- Accueil
- Lutte ouvrière n°2828
- Nathalie Arthaud : “S’engager pour préparer la révolution”
meeting du 8 octobre
Nathalie Arthaud : “S’engager pour préparer la révolution”
Ces dernières années n’ont pas manqué de grandes révoltes : il y a eu une révolte au Soudan en 2018-2019 ; le Hirak en Algérie. Cet été, le Sri Lanka a été au bord de l’insurrection. Ces dernières semaines, Haïti a été de nouveau secoué par une vague de mobilisations populaires. Et il y a, bien sûr, l’irruption de la jeunesse en Iran.
Pour chacune de ces révoltes, les mêmes questions se posent : comment élargir le mouvement ; comment communiquer et se coordonner quand le régime surveille tout ; comment neutraliser la police pour l’empêcher de tirer ? Et comment se doter d’une direction pour transformer les dizaines ou les centaines de milliers de révoltés en force politique ?
La révolte et le courage de lutter ne suffisent pas à faire une politique. Se battre, oui, mais pour quelles revendications, pour quel but ? Un changement de gouvernement ? Un changement de régime ? Le renversement de tout l’appareil d’État, à commencer par l’armée qui en est le pilier ? Un renversement de régime, mais pour le remplacer par quoi ?
Le soulèvement en Iran
Toutes ces questions se posent aujourd’hui en Iran. Les protestations se font aux cris de « Mort au dictateur », « À bas la République islamique »… Mais par quel régime remplacer celui des mollahs ?
En général, il ne manque pas de candidats ni d’organisations pour récupérer les révoltes et leur donner une direction. Il y a souvent une palette de partis ou d’opposants qui passent directement de la prison au gouvernement. Au-delà des réseaux de notables et de politiciens professionnels, il y a toutes les organisations qui existent et encadrent déjà la société : l’armée et même, parfois, des organisations religieuses.
En 1979, quand la population iranienne s’est soulevée contre le régime du chah et l’impérialisme américain qui le soutenait, ce sont les religieux qui se sont mis à la tête de la révolte.
Au nom de l’unité dans la lutte anti-impérialiste, tous les opposants au chah, y compris ceux qui étaient laïcs, voire athées, se sont alignés derrière le guide suprême Khomeiny. Y compris le Parti communiste iranien, qui était un des fers de lance de la contestation. Car il y avait alors, en Iran, de nombreux militants se revendiquant du communisme et du pouvoir de la classe ouvrière. Mais ils ont renoncé à défendre une politique indépendante pour les travailleurs.
Le point culminant de la révolution iranienne fut une insurrection où la population prit les armes et fit tomber l’armée, le chah et son régime. Immédiatement après, la population rendit les armes aux comités religieux et aux milices islamistes qui donnèrent naissance aux Gardiens de la révolution, les mêmes qui tirent aujourd’hui sur les manifestants.
La révolution accoucha donc d’un régime policier islamique. Les mollahs se chargèrent du ravalement de façade. L’État se réclamerait désormais du nationalisme et de la religion. Mais l’ordre social restait intact. L’ayatollah Khomeiny appelait « ses chers ouvriers », comme il disait, à retourner au travail.
La population laborieuse a continué d’être exploitée. Elle n’a pas vu la couleur de la rente pétrolière et, malgré ses velléités d’indépendance, l’Iran est resté dépendant de l’ordre impérialiste mondial. Et cela fait plus de quarante ans que la population, les femmes et les travailleurs le payent.
Comme la révolution iranienne de 1979, on ne compte plus les révolutions menées dans des impasses ou massacrées. Et ce ne sont pas les exploités, leur détermination et leur courage qui sont en cause. Les opprimés n’ont d’ailleurs jamais cessé de se soulever tantôt dans un pays, tantôt dans un autre. Et ils ne cesseront pas parce qu’ils n’ont pas d’autres choix.
La faillite est du côté des dirigeants révolutionnaires, qui n’ont pas été à la hauteur des événements. Et aujourd’hui, dans nombre de pays, ils ont déserté le combat et abandonné les seules idées susceptibles de changer le monde. […]
Il faut une direction politique
Notre raison d’être est de construire un parti capable de s’orienter en pleine tempête sociale et politique.
Une véritable crise révolutionnaire jette dans l’action des millions de femmes et d’hommes, avec des revendications, des niveaux de combativité et de conscience différents. Chacun est pris dans un tourbillon d’actions, d’espoirs, de peur, de découragement…. Les événements, l’état d’esprit des masses, l’attitude de l’État et des forces de répression… tout peut changer d’heure en heure.
Il faut savoir analyser le rapport de force, mesurer le niveau de combativité et de conscience, pour proposer des mots d’ordre et une politique permettant à la lutte d’aller de l’avant, de s’approfondir, jusqu’à ce que la question de la prise du pouvoir par les travailleurs apparaisse comme une nécessité aux yeux du plus grand nombre.
Cela ne s’improvise pas. Il faut un parti qui se soit préparé moralement et politiquement à cela. Un parti qui se soit construit et formé dans ce but révolutionnaire.
