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- Lutte ouvrière n°2988
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il y a cent ans
Chine 1925-1927, la révolution ouvrière étranglée
En 1925, huit ans après la Révolution russe, la vague révolutionnaire atteignit la Chine, un pays gigantesque où la classe ouvrière était très minoritaire et où le Parti communiste existait depuis à peine quatre ans.
Avec l’aide de l’Internationale communiste (IC) créée par les révolutionnaires russes, ce jeune parti profitait d’une expérience politique considérable, grâce à laquelle la classe ouvrière chinoise, en entraînant derrière elle l’immense paysannerie pauvre du pays, pouvait se mettre à la tête de la révolution.
Ce ne fut malheureusement pas le cas et, si cette révolution se termina par un échec sanglant, la responsabilité en revient à la bureaucratie stalinienne, qui avait mis la main sur l’IC et rendait les partis communistes incapables de mener une politique révolutionnaire indépendante.
La première révolution bourgeoise
Au début du 20e siècle, l’empire chinois, vieux de plus de 2 000 ans, était en pleine décomposition, sous la pression des grandes puissances occidentales qui pillaient ses richesses.
Un courant progressiste, nationaliste bourgeois, était apparu, formant un parti qui allait prendre le nom de Kuomintang. Son leader, Sun Yat-Sen, voulait moderniser la Chine et lui donner les moyens de s’imposer dans le concert des nations capitalistes.
Le système impérial, au cours des siècles, avait bridé le développement bourgeois et c’est surtout dans la diaspora commerçante, dans l’armée et dans la jeunesse étudiante que le courant nationaliste trouva des partisans.
Malgré tout, le 10 octobre 1911, des officiers nationalistes renversèrent le pouvoir de la dynastie Qing, une République fut proclamée et Sun Yat-Sen nommé président. Il ne fallut cependant que quelques mois pour que, dans toutes les régions de Chine, des clans dirigés par des militaires, les « seigneurs de guerre », prennent de fait leur autonomie.
Chaque seigneur de guerre trouva le soutien d’une puissance impérialiste. Le mouvement républicain était réprimé et le pays morcelé. Mais toute une jeunesse, éveillée à la politique, était désormais à la recherche d’idées nouvelles.
Les débuts du Parti communiste
Les impérialistes vainqueurs de la Première Guerre mondiale cédèrent les concessions allemandes à l’impérialisme japonais, sans même qu’il fût question de demander leur avis aux Chinois.
La colère explosa, notamment lorsque, le 4 mai 1919, des milliers d’étudiants manifestèrent à Pékin. Le leader de ce mouvement, Chen Duxiu, était un professeur d’université progressiste qui avait commencé à faire connaître le marxisme. C’est autour de lui, début 1921, que fut fondé le Parti communiste. Un de ses premiers réflexes fut d’envoyer les jeunes militants qui le rejoignaient à Moscou.
La classe ouvrière chinoise, de formation très récente, comptait à peine trois millions d’ouvriers et des centaines de milliers de « coolies », ces porteurs misérables vivant dans les grands ports du pays. Ces exploités, par leurs luttes explosives, se retrouvaient d’un seul coup au premier plan de la lutte politique. Le parti nationaliste voulut s’imposer comme leur direction.
Mais la révolution russe de 1917 avait eu un impact extraordinaire et bien des prolétaires étaient instinctivement attirés par les idées communistes. Le nouveau leader du mouvement nationaliste, Tchang Kaï-chek, dût se résoudre à aller à Moscou pour, en se prétendant partisan de la révolution mondiale, obtenir de l’URSS les moyens d’organiser une armée afin de réunifier la Chine.
La répression de la révolution
Le 30 mai 1925, à Shanghai, lors de grèves contre la brutalité des contremaîtres, un officier britannique fit tirer sur la foule, tuant douze étudiants. En réponse, des grèves éclatèrent à Hong Kong, Canton et Pékin. À Canton, la grève générale éclata et le boycott des marchandises britanniques fut décidé. Hong Kong fut bloqué par 100 000 ouvriers. Les fumeries d’opium furent réquisitionnées pour en faire des dortoirs et des cantines. Une conférence de délégués ouvriers, avec un élu pour 50 grévistes, mit sur pied un comité exécutif de 13 membres, véritable embryon de pouvoir ouvrier où Trotsky allait voir la « version chinoise » des soviets créés au moment de la révolution russe de 1905. La croissance du PC devint explosive : il passa de 1 000 membres en janvier 1925 à 10 000 en novembre.
Pour les nationalistes, cette croissance était une menace. Le 20 mars 1926 à Canton, Tchang Kaï-chek fit un coup d’État, arrêta les militants communistes et attaqua le quartier général du comité de grève.
Cela n’empêcha pas les dirigeants de l’IC, désormais aux mains de Staline, de déclarer que le PC chinois devait continuer à soutenir Tchang Kaï-chek. Pour Borodine, le représentant de l’IC en Chine : « la période actuelle [devait] voir les communistes servir de coolies au Kuomintang ».
Ayant maté les communistes dans le Sud, Tchang Kaï-chek lança sa conquête militaire du Nord. Aux yeux des paysans pauvres, il continuait à être le symbole de la révolution. Des soulèvements éclatèrent tout au long de l’avancée de son armée, dans les villes et les campagnes.
En février 1927, quand cette armée approcha de Shanghaï, là aussi des grèves éclatèrent. D’abord réprimées par les troupes des concessions occidentales, la révolte finit par être victorieuse. 500 000 à 800 000 grévistes prirent en main la ville en organisant une milice de 5 000 hommes.
Quand, en avril, l’armée de Tchang Kaï-chek entra dans Shanghai, c’est elle qui organisa la répression en s’appuyant sur la pègre locale. Une véritable terreur blanche s’institua : 5 000 ouvriers furent tués, des militants communistes furent jetés vivants dans des chaudières de locomotives. Les prolétaires chinois étaient ainsi massacrés par ceux-là même en qui l’IC leur avait demandé d’avoir confiance.
Dès avant le début de la révolution en Chine, l’Opposition de gauche trotskyste en URSS avait dénoncé cette politique suiviste vis-à-vis de Tchang Kaï-chek, annonçant que celui-ci allait inévitablement se retourner contre la classe ouvrière.
Les conséquences de la défaite
Suite à la répression dans les villes, une grande partie du Parti communiste les déserta. Se coupant ainsi du prolétariat, il allait se transformer en une guérilla dans les campagnes et, tout en gardant son nom, devint en fait un parti nationaliste basé sur la paysannerie.
En URSS, cette défaite fut un coup de massue pour tous ceux qui espéraient voir une Chine révolutionnaire rejoindre l’URSS. « Le parti était transporté par la révolution chinoise. C’était seulement en 1923 [avec la révolution en Allemagne] qu’on avait connu une pareille intensité » dit Trotsky.
Mais la démoralisation qui s’ensuivit en URSS renforça la tendance bureaucratique stalinienne, qui expulsa du parti l’Opposition de gauche, envoya ses militants en déportation et en prison et exila Trotsky.
Il reste que le prolétariat chinois avait donné une preuve de plus, après l’expérience de la révolution russe, que la classe ouvrière, même dans un pays pauvre où elle était très faible numériquement, est le seul élément véritablement révolutionnaire, capable d’émanciper toute la société.