autre groupe privé. Les conséquences des suppressions de postes sont dramatiques et cumulatives : les équipes sont essorées par la surcharge de travail. Les démissions se multiplient, le turnover explose et les absences sont souvent non remplacées.
Comme dans les Ehpad et les hôpitaux, seuls l’humanité, le dévouement et la lutte au quotidien des travailleuses des crèches permettent de limiter la maltraitance des enfants soumis ainsi dès le plus jeune âge aux griffes du capital.