Panthéonisation : Macron exploite Joséphine02/12/20212021Journal/medias/journalnumero/images/2021/12/2783.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Panthéonisation : Macron exploite Joséphine

En honorant Joséphine Baker, une femme, noire, née à l’étranger, militante antiraciste, bisexuelle, patriote, résistante et militaire de l’armée gaulliste, Macron réalise, à quelques mois de l’élection présidentielle, une opération politique qui ratisse très large.

Du fait de son histoire et de ses engagements personnels, les électeurs de gauche comme de droite peuvent se reconnaître en Joséphine Baker. Alors que sa police traque les migrants à toutes les frontières, cet hommage permet à Macron de dérouler la légende mensongère d’une République française accueillante aux étrangers, antiraciste et permettant l’ascension sociale d’une femme d’origine modeste.

Née dans un quartier pauvre de Saint-Louis, Missouri, aux États-Unis, en 1906, alors que la ségrégation raciale était particulièrement brutale, Joséphine Baker s’est installée à Paris dès 1925 avec une troupe de danseurs et de musiciens, dont Sydney Bechet. Si la France de cette époque ne connaissait pas la ségrégation officielle des États-Unis, c’est dans une revue dite nègre, vêtue d’une simple ceinture de bananes, que Joséphine Baker s’est fait connaître. Certains y voient aujourd’hui, de la part de ces artistes, une critique du mépris colonial de cette époque. Peut-être. Ce qui est certain, c’est que la France opprimait alors plusieurs centaines de millions de femmes et d’hommes dans ses colonies et organisait des expositions coloniales, comme celle de 1931, qui exposait les humains comme des animaux.

Son talent, son énergie et les relations qu’elle sut tisser permirent à Joséphine Baker de connaître rapidement le succès et une certaine fortune. À la même époque, dans les années 1930, d’autres prolétaires immigrés, notamment des mineurs polonais, étaient renvoyés vers leur pays d’origine. Quand, en 1939, Joséphine Baker, devenue française par son mariage, chantait son amour de la France devant les soldats mobilisés sur la ligne Maginot, les « métèques », travailleurs étrangers ou réfugiés fuyant le nazisme, étaient internés dans des camps. Au même moment, le peintre Picasso se voyait refuser la nationalité française à cause de ses amitiés anarchistes. Contrairement à tant d’intellectuels et d’autres artistes, Joséphine Baker ne collabora pas avec le régime de Pétain et s’engagea dans les services secrets gaullistes, prenant des risques. Cet engagement lui valut, jusqu’à la fin, la reconnaissance de la droite au pouvoir.

Joséphine Baker soutint encore, dans les années 1960, la lutte des Afro-Américains pour leurs droits civiques et salua le régime castriste à Cuba après le renversement de la dictature pro-américaine de Batista. Si Joséphine Baker mérite une place dans le panthéon des femmes qui ont combattu les injustices et certaines oppressions, en la faisant entrer dans celui de la République bourgeoise, Macron, lui, mérite la palme des politiciens calculateurs et opportunistes.

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