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Ukraine-Russie : deux ans de guerre fratricide
Le 24 février 2022, lorsque le chef de la Russie lança son armée sur son voisin, il espérait une victoire rapide. Ses généraux lui avaient promis que quelques jours suffiraient pour prendre Kiev et faire tomber le gouvernement de Zelensky. Ce ne fut pas le cas.
Au prix de combats sanglants et avec l’aide militaire que le camp occidental apportait depuis des années au régime ukrainien, celui-ci a tenu bon, malgré la perte de 20 % de son territoire, à l’est et au sud du pays. Cette guerre vient d’entrer dans sa troisième année et nul ne sait quand et comment elle pourrait finir. Les propos que Zelensky a tenus à cette occasion n’y changent rien. « L’Ukraine perdra-t-elle cette guerre ? a-t-il déclaré. Je suis certain que non…, parce qu’alors nous n’existerions plus. »
Dans ces propos de circonstance d’un chef de guerre, le « nous » est censé englober en une même communauté de destin et d’intérêts la population et ceux qui dirigent le pays. Or, si l’attaque russe a suscité un réflexe d’union sacrée il y a deux ans, depuis les choses ont sensiblement changé.
Certes, le régime continue à profiter d’un soutien réel. Il lui vient des classes possédantes et dirigeantes ainsi que de la petite bourgeoisie, qui voient leur avenir dans une plus complète intégration de l’Ukraine au camp impérialiste. Mais, depuis des mois, et même les partisans du régime l’admettent, est apparu ce qu’ils appellent de la lassitude dans la population. Cela prend différentes formes : manifestations de femmes exigeant le retour de leurs maris, frères ou fils envoyés au front ; refus de conscription si nombreux qu’on peut être condamné pour cela à plus de dix ans de prison ; fuite à l’étranger de mobilisables qui ont de quoi payer pour couper à l’armée… Tout cela témoigne de ce que relèvent aussi des sondages : la volonté de larges secteurs de la population de voir se finir une guerre de plus en plus insupportable.
Zelensky prétend que « 31 000 soldats ukrainiens ont péri dans cette guerre », et c’est déjà beaucoup. Mais même ses parrains de l’OTAN avancent un chiffre cinq à six fois plus élevé. Et cela se voit : les cimetières ne cessent de s’étendre, vu le nombre de morts militaires et civils.
Et il y a les réfugiés. Selon l’Organisation internationale pour les migrants, une antenne de l’ONU, 14 millions d’Ukrainiens, soit plus d’un sur quatre, ont dû fuir de chez eux du fait des combats. Plus de 6,5 millions vivent hors du pays comme réfugiés, sans compter ceux qui ne se sont pas fait recenser. En Ukraine même, il y aurait au moins 4 millions de personnes déplacées. On imagine ce que cela signifie en termes d’emplois perdus, d’effondrement du niveau de vie, de destructions de logements et d’infrastructures en tout genre. Et les scandales de corruption ont fait apparaître au grand jour que, avec la guerre, c’était toujours les petits qui devaient faire des sacrifices, y compris celui de leur vie. En revanche, les nantis et les privilégiés, protégés par le pouvoir, quand ils ne l’exercent pas, prospèrent comme jamais.
Quand l’ancien chef d’état-major a déclaré, cet automne, que l’Ukraine se trouvait « dans une impasse », nul doute que ses propos ont trouvé un écho auprès de millions de personnes ne souhaitant plus qu’une chose : que la guerre s’arrête. Zelensky a réagi en limogeant ce haut galonné qui, devenant trop populaire, pouvait le concurrencer. Mais cela n’a pas fait disparaître les problèmes. Car un tel état d’esprit augure mal de la mobilisation d’un demi-million d’hommes que politiques, militaires et parlementaires proclament nécessaire. Ils repoussent donc depuis des mois l’adoption de cette loi de mobilisation, sachant à quel point elle est impopulaire, mais en même temps, ils n’ont pas le choix.
Non seulement la contre-offensive annoncée au printemps dernier n’a pas eu les résultats attendus mais, après des mois de gel de la ligne de front, les forces russes gagnent un peu de terrain. Peu importe à Poutine et à ses généraux que cela se solde par d’énormes pertes : ils traitent également leurs soldats comme de la chair à canon. Quant à la population russe des zones frontalières, désormais la cible et la victime quasi quotidienne de canonnades et d’attaques de drones, Poutine n’en dit mot dans sa « non-campagne » présidentielle. Il sait qu’il sera de toute façon réélu à la tête de la Russie le 17 mars, en se vantant de ses « succès » en Ukraine et en ayant fait taire, parfois définitivement, ceux qui auraient pu apparaître comme des candidats au pouvoir.
Alors, Poutine comme Zelensky sont également prêts à continuer une guerre dont ils attendent qu’elle conforte leur pouvoir. Il en sera ainsi tant qu’ils arriveront à en faire supporter le poids à leurs classes populaires et laborieuses. Mais, parce que c’est et ce sera de plus en plus insupportable à ces dernières, il n’est pas dit que cela dure aussi longtemps que ces deux régimes et leurs alliés pourraient le souhaiter.