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- Lutte ouvrière n°2812
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Il y a 60 ans
Algérie, mars-juillet 1962 : l’OAS, une politique terroriste pour un parti fasciste
Entre la signature des accords d’Évian le 19 mars 1962 reconnaissant l’indépendance de l’Algérie et la proclamation effective de celle-ci le 5 juillet, cette période de plus de trois mois devait permettre le passage du pouvoir. Elle vit surtout la recrudescence dramatique des attentats commis par l’OAS (Organisation armée secrète), créée un an auparavant.
Créée le 11 mars 1961 à Madrid, dans l’Espagne franquiste, par des anti-indépendantistes d’extrême droite auxquels s’était joint le général Salan, l’OAS ne cherchait déjà plus à se battre pour une Algérie française qu’elle savait perdue. Par des attentats aveugles, son but était de terroriser les populations et de dresser les Algériens contre la population européenne dite des pieds-noirs, ne laissant à celle-ci d’autre choix que de partir. Son calcul était alors qu’elle fournirait la base d’un parti de type fasciste pour la conquête du pouvoir en France.
L’armée française s’enlisait dans la guerre qu’elle menait contre le Front de libération nationale algérien (FLN), une guerre qu’elle ne pouvait gagner. Après le 13 mai 1958 et la rébellion militaire dirigée par le général Massu, de Gaulle arriva au pouvoir en se présentant à la bourgeoisie française comme l’homme providentiel capable de la sortir de ce bourbier, calmant à la fois les attentes des combattants algériens et celles des dirigeants jusqu’au- boutistes de l’armée. Mais en décembre 1960, lorsqu’il annonça un référendum sur l’autodétermination de l’Algérie, les militaires et l’extrême droite des Européens d’Algérie comprirent que son objectif n’était nullement de conserver l’Algérie française.
Les hommes de l'OAS
C’est dans ces conditions que, dans la nuit du 21 au 22 avril 1961, quatre généraux fomentèrent un putsch « pour garder l’Algérie française ». Après l’échec de celui-ci, les généraux Challe et Zeller se rendirent, mais Salan et Jouhaud passèrent à la clandestinité et prirent la tête de l’OAS.
Ainsi, dès 1961, l’OAS regroupe environ un millier d’hommes, déterminés à agir par le massacre. En Algérie, elle est présente majoritairement parmi l’armée et les forces de police, formées à la brutalité et à la torture contre tous les opposants à l’Algérie française, quelle que soit leur origine. Ce sont aussi ces forces de répression, en phase de rébellion contre les ordres de l’État, qui lui fournissent des armes et du matériel. Mais elle a aussi ses partisans en France parmi des membres de l’appareil d’État, les hauts fonctionnaires et une extrême droite nostalgique de la puissance coloniale passée. Les politiciens favorables à une paix négociée, ou les partisans de l’indépendance, voire de Gaulle lui-même, qui allait échapper à plusieurs tentatives, deviennent la cible des attentats.
En Algérie, une partie des possédants pieds-noirs, désireux de maintenir leurs privilèges quoi qu’il en coûte, soutiennent l’OAS. Cependant, la majorité de la population européenne, qui jouit certes de quelques privilèges par rapport aux Algériens, n’en forme pas moins une population modeste vivant souvent dans les mêmes quartiers qu’eux, désireuse de continuer à vivre en Algérie et rejetant les terroristes. Vis-à-vis de ceux qui n’adhérent pas à sa politique, l’OAS n’hésite pas à utiliser des moyens individuels de rétorsion : rackets et menaces.
Une politique terroriste
Après les accords d’Évian du 19 mars 1962, l’OAS commence en Algérie une campagne d’attentats ciblés visant à créer un fossé entre les deux communautés. N’ayant plus aucun espoir que l’Algérie reste une colonie française, elle cherche à occasionner le maximum de destructions et de morts parmi les Algériens, avec une politique dite de terre brûlée, et à créer un fossé avec l’ensemble des Européens pieds-noirs. Le but est que ces derniers quittent le pays et, aigris d’avoir été dépossédés de tous leurs biens et n’arrivant pas à s’intégrer en France, y servent de base à un parti d’extrême droite.
Selon son slogan, l’OAS, qui « frappe où elle veut, quand elle veut », organise des « nuits bleues » avec des centaines d’explosions, visant à terroriser les populations. De simples passants, des personnalités, des militants communistes sont assassinés. Elle pratique aussi la politique des attentats ciblés afin de séparer les deux communautés : des femmes de ménage algériennes sont tuées en se rendant à leur travail, des malades et des blessés assassinés sur leur lit d’hôpital. Le 2 mai, dans le port d’Alger, une voiture piégée explose, causant la mort de plusieurs dizaines d’Algériens en attente d’un emploi. Le lendemain, un camion-citerne contenant 12 000 litres de fuel est lancé du haut d’une rue d’un quartier populaire d’Alger, mais arrêté à temps par des pompiers avant qu’il n’explose en risquant de provoquer un carnage.
L'exil des pieds-noirs et la fin de l'OAS
La politique sanglante de l’OAS précipite le départ des pieds-noirs vers la France. En juin 1962, ils sont déjà 350 000 à quitter l’Algérie, emportant juste quelques bagages, après des jours passés à faire la queue pour monter dans les avions ou sur les navires.
En tout, 1 380 000 migrants arrivent en quelques mois sur le sol français, sans rien d’autre que quelques affaires. Cependant, le calcul politique de l’OAS va vite se révéler erronné. L’arrivée de plus d’un million de pieds-noirs ne va pas déstabiliser l’économie française, car elle se fait en période de croissance et, en relativement peu de temps, ils réussissent à s’insérer dans le reste de la population française.
Si l’OAS n’atteint pas son objectif, les hommes qui l’ont créée ne vont pas pour autant disparaître. Certes, les quatre généraux « félons » ont été arrêtés et condamnés à la perpétuité ou à mort. Mais la gangrène va au-delà de l’OAS : l’armée des Massu et Le Pen, qui a torturé les Algériens comme les opposants et massacré les populations, a formé bien des criminels prêts à tout. Tous ces hommes, produits de la sale guerre coloniale menée pendant huit ans en Algérie, et aussi précédemment durant la guerre d’Indochine, vont continuer pendant des années à contaminer l’appareil d’État et à alimenter les rangs de l’extrême droite.
Mais, même s’il risque d’en être la victime, il n’est pas question pour de Gaulle de chercher à éradiquer cette gangrène. Qui peut jamais savoir si, un jour, la bourgeoisie n’aura pas besoin de recourir à ce genre d’assassins pour asseoir sa domination ? De 1964 à 1968, trois lois d’amnistie sont votées, dont la dernière annulant « les infractions contre la sûreté de l’État » et aboutissant à la libération des quatre généraux. Et en 1982, c’est Mitterrand qui poursuivra dans cette veine par une loi sur la révision de carrière des généraux impliqués, leur rendant à la fois leur pension et leurs décorations.