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Dans le monde
Tunisie : le prix de la chasse aux migrants
La présidente de la commission de l’Union européenne (UE), Ursula von der Leyen, s’est rendue à Tunis le 11 juin, apportant son soutien à la politique de la Première ministre italienne d’extrême droite, Giorgia Meloni.
Prétextant « investir dans la stabilité et la prospérité de la Tunisie », les dirigeants européens venaient proposer leur aide financière contre l’assurance que la Tunisie gardera ses migrants.
Un projet d’accord de coopération avait déjà amené Meloni à Tunis quelques jours plus tôt, mais l’annonce, le 9 juin par l’agence Fitch, de l’effondrement de la note de la Tunisie a précipité son retour. « Il est impératif d’éviter l’effondrement économique et social du pays », disait il y a deux mois le représentant européen Josep Borrel : les conséquences pour la population, déjà durement touchée par la pauvreté dans de larges régions, le chômage, en particulier des jeunes, l’inflation et l’écroulement du dinar, en seraient douloureuses.
Mais sous la surface policée des déclarations, sous les mots soigneusement choisis pour ne pas froisser les relations européanno- tunisiennes, se révèle l’attitude des bourgeoisies du Nord devant l’arrivée de plus en plus nombreuse de pauvres du Sud. En première ligne de barrage se tient en l’occurrence Meloni, campée sur sa politique anti-migrants tapageuse, et soutenue désormais par les responsables de l’UE.
Rien d’humanitaire, et encore moins d’humain, n’a de place dans la démarche. Se souvenant de l’afflux de migrants arrivés sur les côtes de Lampedusa en 2015, à la suite de la guerre civile en Libye, les dirigeants politiques italiens craignent que la crise frappant la population tunisienne n’accélère encore les tentatives de passage de pauvres fuyant la misère ou la guerre au-delà du Sahara. Loin de proposer leur aide désintéressée, les représentants des pays riches étaient donc là pour tenter de convaincre le président Kais Saied d’accepter d’urgence et dans sa totalité le prêt du FMI de 1,9 milliard de dollars. Or ce prêt reste suspendu à l’application de mesures contraignantes pour l’économie tunisienne, en vérité pour la population travailleuse.
La réduction du déficit budgétaire exigée, assortie de la privatisation d’entreprises publiques, du contrôle de la masse salariale et de la baisse de subventions dans le secteur public signifierait des salaires amputés et du chômage pour des milliers de petits fonctionnaires. L’arrêt des aides aux secteurs du transport, de l’électricité, du gaz, se traduirait par des hausses insupportables pour la population. Ainsi la STEG – électricité et gaz – prévoit respectivement 30 % et 15 % de hausse des prix. De même, la fin des subventions aux produits alimentaires de base, comme les tomates ou le lait, ou aux hydrocarbures, aurait de quoi exacerber la colère.
Alors, pour aider Kais Saied à intensifier l’austérité, déjà inscrite dans la loi de finances de 2023, en se pliant totalement aux exigences du FMI pour déclencher le prêt, les dirigeants européens ouvrent les cordons de la bourse. 900 millions d’euros sont promis au titre de l’assistance financière, et même 150 millions d’aide budgétaire immédiate ! Et d’ajouter, pour faire bonne mesure, un projet de modernisation de l’accord commercial Tunisie-Europe et, avant de partir, quelques projets déjà en cours pour aider le président à sauver la face.
Ce dernier cédera-t-il à ces multiples pressions ? En visite inopinée à Sfax, le 10 juin, il déclarait être « venu pour écouter les préoccupations des citoyens de la région », ajoutant : « Nous ne tolérerons plus que quiconque sur le sol tunisien soit en proie à un traitement dégradant, humiliant et inhumain ». C’est prendre le contre-pied de ses récentes déclarations, violemment hostiles aux réfugiés subsahariens. Le dirigeant tunisien craint sans doute que l’acceptation de l’austérité demandée par l’UE n’entraîne des réactions de la part des travailleuses et travailleurs tunisiens.