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Russie-Ukraine : à la recherche de chair à canon
Alors que, dans le Donbass, des masses de soldats russes et ukrainiens sont envoyés depuis des mois au massacre pour un pan de mur, une cave ou quelques mètres de tranchées, et que leurs dirigeants n’ont à la bouche que la préparation de « la » grande offensive ou contre-offensive de printemps en Ukraine, à l’arrière, les sergents recruteurs de tout poil battent le rappel de ceux qui, dans chaque camp, tentent d’échapper à l’abattoir.
Des chaînes de télévision ont montré, en France ces jours-ci, des jeunes et des moins jeunes qui en Ukraine refusent la conscription, se cachent pour y couper, résistent à la police militaire qui vient les embarquer, et disent carrément qu’ils ne veulent pas aller à la mort. Ils le font souvent avec les mêmes mots, et dans la même langue, que leurs frères de destin, de l’autre côté de la frontière, en Russie.
Le phénomène s’est amplifié en Ukraine. L’enthousiasme patriotique des premiers temps, qui avait drainé un flot de volontaires vers les centres de recrutement, s’estompe et le flot des recrues se réduit. Mais surtout, la corruption des milieux militaires éclate en une succession de scandales que la presse ne parvient plus à cacher.
Ces dernières semaines, les réseaux sociaux, puis des médias ont donné le montant des pots-de-vin extorqués par les officiers à ceux qui veulent échapper à la conscription, être affectés d’emblée à un poste loin du front, être transférés dans une unité non combattante, etc. En clair, pour échapper à la mort et, pour les plus chanceux, à une blessure, ce sont des milliers d’euros qu’il faut trouver, 12 000 euros pour les meilleures planques, et même le double pour aller « légalement » se mettre à l’abri à l’étranger.
Les médias occidentaux ressassent le caractère démocratique, nouveau et quasi angélique de Zelensky et du pouvoir ukrainien. Mais parrainé, armé et financé par l’impérialisme américain et ses alliés de l’OTAN, il reste, au même titre que son homologue russe, un rejeton vénal, répressif et antipopulaire de ce qu’avait été la bureaucratie post-stalinienne.
À ceux qui se demanderaient pourquoi la mobilisation de printemps, censée préparer la grande contre-offensive ukrainienne, n’a accouché de rien de tangible, bien que les tanks lourds allemands et anglais arrivent à la rescousse, Reznikov, le ministre ukrainien de la Défense, s’est voulu rassurant. L’armée, dit-il, fait face « tranquillement » à ses pertes et les compense « à un rythme calme et progressif ». Et d’ajouter que, si le plan de conscription n’a pas été atteint, il n’y a pas lieu de le réviser.
On ne sait qui ce langage pourra convaincre dans la population, en particulier parmi les futurs conscrits et leurs proches. En tout cas, les soutiens américains du régime ukrainien y voient, et ils le disent, un signe d’essoufflement des autorités civiles et militaires ukrainiennes à assurer la victoire du camp occidental avec la peau de leurs compatriotes.
Dans le camp d’en face, le pouvoir de Poutine n’a pas non plus la partie facile en matière de recrutement. Il vient donc de modifier la loi pour que les conscrits puissent officiellement aller en Ukraine – chose actuellement interdite, en principe. Il suffira qu’ils soient affectés, non pas à l’opération militaire spéciale selon la terminologie officielle qui refuse de parler de guerre, mais à des « forces de maintien de la paix », et qu’ils se portent volontaires pour aller « pacifier » l’Ukraine !
Autre nouveauté : alors que beaucoup de jeunes changeaient d’adresse ou quittaient leur emploi pour ne pas risquer de recevoir une convocation militaire à domicile ou au travail, ce qui est une pratique courante, cette convocation sera désormais doublée sous forme électronique. Les jeunes gens étant tous enregistrés sur un fichier électronique, sept jours après son envoi la convocation sera réputée avoir été reçue. Des sanctions sont prévues si le destinataire ne se présente pas au centre d’enrôlement.
Bien entendu, le Kremlin ne publie pas de chiffres sur les jeunes qui refusent de sacrifier leur vie sur l’autel de la Grande Russie, mais des informations transpirent sur les réseaux sociaux à ce sujet.
Il y a un mois, une vidéo a montré des soldats, mobilisés malgré eux, qui se présentaient comme des survivants d’un bataillon d’assaut, en expliquant qu’un tiers des effectifs de leur unité avaient été tués ou blessés depuis septembre. Mais d’autres témoignages aussi éclairants émanent de l’autre bord. Ainsi, le média russe Vot Tak a récemment rapporté que, lors du procès de l’incendie criminel d’un centre d’enrôlement, un juge militaire du district central avait révélé que pas moins de 77 de ces centres avaient été incendiés en 2022.