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Birmanie : la population face à la crise et à la répression
Après le coup d’État du 1er février 2021, la junte au pouvoir avait arrêté et maintenu en résidence surveillée Aung San Suu Kyi, l’ancienne dirigeante âgée de 76 ans avec qui elle partageait jusqu’alors le pouvoir. Un tribunal vient de la condamner.
Les quatre ans de prison prononcés, ont été réduits à deux ans par le chef de la junte militaire, pour incitation à des troubles publics et violations de règles sanitaires liées au Covid-19.
L’ancien président Win Myint a écopé de la même peine. Aung San Suu Kyi est sous la menace d’autres accusations pouvant lui valoir jusqu’à 104 années de prison.
Cette parodie de justice militaire était destinée à écarter de la vie politique la dirigeante du parti qui venait de remporter les élections.
Cette décision ne permet toutefois pas d’augurer de l’avenir d’Aung San Suu Kyi, qui fut mise en résidence surveillée de 1990 à 2010, avant d’être appelée au pouvoir par la junte en 2016. Elle promit alors à l’armée l’impunité pour ses crimes passés, servit de vitrine pour l’arrivée du capital étranger, qui investissait massivement dans l’exploitation de la main-d’œuvre birmane. Elle assuma totalement la répression génocidaire de la minorité ethnique des Rohingya, dont un million durent fuir au Bangladesh voisin dans des conditions terribles en 2017-2018.
Mais la principale victime de la dictature sanglante qui sévit depuis dix mois en Birmanie est la classe ouvrière et la population birmane. Selon un rapport de l’ONU de novembre, « les effets combinés de la pandémie de Covid-19 et de la prise de contrôle militaire ont plongé le Myanmar [Birmanie] dans une spirale descendante vers la pauvreté ». Près de la moitié des plus de 54 millions d’habitants du pays devraient être comptabilisés comme pauvres d’ici le début de l’année prochaine, douze millions de plus qu’avant le coup d’État.
Dans les zones urbaines et industrialisées, la pauvreté est en train de tripler. De nombreuses usines ont fermé, les salaires sont en baisse partout. Dans les régions rurales, déjà les plus défavorisées, la pauvreté touche maintenant les deux tiers de la population.
La férocité de la répression est l’autre volet de l’enfer quotidien de la population birmane. Selon l’Association d’assistance aux prisonniers politiques, qui recense quotidiennement ses victimes, au 7 décembre 1 305 opposants avaient été tués par la junte, 7 823 étaient en détention. L’armée birmane tue, bombarde, incendie, viole, torture la population. Plus de cent enfants ont été tués, comme ce garçon de 6 ans, abattu sur les genoux de son père quand l’armée a fait irruption dans sa maison.
Malgré la violence de la répression, les opposants au régime continuent de se manifester. Ainsi, dimanche 5 décembre, les cinq victimes d’un quartier de Yangon manifestaient avec des fleurs et des banderoles contre la venue du chef de la junte, Min Aung Hlaing, quand elles ont été écrasées par un véhicule militaire.
Nombre d’opposants et de jeunes ont rallié des groupes armés dans divers points du pays et parviennent à infliger des revers à l’armée birmane.
D’après les rares témoignages de syndicalistes, la classe ouvrière, jeune et très féminine particulièrement dans le textile, a joué un rôle important dans les réactions au coup d’État de février. Depuis, 250 000 ouvriers du secteur textile ont perdu leur emploi. Dans les usines restantes, le mouvement ouvrier a largement accusé le coup de la répression, les militants étant contraints de se cacher.
Dans les quartiers ouvriers sous loi martiale, pour se rendre au travail les femmes doivent franchir les postes de contrôle militaires. Certaines se voient extorquer des pots-de-vin ou sont harcelées verbalement et sexuellement.
Au mois de novembre encore, dans une usine Gasan Apparel, qui fournit entre autres la firme Mango, les ouvriers ont fait une semaine de grève contre la réduction des salaires et de la protection sociale. Les forces de sécurité ont été appelées par la direction de l’usine.
Quatre jours plus tard, un responsable des ressources humaines d’une usine voisine a été abattu en représailles. Un groupe baptisé Yangon Eagle en a revendiqué l’assassinat sur Facebook, l’accusant d’avoir dénoncé les travailleurs.
Les travailleurs birmans ont face à eux une caste militaire qui est aussi le bras armé d’un grand capital assoiffé de plus-value.