Quand on veut être chirurgien, on apprend la médecine, la biologie, l’anatomie…. Les études de médecine ne suffisent pas pour avoir le bon geste et devenir un bon chirurgien. L’expérience compte beaucoup, parce que la réalité est toujours plus complexe que ce que l’on apprend dans les livres. Mais celui qui néglige les études et se moque des leçons médicales tirées des opérations passées, lui, il faut s’en méfier.
Eh bien, les révolutionnaires doivent se préparer dans le même état d’esprit que celui qui aspire à devenir chirurgien !
Alors, il lui faut la direction la plus compétente et expérimentée possible et, cela va de pair, il faut des dizaines de milliers de militants immergés dans les masses en ébullition. Des militants suffisamment liés au monde du travail pour être capables de sentir leur état d’esprit, mais aussi des militants capables d’agir ensemble, au moment où il le faut, d’un même élan.
Cela nécessite un parti de militants habitués à travailler ensemble, qui se comprennent rapidement, à demi-mot, parce qu’ils partagent en profondeur les mêmes convictions et parce qu’ils se sont forgé une politique commune.
Plus il y a d’événements sociaux et politiques, plus les luttes et les épreuves militantes sont nombreuses et mises en commun, plus cette cohésion et cette confiance mutuelle sont faciles à construire. La base de ce ciment politique, c’est l’activité militante la plus riche possible. […]
Leur guerre n'est pas notre guerre
La guerre en Ukraine n’est pas et n’a jamais été une guerre nationale, dans laquelle un petit pays résiste à l’invasion de son puissant voisin. L’Ukraine est depuis des années le terrain d’affrontement entre deux brigands, la Russie et les États-Unis, pour savoir lequel fera de cette région du monde sa chasse gardée. Et l’un comme l’autre est prêt à en faire un théâtre sanglant. […]
Déjà, aujourd’hui, le gouvernement et les médias sont en campagne permanente contre Poutine. Et la France n’est pas officiellement en guerre ! Il faut imaginer que la pression guerrière peut s’intensifier, avec tout ce que cela signifie de peur et de militarisation de la société.
Et il faudra continuer de résister à leur propagande !
Nous serons peut-être de moins en moins nombreux, mais il faudra continuer d’affirmer que, oui, Poutine est un dictateur, mais l’impérialisme est tout un système qui perdure au-delà de la personnalité des uns ou des autres et qui fait sombrer le monde dans la barbarie !
Les Biden, Macron et Cie prétendent s’intéresser aux souffrances des Ukrainiens. Mais ils continuent à piller les ressources de nombreux peuples et à bafouer leurs droits, de l’Irak à la Palestine, des pays du Sahel à l’Afghanistan, sans oublier le continent américain et l’Amérique latine. […]
Comme disait Rosa Luxemburg, « la légende de la défense de la patrie appartient tout autant à l’art de la guerre que la poudre et le plomb ». Alors, non, cette guerre n’est pas celle de la classe ouvrière ukrainienne, elle n’est pas celle des travailleurs russes. Cette guerre n’est pas notre guerre !
Si la pression guerrière monte, avec ce que cela signifie d’embrigadement des esprits et de pressions sociales, ne comptez pas sur le PCF, La France insoumise ou je ne sais qui pour s’y opposer ! Aujourd’hui, ils ne sont même pas capables de dénoncer l’instrumentalisation que les Américains font des Ukrainiens et ils soutiennent la politique de Macron. Quant au NPA, il a joint sa petite voix au concert des va-t-en-guerre, en reprenant les arguments sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, argument défendu aujourd’hui par le camp impérialiste !
Aujourd’hui, les voix opposées à la guerre viennent surtout des masses opprimées des pays pauvres, des travailleurs d’Afrique ou du Moyen-Orient. Eux ne sont pas dupes, car ils ont appris dans leur chair que les puissances impérialistes n’interviennent jamais pour faire le bonheur des plus pauvres.
Mais le courant dominant est pro-guerre. Et, politiquement, nous serons de plus en plus seuls. Et il faudra tenir.
Il faudra tenir sur nos convictions anti-impérialistes révolutionnaires. J’ajoute le mot révolutionnaire, parce que pour nous la seule façon de se débarrasser de l’impérialisme, c’est de détruire le capitalisme, c’est-à-dire d’arracher le pouvoir de la classe capitaliste à l’échelle du monde.
Il faudra tenir sur l’internationalisme prolétarien. Il y a sans doute en Russie et en Ukraine des femmes et des hommes qui haïssent leurs dirigeants et refusent de marcher au pas. Des femmes et des hommes qui ne supportent pas la propagande chauvine et le fossé de haine qu’elle creuse. Qui tiennent le nationalisme et le militarisme en horreur. Et plus encore maintenant, après six mois d’une guerre monstrueuse. […]
Alors, c’est à nous de garder levé le drapeau révolutionnaire et d’affirmer haut et fort : ni Poutine, ni Biden ou Macron. L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes !