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Dans le monde
Russie : réactions face au décret de mobilisation
« Je ne veux pas que mon fils finisse comme engrais », « Mon grand-père a fait la Grande guerre patriotique pour défendre l’URSS, moi je n’irai pas en Ukraine, c’est une guerre de politiciens », « À bas la mobilisation »…
Ces propos abondent au fil des vidéos qui, ici, montrent la foule affrontant la police pour libérer des manifestants, là des villageois assiégeant le commissariat militaire local ou des ouvriers raflés dans une usine de Sibérie, que des gradés insultent car ils refusent d’aller à la guerre… Il semble cependant que le rejet de l’appel aux réservistes de 18 à 65 ans a moins mobilisé à Moscou et Saint-Pétersbourg, où des manifestations peu nombreuses ont été promptement réprimées, que dans le reste du pays.
Le public n’était pas non plus le même. Dans les villes, il s’agissait surtout de fils de la petite bourgeoisie, et Poutine a fait un geste dans leur direction en promettant qu’il n’enrôlerait pas les étudiants. Dans les entreprises en revanche, l’armée ratisse large. Elle n’y a pas lésiné sur l’envoi de convocations et fait savoir ce qu’il en coûtait de tenter d’échapper à ses griffes : 10 ans de prison. Même tarif pour les déserteurs.
Dans des services du métro de Moscou, un homme sur trois ou quatre a reçu une convocation. Dans un village de 700 habitants en Russie centrale, 50 ouvriers agricoles ont été rappelés. La direction d’une grande usine de l’Oural a annoncé avoir remis 2 000 convocations ! Et ce ne sont que quelques exemples.
Pour l’heure, mais cela peut changer si l’Occident continue d’inonder d’armes l’Ukraine, les « réservistes » n’iront pas tous au front. Il y a des exemptions, et le montant des pots-de-vin à verser pour passer entre les mailles du filet grimpe. Il y a aussi certaines professions ou bien le fait de travailler pour l’industrie d’armement qui exonèrent les mobilisés potentiels. Les usines du complexe militaro-industriel tournent à plein, sauf quand les sanctions occidentales perturbent leur approvisionnement, et manquent de personnel pour fournir l’armée, alors elles embauchent volontiers des professionnels venus d’ailleurs.
Avec la fuite à l’étranger de nombreux réservistes, cela désorganise un peu plus une économie russe qui souffre déjà passablement de la crise et des sanctions occidentales. Dans beaucoup de secteurs, tels les services et le grand commerce, on ne voit pratiquement plus que des employées, les hommes ayant disparu. En province, c’est pire : les autorités civiles et militaires n’ont parfois pas attendu le décret de Poutine pour exiger de telle entreprise qu’elle « libère » deux « volontaires » par atelier ou pour recruter des soldats parmi les élèves des grandes classes.
Confronté à un début de contestation ouverte, le Kremlin dénonce maintenant « les excès » de ceux qui appliquent ses directives. Une vieille ficelle dont on peut douter qu’elle fasse oublier à la population ce qu’elle sait ou soupçonne : les rappelés risquent d’être mal préparés, mal équipés, mal encadrés (l’armée russe manque de cadres subalternes), avant d’être envoyés comme chair à canon affronter une armée ukrainienne suréquipée, dans une guerre dont beaucoup ne voient pas la finalité, quand ils ne la rejettent pas clairement.
Poutine prétend qu’il défend le « peuple russe », mais cela n’empêche pas sa cote d’avoir plongé dans de larges couches de la population. S’agissant de la petite bourgeoisie urbaine, ce n’est pas nouveau. Ce qui l’est, c’est que son impopularité liée aux développements de la guerre s’étend dans des milieux populaires et ouvriers.
Autre fait notable : la protestation de ces derniers jours s’est surtout exprimée dans les républiques de la Fédération de Russie (Daghestan, Kalmoukie, Yakoutie, Bouriatie, Tyva) dont la population, en majorité d’origine non slave, pourrait d’autant moins se reconnaître dans les buts de guerre affichés du Kremlin : reconstituer une Grande Russie slave et orthodoxe.