Tribune des magistrats : 5 000 juges en colère08/12/20212021Journal/medias/journalnumero/images/2021/12/2784.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Tribune des magistrats : 5 000 juges en colère

Le 23 novembre, le quotidien Le Monde publiait un appel signé de 3 000 magistrats et 100 greffiers. Il a depuis été signé au total par 5 200 magistrats sur 9 000, 1 200 greffiers et 500 magistrats en formation. Une pétition de soutien a été signée par plus de 3 000 avocats.

Sous le titre Nous ne voulons plus d’une justice qui n’écoute pas et qui chronomètre tout, le texte dénonce le manque criant de moyens dont souffrent le système judiciaire, ceux qui y travaillent et la population obligée d’y avoir recours. Deux événements ont déclenché cet appel massif. Fin août, une juge de 29 ans placée au tribunal judiciaire de Béthune a mis fin à ses jours, après avoir à plusieurs reprises alerté ses collègues et sa hiérarchie sur l’impossibilité d’accomplir correctement sa tâche. Ce n’est pas, selon eux, un cas isolé. Suite à ce drame, la seule réponse du ministère, loin de déclencher une inspection de fonctionnement de la juridiction, comme les collègues de la jeune juge l’auraient souhaité, fut de mettre en place en octobre une des fumeuses spécialités macroniennes, des « états généraux de la justice ».

Il y avait là effectivement matière à mettre juges, greffiers et personnel judiciaire davantage en colère. Leur tribune constate donc amèrement, une fois de plus, leur souffrance au travail puisque, faute d’effectifs suffisants, on leur demande de faire du chiffre. Il leur faut, aux affaires familiales, « traiter chaque dossier de divorce ou de séparation en quinze minutes ». À la justice de proximité, il leur faut « juger 50 dossiers [en six heures sans pause] : après avoir fait attendre des heures des personnes qui ne parviennent plus à payer leur loyer ou qui sont surendettées, nous n’avons que sept minutes pour écouter et apprécier leur situation dramatique ». Les juges des enfants en sont « réduits à renouveler des mesures de suivi éducatif sans voir les familles ». En correctionnelle, ils doivent « choisir entre juger à minuit des personnes qui encourent des peines d’emprisonnement, ou décider de renvoyer des dossiers aussi complexes que des violences intrafamiliales à une audience qui aura lieu dans un an ».

Les organisations syndicales de la profession, qui soutiennent la protestation, appellent à une « mobilisation générale pour la Justice » aux sièges des cours d’appel le 15 décembre, et à Paris à un rassemblement devant le ministère de l’Économie et des Finances.

Devant le nombre de signataires, le ministre Dupond-Moretti ne s’est plus contenté de répéter d’un air satisfait qu’il avait « réparé la justice » depuis son arrivée dans l’équipe de Macron. Il a déclaré prendre la chose au sérieux, puisque « ça n’est pas quelque chose de syndical ». Et donc de parler budget, en hausse, prétend-il, comme le nombre de postes. Mais les intéressés ne sont pas dupes. Les chiffres se résument à 50 postes créés dans la magistrature, dont une grande partie ne seront fonctionnels qu’après la formation des magistrats, et à 500 contractuels non formés, précaires et parachutés. Quant aux greffiers, leur nombre n’augmente pas, au contraire.

Après la réforme Macron de 2018 qui, par mesure d’économie, a réduit considérablement les moyens de la justice de proximité en fusionnant les tribunaux de grande instance et les tribunaux d’instance, la situation n’a rien d’étonnant. Pendant ce temps, celle de la population s’aggrave, les budgets familiaux craquant de toute part et, avec de plus en plus de distance à parcourir et de temps à attendre, l’accès à la justice s’éloigne.

Partager