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Irlande du Nord : la victoire du Sinn Féin
Le 5 mai, pour la première fois depuis l’accord de paix de 1998, les élections au Parlement nord-irlandais ont vu le parti nationaliste Sinn Féin (SF) se classer en tête, avec 29 % des voix et 27 sièges sur 90, devant les unionistes du DUP, en net recul avec 21 % des voix et 25 sièges.
La logique voudrait donc que la dirigeante de SF, Michelle O’Neill, prenne la tête d’un nouveau gouvernement.
Mais tout est très compliqué dans cette petite province du Royaume-Uni, artificiellement séparée du reste de l’Irlande par l’impérialisme britannique depuis un siècle exactement. Certes, la victoire électorale du Sinn Féin est indiscutable. Elle résulte largement d’un phénomène démographique : la proportion des catholiques, en général d’origine irlandaise et favorables au rattachement de l’Irlande du Nord à la République d’Irlande, est en augmentation par rapport aux protestants, en général d’origine anglaise ou écossaise et favorables au maintien de l’union avec la Grande-Bretagne au sein du Royaume-Uni. Qui plus est, le SF, longtemps vitrine légale de l’Armée républicaine irlandaise (IRA), a fait une campagne moins centrée sur la cause nationaliste que sur ce qui préoccupe le plus la population aujourd’hui, toutes confessions confondues : le pouvoir d’achat.
En face, le principal parti unioniste, le DUP, s’était focalisé uniquement sur une dénonciation du protocole nord-irlandais inclus dans le traité du Brexit. C’est un échec, le DUP avait choisi d’appuyer la campagne de Johnson pour le Brexit, et sa base se sent aujourd’hui flouée par l’accord passé entre Londres et Bruxelles.Car, pour ne pas réintroduire de frontière dure entre le nord et le sud de l’Irlande et ne pas susciter la colère des nationalistes irlandais, ce protocole fait passer la frontière entre le Royaume-Uni et l’Union européenne en pleine mer d’Irlande, donc entre l’Irlande du Nord et la Grande-Bretagne – une atteinte à l’intégrité du Royaume-Uni que l’électorat unioniste trouve intolérable.
Pourtant, malgré un résultat sans appel, la formation d’un gouvernement conduit par le SF n’est pas pour demain. L’accord de 1998 stipule en effet, au nom de la paix entre les communautés, que si le Premier ministre est unioniste, le vice-Premier ministre doit être nationaliste, et vice versa. Cette décision de graver dans le marbre des institutions les appartenances politico-religieuses est non seulement réactionnaire, mais impraticable. Depuis 1998, l’obligation de former un tandem a souvent débouché sur une vacance du pouvoir, et un retour à une gestion de la province directement par Londres. C’est le cas depuis février 2022, quand le Premier ministre DUP Paul Givan a présenté sa démission, par refus du protocole nord-irlandais. Le DUP déclare d’ailleurs qu’il refusera de revenir au gouvernement tant que les contrôles douaniers en mer d’Irlande n’auront pas été abolis.
Le résultat du 5 mai vient ainsi s’ajouter aux conséquences du Brexit sur lequel Boris Johnson a largement spéculé pour se hisser au pouvoir et dans lequel il n’a pas fini de s’empêtrer. Malheureusement, c’est toute la population britannique qui paye aussi les conséquences de sa politique.