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- Lutte ouvrière n°2845
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il y a 100 ans
1923, l’occupation de la Ruhr
Le 7 janvier 1923, des troupes françaises et belges franchissaient la frontière allemande, avant d’occuper la Ruhr pendant plus de deux ans. Les dirigeants de l’impérialisme français, sorti victorieux de la Première Guerre mondiale, voulaient « faire payer l’Allemagne »… et sa population.
Le gouvernement du conservateur Raymond Poincaré voulait obtenir ainsi le paiement des réparations financières imposées à l’Allemagne par le traité de Versailles, qui avait sanctionné la fin du conflit mondial entre les principales puissances pour un repartage des colonies et des zones d’influence.
L’impérialisme français nourrissait aussi le projet d’affaiblir durablement son concurrent allemand, « en séparant de la Prusse les Pays rhénans pour les placer sous un régime spécial du point de vue militaire », comme le dit le ministre Louis Loucheur. Il exprimait alors la volonté des capitalistes français de mettre la main sur les industries de Rhénanie. Mais l’esprit revanchard à courte vue des politiciens français et la rapacité de leur impérialisme allaient provoquer en Allemagne une crise sociale et politique remettant la révolution à l’ordre du jour.
Effondrement économique et crise politique
En 1918, la révolution ouvrière avait obligé l’empereur Guillaume II à abdiquer. Inspirés par l’exemple des soviets de Russie, les travailleurs constituèrent alors des conseils ouvriers dans tout le pays. La bourgeoisie allemande ne dut son salut qu’au soutien que lui apporta le Parti social-démocrate qui, depuis 1914 et son ralliement à l’Union sacrée, avait abandonné toute perspective de renversement révolutionnaire du capitalisme. Pire, allié à l’état-major, il organisa l’écrasement de la révolution. En récompense pour son rôle de sauveur de l’ordre bourgeois, le principal dirigeant social-démocrate, Friedrich Ebert, put devenir le premier président de la République. Mais, l’Allemagne étant sortie exsangue de la guerre, la situation était loin d’être stabilisée.
Les sanctions financières contribuaient à aggraver les conditions de vie de la population. Depuis 1920, les travailleurs allemands ne recevaient que 90 % de leurs salaires. Les 10 % restants et les impôts indirects servaient à payer les réparations. Le mark ne cessait de perdre de la valeur : à l’été 1922, le dollar, qui auparavant valait 200 marks en valait 10 000. Les salaires ne suivaient plus les prix : viande, beurre, café, sucre et lait disparaissaient des foyers ouvriers.
En envoyant son armée occuper la Ruhr, le gouvernement français plongeait l’Allemagne dans une situation de chaos économique. Le dollar passa brutalement de 10 000 à 50 000 marks et l’inflation s’emballa. Le gouvernement et le grand patronat allemands organisèrent une « résistance passive », cherchant à y associer les ouvriers en les appelant à la « grève patriotique ». Si de grands patrons comme Fritz Thyssen junior ou Gustav Krupp furent emprisonnés, les travailleurs subirent la répression, l’armée française tirant à plusieurs reprises sur des manifestants qui protestaient contre la hausse des prix et allaient parfois jusqu’à piller des magasins pour se nourrir. Menacé d’une faillite financière, contesté par une vague de grèves, le Premier ministre allemand Cuno démissionna en août 1923.
PC français et allemand contre l'occupation
Les Partis communistes allemand et français s’étaient constitués en 1919 et 1920 en regroupant les militants qui voulaient suivre l’exemple de la révolution russe. Ils furent en première ligne pour organiser la lutte contre l’occupation de la Ruhr, défendant une politique internationaliste cherchant à lier les prolétariats des deux pays dans une lutte commune contre leurs dirigeants.
Ce n’était pas facile dans un contexte où les gouvernements, de part et d’autre, attisaient le nationalisme. En Allemagne, l’extrême droite tentait d’accroître son influence en menant une politique terroriste, commettant des actes de sabotage et des attentats contre les soldats français. Le KPD, le Parti communiste d’Allemagne, mit en avant le mot d’ordre : « Combattre Poincaré sur la Ruhr et Cuno sur la Spree » (la rivière traversant Berlin). C’est sur cette base politique que les communistes allemands organisèrent la protestation contre l’occupation de la Ruhr, appelant à des fraternisations entre travailleurs allemands et soldats français.
En France, ceux qui dénonçaient l’occupation de la Ruhr étaient dénoncés comme des traîtres et arrêtés. Cachin et Treint, deux dirigeants du PC, et Montmousseau, le secrétaire général de la CGTU, furent emprisonnés pour complot contre la sûreté de l’État. L’organisation des Jeunesses communistes fut particulièrement active pour dénoncer l’aventure militaire dans la Ruhr. Ses militants menaient une agitation révolutionnaire parmi les soldats.
Les Partis communistes des deux pays organisèrent des conférences communes contre l’occupation. Le PC de France s’exprima ainsi dans une déclaration à Francfort : « Le prolétariat français condamne l’occupation de la Ruhr comme un crime contre la classe ouvrière de tous les pays. Les jours de 1914 sont revenus, mais il y a quelque chose de changé parmi nous. Nous n’attendons plus rien de la démocratie. Nous ne croyons plus à la patrie bourgeoise. Nous ne sommes plus dupes des phrases réformistes. Nous avons pris conscience de notre force révolutionnaire. Les travailleurs de France et d’Allemagne ne marcheront plus les uns contre les autres. Ils se tendront la main pour s’unir contre la bourgeoisie. »
L'échec des ambitions françaises
La crise ouverte par l’occupation de la Ruhr allait créer une situation révolutionnaire en octobre 1923, à la suite de laquelle les États-Unis, dont l’importance parmi les puissances s’affirmait, intervinrent avec Charles Dawes et son « plan des experts », signé à Paris le 16 août 1924, pour imposer un aménagement de la dette allemande. Les dirigeants américains étaient conscients de la nécessité de régler cette question pour écarter le risque révolutionnaire. Ils refusaient aussi le mariage du charbon allemand et du fer français susceptible de concurrencer leur production d’acier. Le gouvernement français finit par retirer ses troupes en 1925, sans avoir atteint aucun de ses objectifs.
Les capitaux américains qui s’investirent massivement en Europe, et en particulier en Allemagne, contribuèrent alors à stabiliser la situation sociale et politique jusqu’à l’éclatement de la crise de 1929. La stalinisation des Partis communistes les empêcha de jouer alors un rôle révolutionnaire. Mais, en 1923, les deux Partis communistes avaient fait la démonstration de ce que pouvait être une politique internationaliste menée par des militants refusant d’être dressés les uns contre les autres par leurs gouvernements et affirmant ensemble leur volonté de lutter ensemble pour le renversement du capitalisme.