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Dans le monde
CAN : un stade contre le silence
Lorsque les hymnes ont été chantés au début de la demi-finale de la Coupe d’Afrique des nations, le 7 février, les joueurs et les supporters de l’équipe de la République démocratique du Congo (RDC) ont placé une main devant leur bouche et l’autre comme un revolver sur leur tempe.
Les joueurs protestaient ainsi contre le voile de silence pesant sur la guerre qui ravage l’est de ce pays depuis près de trente ans. D’autres manifestations ont suivi, comme à Paris le 11 février. À Kinshasa, celles-ci ont pris pour cible le siège de la Mission des Nations unies ainsi que diverses ambassades, les 9 et 11 février. Les banderoles affichaient : « Dégagez, bandes d’hypocrites » ou encore « L’Occident complice du génocide congolais ».
Cette guerre est en effet la plus meurtrière depuis la Deuxième Guerre mondiale, et l’une des plus longues, car elle puise ses origines dans la retraite des génocidaires du Rwanda vers le Congo en 1994, que les soldats français avaient protégée et couverte. Les estimations du nombre de morts en trente ans vont de six millions à plus de quinze. S’ajoutent les millions de déplacés et les innombrables traumatismes, tels que les centaines de milliers de femmes ayant subi des violences sexuelles d’une barbarie sans nom, que dénonce le médecin Denis Mukwege.
Après la demi-finale, le joueur congolais Cédric Bakambu a tweeté : « Tout le monde voit les massacres à l’est du Congo. Mais tout le monde se tait. Mettez la même énergie que vous mettez pour parler de la CAN à mettre en avant ce qu’il se passe chez nous. » Cette indifférence des grandes puissances n’est pas fortuite et tient aux causes mêmes de cette guerre : l’appropriation des minerais tels que le coltan, indispensable à la production de certains composants électroniques essentiels aux téléphones comme aux systèmes de guidage des missiles. Cette prédation est au cœur de la domination impérialiste et donc des intérêts des grandes puissances, car elle alimente la chaîne de production des plus puissants trusts mondiaux.
Les milices qui ont ravagé cette région pour le contrôle des mines ont changé de nom depuis le milieu des années 1990, mais la guerre ne s’est jamais arrêtée. Elles sont armées par les gouvernements des pays frontaliers par lesquels transitent les minerais, et qui abritent les entreprises d’export. Elles imprègnent également largement l’appareil d’État congolais et son armée, dont le semblant d’unité n’est qu’une façade. Depuis quelques années, la plus puissante de ces milices est le M23, armé par le Rwanda. C’est ainsi que ce pays, dont le sous-sol ne contient presque pas de coltan, en est le premier exportateur mondial. Mais les principaux bénéficiaires de ces guerres interminables et barbares sont au chaud dans les conseils d’administration des trusts des grandes puissances. Ainsi on ne voit pas que leurs profits sont produits dans un bain de sang.