Ukraine : l’histoire de la famine réécrite05/04/20232023Journal/medias/journalnumero/images/2023/04/2853.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Ukraine : l’histoire de la famine réécrite

Après l’Allemagne, les États-Unis, le Parlement européen, l’Assemblée nationale française vient de reconnaître officiellement l’Holodomor, la meurtrière famine de masse qui frappa l’Ukraine soviétique en 1932-1933. Dans la foulée, du RN au PS, les parlementaires ont demandé au gouvernement français d’adopter leur résolution.

En effet Paris n’a nulle envie de laisser ses rivaux américain, allemand et britannique se placer seuls auprès du gouvernement ukrainien, en reconnaissant ce qu’il qualifie de génocide perpétré par la Russie contre l’Ukraine et son peuple. Dans le contexte d’une guerre où l’Ukraine, soutenue par l’OTAN, affronte la Russie, la France tient, comme les autres puissances impérialistes, à affirmer quel est son camp. Mais le fait de parler ici d’un meurtre de masse par la faim, ce qui est le sens du mot holodomor en ukrainien, sert d’abord à préparer « l’après » là-bas. Un jour ou l’autre, pour reconstruire un pays dévasté par la guerre, les États impérialistes et leurs trusts auront à se disputer un marché de grands travaux et de commandes d’équipements que l’on chiffre déjà à des centaines de milliards de dollars.

Les contrats que lorgnent les grands groupes français du BTP, des transports, de l’énergie, de l’agro-alimentaire, de l’armement, etc., valent bien d’approuver la façon dont, à Kiev, le pouvoir réécrit l’histoire dans un sens ultra-nationaliste.

La collectivisation forcée des terres, décidée à la fin des années 1920 par Staline et la bureaucratie qui avait usurpé le pouvoir en URSS, fit se dresser contre elle toute la paysannerie. En Ukraine comme ailleurs, cette mesure de violence bureaucratique et policière n’avait été précédée d’aucune consultation des paysans, d’aucune préparation matérielle et politique qui auraient fait des futurs kolkhozes un véritable progrès pour ceux qui les auraient rejoints volontairement et pour l’économie du pays tout entier.

Au lieu de cela, le régime voulut contraindre les paysans à entrer dans les kolkhozes avec leur bétail, et ceux-ci l’abattirent plutôt que d’en être dépossédés. À ce qui était déjà une catastrophe humaine, sociale, politique et économique, le stalinisme répondit alors par un remède pire encore. Pour briser l’opposition générale des paysans, Staline ordonna à l’armée d’en déporter des millions présentés comme koulaks, c’est-à-dire riches, et cela dans des conditions telles que leur déportation tourna à l’hécatombe. Et, pour parer à la famine qui menaçait les villes du fait de sa politique, il ordonna à la troupe de rafler tout ce qu’elle pouvait trouver dans les villages, même ce qui était indispensable à la survie des paysans.

Cette politique criminelle brisa les reins à l’agriculture et causa la mort de millions de Soviétiques. Les régions céréalières eurent le plus grand nombre de morts de faim : 3,4 millions en Ukraine, 1,5 million en Russie sur la Volga et dans le Nord-Caucase, 1,4 million au Kazakhstan qui, au regard de sa faible population, paya le plus lourd tribut à la famine provoquée ainsi par le stalinisme en 1932-1933. Mais d’autres endroits encore furent aussi saignés par la collectivisation forcée et les déportations, comme le relate le roman Zouleïkha ouvre les yeux à propos du Tatar- stan, en Russie.

Outre sa politique de collectivisation forcée, le régime stalinien avait une autre raison d’écraser l’Ukraine sous sa botte. C’était dans cette république soviétique que la politique bolchevique avait eu le plus pour effet que, dans la foulée d’Octobre 1917, un sentiment national s’épanouisse. La langue et la culture ukrainiennes, désormais reconnues comme d’autres minorités locales jadis opprimées, s’étaient développées comme jamais. Pour la dictature de la bureaucratie, il fallait mater une population qui avait pris goût à l’autonomie, surtout s’agissant de la seconde république soviétique par son nombre d’habitants et son industrie.

Début 1933, Staline envoya donc un de ses sbires, Postychev, mettre bon ordre à cette situation. Celui-ci accentua le rythme de la collectivisation forcée et tordit le cou à la politique bolchevique d’ukraïnisation, en écartant ses promoteurs. Responsables communistes, écrivains, nombre d’entre eux protestèrent en se suicidant, tel Skrypnyk, qui avait dirigé le premier pouvoir des soviets en Ukraine en mars 1918.

La mise au pas des nationalités par le stalinisme ne s’arrêta pas là. Durant la Deuxième Guerre mondiale, le dictateur ordonna ce qui s’approcha le plus d’une politique génocidaire, la meurtrière déportation collective de populations entières : Polonais, Baltes, Coréens, Allemands de la Volga, Karatchaïs, Balkars, Kalmouks, Tchétchènes, Ingouches, Tatars de Crimée… Les Ukrainiens n’échappèrent à ce sort que du fait de leur nombre, comme le dit Khrouchtchev en 1956 en dénonçant certains crimes de son prédécesseur. C’était un avis d’expert, formulé avec l’humour cynique de ce bureaucrate stalinien que son chef avait envoyé diriger le parti en Ukraine en 1938 !

En parlant de génocide à propos de l’Holodomor, les actuels dirigeants ukrainiens masquent finalement l’étendue et surtout les ressorts profonds des crimes du stalinisme, qui ne se sont pas bornés à l’Ukraine. De nature profondément réactionnaire, le régime ukrainien actuel se revendique lui-même d’authentiques génocidaires d’extrême droite, Bandera et Melnik, devenus des « héros » de l’Ukraine pro-occidentale, alors que leurs hommes massacrèrent de nombreux Juifs, Polonais et Russes en Ukraine entre 1941 et 1945.

Il est vrai que, en matière de génocides, les parrains occidentaux du régime de Zelensky pourraient en remontrer à la terre entière, depuis l’extermination des Amérindiens, victimes des colonisateurs européens, et le saignement à blanc des peuples d’Afrique de l’Ouest pour fournir des esclaves aux planteurs français, anglais et autres, jusqu’aux massacres de masse perpétrés par les puissances impérialistes un peu partout sur la planète.

Il est logique que ces grandes puissances reprennent les mythes nationalistes du régime qu’elles protègent en Ukraine. Cela occulte le fait que la plus grande liberté, nationale et autre, que ce pays et sa population ont connue, a été établie après Octobre 1917, sous l’étendard rouge de la révolution bolchevique et de la lutte pour le socialisme à l’échelle mondiale.

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