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Grande-Bretagne : un système en panne sèche
Depuis fin septembre, la Grande-Bretagne est confrontée à une pénurie d’essence dans les stations-service, dont le gouvernement conservateur de Boris Johnson a d’abord nié l’existence, avant de se résigner lundi 4 octobre à recourir à l’armée pour compenser le manque de chauffeurs routiers.
Le recours à des soldats, dont des conducteurs de tanks, pour débloquer les livraisons de carburant, est un aveu que les solutions bricolées tardivement par Johnson ne résoudront rien à court terme. S’il a fini par offrir 5 000 visas aux routiers européens, il est déjà certain que cela ne suffira pas à combler rapidement les 100 000 postes vacants dans le secteur. Johnson a prévenu que ces visas ne dépasseront pas les trois mois ! Pas de quoi faire retraverser la Manche aux 25 000 chauffeurs étrangers que le Brexit et ses nouvelles contraintes administratives avaient poussés à rentrer dans leur pays d’origine. Les 5 500 visas offerts dans le secteur des abattoirs, temporaires eux aussi, ne feront pas plus de miracle.
Les ministres se dé- faussent en expliquant que le Brexit ne serait pour rien dans ce chaos : celui-ci serait imputable au Covid, qui aurait retardé les formations des apprentis routiers. L’explication est un peu courte. Comme le savent et le répètent les routiers britanniques eux-mêmes, même les travailleurs privés d’emploi rechignent à se tourner vers ce métier, et cela d’abord à cause des salaires insuffisants et des conditions pénibles, en particulier les semaines à rallonge et les aires de repos réputées moins bien équipées encore que sur le continent. Mais améliorer le quotidien des routiers est un remède que ni les employeurs ni le gouvernement n’envisagent.
À l’heure où l’intervention des militaires commençait, la partie la plus peuplée du pays (Londres et le Sud-Est) était encore paralysée par nombre d’embouteillages, avec 40 % des stations privées de super ou de diesel, et 20 % des stations encore sans carburant du tout. La pénurie de chauffeurs n’a pas seulement perturbé l’approvisionnement des supermarchés et des pharmacies. Elle a aussi paralysé l’activité de bien des travailleurs : salariés qui ne peuvent se rendre au travail qu’en voiture, autoentrepreneurs dont la camionnette est le gagne-pain. Et quand des aides à domicile et des soignants ont demandé au gouvernement d’être ravitaillés prioritairement en essence, ce fut une fin de non-recevoir.
Lundi 4 octobre, les communicants gouvernementaux assuraient qu’il ne faudrait pas plus d’une semaine pour que les choses reviennent à la normale. Cela suffira-t-il à faire remonter la cote de confiance en Johnson, tombée à 34 % à tout juste quelques jours du congrès annuel du Parti conservateur ? Chacun sait que, passé cette pénurie, d’autres pénuries ne manqueront pas de se produire, car les « prolétaires de tous les pays » exclus par le Brexit manquent déjà dans la santé et l’agriculture.
Si la pénurie d’essence était sans conséquences sur la vie des travailleurs, il y aurait de quoi rire, tant la situation est absurde. Elle illustre l’incurie des dirigeants politiques, empêtrés dans des problèmes que leur propre démagogie protectionniste a engendrés, et incapables de réagir autrement qu’après-coup à des dysfonctionnements parfaitement prévisibles. Elle illustre surtout la folie d’un système capitaliste incontrôlable, dont le Brexit et la pandémie contribuent à aggraver les déséquilibres fondamentaux.