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Turquie : l’incurie après comme avant le séisme
Une semaine après le séisme du 6 février, on dénombrait déjà plus de 35 000 morts, dont la majorité en Turquie. Des dizaines de milliers de personnes seraient sous les décombres et près de 200 000 seraient blessées. Des centaines de milliers encore, voire des millions, sont sans abri. Le bilan final pourrait s’approcher de 100 000 morts.
Pour le président turc Recep Tayyip Erdogan, on ne peut accuser que la fatalité. Mais, pour une grande partie de la population du pays, la responsabilité du président et de son gouvernement, après vingt années de pouvoir, est évidente, bien sûr non dans le séisme, mais dans ses conséquences. Ses déplacements dans la région sinistrée, ses caresses aux enfants devant les photographes et ses saluts n’y changent rien.
À la suite du grand tremblement de terre de 1999 dans la région d’Istanbul, qui avait causé la mort de 17 000 personnes, théoriquement, l’État avait pris des mesures. Un système de contrôle de la fiabilité des nouvelles constructions avait été instauré, dont la propagande gouvernementale vantait l’efficacité pour prévenir les dégâts occasionnés par de futurs séismes probables dans cette région située à la limite de trois plaques tectoniques. Mais cela n’a guère eu de suite. La corruption généralisée à tous les niveaux de l’appareil de l’État aidant, les promoteurs immobiliers ont pu tricher sur les normes pour faire baisser les coûts de revient des constructions. Des économies ont pu être faites sur la quantité de ciment, d’armatures métalliques dans le béton, sur les fondations, ou en utilisant du sable de mer, l’administration fermant souvent les yeux. Le rappel dans la presse d’une déclaration d’Erdogan en 2019, se vantant lors d’un déplacement à Kahramanmaras d’avoir « résolu les problèmes de 144 556 citoyens », amnistiés après leur condamnation pour n’avoir pas respecté les normes de sécurité, n’a pas manqué d’ajouter au ressentiment populaire.
Face à la colère qui gronde contre les mafias du bâtiment, le gouvernement a lancé 134 enquêtes et de nombreux mandats d’arrêt. Certains promoteurs ont déjà été arrêtés, plusieurs d’entre eux ayant tenté de quitter le pays. Cette manœuvre pour se dédouaner fera difficilement oublier que le pouvoir est complice de cette gabegie dans la construction.
Face au tremblement de terre lui-même, le gouvernement a été loin de mobiliser dans l’urgence les énormes moyens d’État, en particulier l’armée avec ses dizaines de milliers de soldats, ses avions, ses hélicoptères, ses camions. Les nombreux bénévoles, notamment les mineurs de fond ou les médecins qui ont proposé leur aide dès le lendemain, sont restés dans l’attente de consignes avant d’être dirigés sur le terrain. En fait, Erdogan a atermoyé pendant de longs jours, laissant au voisinage et aux familles l’organisation des secours aux habitants coincés sous les décombres.
En revanche, dès le lendemain du séisme, le gouvernement a restreint l’accès à Twitter et à d’autres réseaux sociaux, ce qui a suscité un mécontentement dans tout le pays.
Le but était clairement de garder la maîtrise des événements. « Nous ne permettrons pas d’autres coordinations que celle assurée par l’aide publique en cas de catastrophe. De même, les dons en nature et en espèces ne pourront être collectés que par l’intermédiaire de l’organisation publique de gestion de catastrophes, l’AFAP. Les matériels et secours collectés par les ONG seront également confisqués », a ainsi déclaré le ministre de l’Environnement.
L’incurie du pouvoir et du parti d’Erdogan, l’AKP, a été notamment illustrée par un député du parti d’opposition HDP, prokurde, dénonçant en direct de la ville dévastée d’Adiyaman l’absence totale après le séisme des députés et militants AKP de cette ville, qui avait voté en majorité pour le parti d’Erdogan.
À la suite du séisme, celui-ci semble avoir atteint des sommets d’impopularité dans la population, et pas seulement dans la vaste région touchée par la catastrophe et ses conséquences. Erdogan a donc déclaré l’état d’exception dans l’ensemble du pays et fermé les écoles et les universités jusqu’au 20 février, laissant entendre que, au-delà, une année au moins serait nécessaire pour rétablir la situation. Il pourrait prendre prétexte de cela pour reculer les élections présidentielles et législatives prévues pour le 14 mai, qui se présentent fort mal pour lui.