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- Lutte ouvrière n°2819
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il y a dix ans
Afrique du Sud : le massacre des grévistes de Marikana
Le 16 août 2012, la police tirait sur des mineurs de platine en grève. 34 mineurs étaient tués : c’était la pire répression que commettait l’État sud-africain depuis le massacre de Sharpeville en 1960, à l’époque où la police protégeait le régime raciste de l’apartheid.
En 2012, l’ANC, le parti nationaliste noir de Nelson Mandela, était au pouvoir depuis dix-huit ans, à la tête d’un appareil d’État défendant aussi violemment l’ordre établi et le pouvoir du grand patronat que précédemment.
Le 10 août 2012, 3 000 mineurs employés par Lonmin à la mine de platine de Marikana, à 100 kilomètres de Johannesburg, se mirent en grève pour une augmentation de 12 500 rands, visant à tripler le salaire des plus mal payés. Ces derniers devaient envoyer de l’argent à leur famille, restée dans les provinces pauvres où le chômage atteignait 38 % chez les adultes, le double chez les jeunes, et où la moitié de la population vivait en dessous du seuil officiel de pauvreté.
D’emblée la grève était désavouée par les dirigeants du Syndicat national des mineurs (NUM) fondé par Cyril Ramaphosa, militant de l’ANC, en 1982. Ce syndicat avait mené des grèves très dures sous l’apartheid, notamment celle de trois semaines de 1987 où plus de 300 000 mineurs avaient dû affronter la répression (onze morts et 500 blessés). Cette combativité ouvrière avait finalement servi de marchepied à Ramaphosa qui avait participé, de 1990 à 1994, aux négociations avec le gouvernement pour mettre fin en douceur à l’apartheid et transférer le pouvoir à Nelson Mandela et à l’ANC.
À partir de 1994, l’accession au pouvoir de l’ANC, soutenu par le Parti communiste et la confédération syndicale Cosatu, dont fait partie le NUM, était censée assurer la paix sociale à la bourgeoisie sud-africaine. En échange, des cadres de l’ANC ont pu intégrer ses rangs, ce qui était au fond le but des nationalistes noirs depuis des décennies. Ramaphosa fut de ceux-là : n’ayant pas pu s’imposer à la tête de l’ANC lors de la succession de Mandela, le dirigeant syndical fit carrière comme patron. Avec l’aide de l’État, il devint multimillionnaire et membre de plusieurs conseils d’administration, dont celui de la compagnie minière Lonmin.
Celle-ci bénéficiait à travers lui d’un accès privilégié aux cercles du pouvoir et à Jacob Zuma, président en 2012 (en procès pour corruption actuellement). Les mineurs de Marikana avaient donc comme adversaires ceux qui s’étaient présentés comme leurs amis pendant des décennies.
Dès le début de la grève, Lonmin refusa de recevoir les mineurs et de considérer leurs revendications salariales. Le syndicat officiel NUM qualifia la grève de « sauvage » et la combattit avec ses hommes de main, œuvrant conjointement avec ceux de Lonmin et avec la police. Entre le 11 et le 14 août 2012, six grévistes, deux agents de sécurité et deux policiers trouvèrent ainsi la mort au cours de divers accrochages.
Le 16 août, les mineurs occupaient une colline, équipés de machettes, lances et gourdins, armes plutôt symboliques, destinées à souligner leur détermination.
Des centaines de policiers étaient présents, bientôt rejoints par des soldats. Les grévistes refusèrent de se disperser, se regroupant au contraire en une masse compacte sur les flancs de la colline et déclarant qu’ils étaient prêts à mourir plutôt que de renoncer à leur combat. Des permanents du NUM, arrivès dans des blindés légers de la police, furent hués.
Les policiers reçurent l’ordre de tirer et firent en quelques minutes 34 morts et 78 blessés. Le nombre des blessés était sans doute plus important car certaines victimes préférèrent éviter l’hôpital de peur d’y être arrêtées et de rejoindre leurs 259 compagnons de lutte pris par la police.
Alors que la presse titrait sur le « Sharpeville de l’ANC », le NUM réclama l’arrestation des meneurs de la grève. Un responsable du Parti communiste écrivit : « La police utilisa ses armes exactement de la façon dont elle est censée s’en servir. Pour moi, les gens sur lesquels elle a tiré ne ressemblaient pas à des ouvriers. Nous devrions être satisfaits. La police a été admirable ». L’ANC accusa les grévistes d’avoir attaqué la police.
Malgré la répression, le patronat n’en avait pas fini avec les grèves. Ceux des employés de Lonmin à Marikana qui n’avaient pas rejoint le mouvement le firent dès la nouvelle du massacre connue. Puis ceux des autres mines de platine de la région, appartenant à d’autres compagnies, se joignirent au combat pour les 12 500 rands d’augmentation.
Fin août, 12 000 mineurs d’or entrèrent à leur tour dans le mouvement, puis 10 000 autres. Eux aussi durent affronter l’hostilité militante du NUM, qui perdait des adhérents, et de la police qui tira et tua quatre mineurs le 3 septembre à la mine d’or de Gold One, à Molden, alors qu’ils étaient venus réclamer leur réintégration après le licenciement d’un millier d’entre eux en juin suite à une grève sauvage.
La production de platine fut presque entièrement stoppée par la vague de grèves qui touchait aussi les mines d’or : en octobre 75 000 mineurs étaient en grève. La police réagissait en organisant des raids brutaux dans les localités minières, pendant que Zuma accusait des « éléments étrangers clandestins » d’être à l’origine des grèves, et qu’un ministre annonçait à la télévision que « le gouvernement ne tolérerait plus de tels actes », qui, selon lui, menaçaient la santé de l’économie.
Les grèves n’étaient pas coordonnées. Des grévistes annoncèrent devant un stade rempli de mineurs, que leur objectif était de lancer une grève générale dans les mines. Mais le mouvement resta une juxtaposition de grèves que chaque compagnie minière essayait de contenir par la menace de licenciements et la répression. Finalement, par l’intermédiaire de médiateurs et d’évêques, des compagnies se résolurent à lâcher 22 % d’augmentation de salaire.
Aujourd’hui, dix ans après, le procès de six policiers, dont un général et un colonel, impliqués dans le massacre de Marikana, est en cours. Quant à Cyril Ramaphosa, ses états de service de patron de choc lui ont sans doute servi à devenir vice-président de l’ANC cinq mois après le massacre des ouvriers de Marikana, puis vice-président de l’Afrique du Sud en 2014. Avant d’accéder à la présidence en 2018 sur fond d’impopularité croissante de l’ANC. Son procès n’est pas prévu.