21 février 1965 : l’assassinat de Malcolm X19/02/20252025Journal/medias/journalnumero/images/2025/02/une_2951-c.jpg.445x577_q85_box-0%2C7%2C1262%2C1644_crop_detail.jpg

Il y a 60 ans

21 février 1965 : l’assassinat de Malcolm X

Lorsque Malcolm X fut assassiné le 21 février 1965, à la tribune d’une réunion publique à New York, les nombreux Noirs, qui étaient engagés dans la lutte contre le racisme d’État et pour leur libération perdirent un orateur et un dirigeant de première importance.

Les commanditaires de son exécution n’ont jamais été identifiés. Mais l’influence de Malcolm X, en phase avec la radicalisation de millions de Noirs américains, inquiétait sûrement l’État et le FBI et pouvait faire de l’ombre aux Musulmans noirs, qui l’avaient exclu un an auparavant. Tout deux ont pu jouer un rôle dans son assassinat.

Naissance d’un militant

En rejoignant les Musulmans noirs, Malcolm Little avait renié ce nom de famille hérité de l’esclavagiste propriétaire de ses ancêtres, pour devenir Malcom X. C’était une transformation complète pour ce jeune homme, dont le père avait été assassiné par le Ku Klux Klan lorsqu’il avait 5 ans, qui avait été placé en famille d’accueil, avait sombré dans la délinquance et avait été jeté en prison à 21 ans.

Il n’était pas le seul révolté à avoir été gagné par les idées des Musulmans noirs en prison. Une fois libéré, en 1952, Malcolm X devint un militant pleinement engagé. Il recruta tout d’abord dans le grand ghetto noir de New York, à la mosquée d’Harlem, puis dans d’autres quartiers défavorisés à Detroit, Chicago, Boston et Philadelphie, avant de revenir à Harlem en 1954 pour s’y établir.

La révolte prend son essor

La direction des premiers mouvements de masse dans les villes du Sud, tel le boycott des bus de Montgomery en Alabama en 1956, dans lequel s’illustra Rosa Parks, fut souvent influencée par des hommes d’église. La jeunesse étudiante issue de la petite bourgeoisie noire, qui n’en pouvait plus de voir son ambition sociale bridée, fournit aussi des militants.

Dans le Nord et en Californie, où le racisme et la ségrégation étaient moins officiels mais imprégnaient tout autant la vie sociale, se trouvaient les plus importantes concentrations de travailleurs noirs. Ils étaient cantonnés aux emplois les moins payés et les plus durs, souvent exclus des usines où les luttes syndicales avaient forcé le patronat à concéder de meilleurs salaires aux ouvriers… blancs. Le radicalisme de Malcolm X, porte-parole le plus doué des Musulmans noirs, faisait écho à la colère grandissante des exploités de ces ghettos.

Un orateur exceptionnel

Malcolm X décrivait les Blancs comme des « diables aux yeux bleus », ce qui correspondait à l’expérience de beaucoup de Noirs pauvres. Il expliquait qu’il n’y avait rien à attendre d’eux que des coups et qu’il fallait les rendre pour se libérer de l’oppression. Il mettait en garde contre les dirigeants noirs, tel Martin Luther King, qui imploraient les gouvernants de Washington, et derrière eux la grande bourgeoisie, de bien vouloir concéder un peu d’égalité aux Noirs, en les comparant aux anciens esclaves domestiques habitués à servir les maîtres blancs.

Malcolm X fustigeait ceux qui appelaient les masses à la patience et à modérer leur révolte pour ne pas braquer les prétendus « amis des Noirs » qui gouvernaient à Washington, alors que ceux qui défiaient la ségrégation en manifestant pacifiquement étaient brutalisés par des groupes racistes, mordus par les chiens policiers, jetés en prison. Pour lui, l’objectif ne devait pas être l’intégration des Noirs à l’Amérique blanche, mais la séparation totale, pour que les Noirs se dirigent eux-mêmes.

Malcolm X identifiait son combat à celui des esclaves des champs exploités brutalement. Leurs descendants modernes, les prolétaires noirs, étaient attirés par celui qui s’adressait à eux avant tout : « Je ne suis pas un Américain. Je me tiens devant vous non pas comme patriote qui salue le drapeau. Je suis une des 22 millions de victimes de l’Amérique, de cette démocratie qui n’est autre qu’hypocrisie. Je ne vois aucun rêve américain, juste un cauchemar américain. »

Les limites du nationalisme

Le mouvement des Noirs américains subissait d’un côté l’influence, déclinante, de Martin Luther King et des dirigeants modérés, promoteurs de la non-violence qui se méfiaient des masses à bout de patience. De l’autre, le courant nationaliste radical montait, incarné en premier lieu par Malcolm X.

Le Parti communiste stalinien et les appareils syndicaux, eux, s’étaient détournés depuis longtemps des intérêts des travailleurs en général et des aspirations des ouvriers noirs en particulier. La révolte qui bouillonnait dans les villes où le prolétariat noir était concentré trouva donc pour la diriger non pas des révolutionnaires prolétariens – il en existait mais très peu –, mais des nationalistes noirs.

Toutefois Malcolm X se heurta lui-même aux limites que le nationalisme des Musulmans noirs mettait à cette révolte. Lorsqu’en 1963 Kennedy tomba victime d’un attentat, Malcolm X refusa de joindre sa voix au chœur qui encensait ce président, alors qu’il n’avait jamais rien fait contre les assassins de militants noirs. Le parti des Musulmans noirs, qui sur le fond désirait un compromis avec l’État pour que la petite et moyenne bourgeoisie noire trouve une place au soleil capitaliste, désavoua Malcolm X, puis l’exclut.

Celui-ci chercha alors son chemin politique, voyageant dans une Afrique bouleversée par les luttes d’indépendance, faisant le pèlerinage à La Mecque où se mêlaient des hommes de toutes les couleurs. Revenu aux États-Unis, Malcolm X parla de combat international contre le capitalisme américain, de révolution. Cette évolution politique fut interrompue par son assassinat à l’âge de 39 ans.

Sa mort intervint peu avant que de grandes révoltes secouent les métropoles américaines, dès l’été 1965 dans le ghetto de Watts, à Los Angeles. Les masses noires radicalisées et les militants qui émergeaient par milliers, prêts à prendre les armes pour le pouvoir noir, auraient eu alors bien besoin d’un dirigeant de la trempe de Malcolm X. Celui-ci aurait-il pris pleinement conscience du potentiel révolutionnaire représenté par le prolétariat noir, et de la nécessité qu’il entraîne le reste de la classe ouvrière dans le renversement de la bourgeoisie américaine, condition indispensable pour une véritable libération des Noirs ? Aurait-il su contribuer à organiser les ouvriers noirs sur leurs propres bases de classe ? Nul ne le sait, mais l’expérience de ces années, telle que Malcolm X l’a incarnée, est un capital précieux pour qui, aujourd’hui, veut s’atteler à ces tâches.

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