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- Lutte ouvrière n°2776
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Burkina Faso : assassinat de Sankara en 1987, l’impérialisme français impliqué
Le procès de l’assassinat de Thomas Sankara, qui devait s’ouvrir lundi 11 octobre, a finalement été renvoyé au 25 octobre à la demande des avocates des accusés. Ce procès était une exigence de la population burkinabé depuis qu’en octobre 2014 elle a renversé Blaise Compaoré, successeur de Sankara.
Le procès ne permettra cependant pas de faire toute la lumière sur ce meurtre, la justice burkinabé ayant choisi d’écarter la recherche de commanditaires au-delà des frontières du pays, notamment en France et en Côte d’Ivoire.
Dirigeant nationaliste intègre, un des seuls qu’ait connus l’Afrique, Thomas Sankara dirigea le pays de 1983 à 1987, en se fixant pour but de l’arracher à la mainmise de l’impérialisme français. Il rebaptisa l’ancienne colonie de Haute-Volta en Burkina Faso, ce qui signifie pays des hommes intègres, et s’attacha à faire entrer ce symbole dans la réalité. Le budget du pays, tout dérisoire qu’il était, fut au moins utilisé à construire des écoles, des centres de santé, ou à promouvoir l’éducation des femmes. Ses ministres durent se contenter de modestes Renault 5, de petites chambres d’hôtel pour leurs déplacements, et troquer les costumes clinquants de leurs prédécesseurs contre l’habit traditionnel en coton.
Sankara n’était certes pas un révolutionnaire internationaliste. C’était un jeune officier qui, comme d’autres à cette époque, enrageait de voir la misère et la corruption dans lesquelles croupissait son pays. Pour lui, c’était à l’armée de prendre en main sa modernisation. S’il ne concevait pas une lutte contre l’impérialisme à l’échelle du monde, il voulait au moins que celui-ci, qu’il dénonçait dans des discours enflammés, relâche son étreinte sur le Burkina. L’exemple qu’il donnait d’un pays dont les dirigeants n’étaient plus des valets bien rémunérés de l’impérialisme suffisait à lui valoir la haine des dirigeants français et de ceux des anciennes colonies, en même temps que l’admiration de tous les pauvres du continent. C’est pourquoi le 15 octobre 1987, il fut assassiné.
L’organisateur du crime, Blaise Compaoré, qui succéda à Sankara comme président du Burkina, ne sera pas présent au procès. Il coule des jours tranquilles dans sa luxueuse villa de Cocody, le quartier huppé d’Abidjan en Côte d’Ivoire, depuis qu’en 2014 l’armée française l’a exfiltré de son palais présidentiel de Ouagadougou où il allait tomber entre les mains de la population pauvre révoltée. Le président de la Côte d’Ivoire, Alexandre Ouattara, ami de longue date de Compaoré, et par ailleurs redevable à l’armée française de son accession au pouvoir, a bien sûr refusé de l’extrader au Burkina.
Dès la mort de Sankara, Compaoré avait à nouveau asservi le pays à l’impérialisme français. Il y a fait régner pendant 27 ans une dictature sanglante. Mais au-delà de Compaoré, bien des pistes mènent aux responsables français de l’époque, à Jacques Chirac alors Premier ministre de François Mitterrand et à son « Monsieur Afrique » Jacques Foccart, grand maître des services secrets. Plusieurs témoignages ont pointé l’implication de ceux-ci dans le crime, ainsi que celle du président ivoirien de l’époque, Houphouët Boigny, qui haïssait Sankara et s’entretenait chaque semaine avec Foccart. Il est sûr en tout cas que c’est à l’impérialisme français qu’a profité le crime.
Aujourd’hui Macron qualifie d’« États faillis » les pays du Sahel où l’armée française est enlisée. Mais quand pendant quatre ans a existé en Afrique un État dont le président entendait réellement assurer le bien-être de la population et non sa propre fortune, les dirigeants français n’ont eu de cesse de le remplacer par un dictateur corrompu et de recréer ainsi un « État failli » apte à servir les intérêts de leur impérialisme.