Birmanie : les travailleurs contre la dictature17/03/20212021Journal/medias/journalnumero/images/2021/03/2746.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Birmanie : les travailleurs contre la dictature

Le coup d’État du 1er février, qui a envoyé en prison Aung San Suu Kyi, au pouvoir depuis 2016, a déclenché une forte réaction de la population birmane. La répression croissante a déjà fait au moins 183 morts parmi les manifestants et entraîné des milliers d’arrestations, sans parvenir à enrayer le mouvement d’opposition.

Rien que dans la journée du 14 mars, on dénombrait au moins 50 tués dans la zone industrielle de HlaingTharyar, investie par l’armée, qui incendiait les barricades et tirait à vue. La loi martiale y a été décrétée, ainsi que dans d’autres cantons ouvriers. La répression touche en effet particulièrement les concentrations ouvrières car les travailleurs, en particulier les jeunes ouvrières du textile, jouent un rôle important dans cette mobilisation.

La Birmanie ou Myanmar, ancienne colonie britannique, est parmi les pays les plus pauvres du globe. Mais son industrie a connu une croissance spectaculaire dans la dernière décennie. Outre l’exploitation ancienne des ressources naturelles, de nombreux capitaux se sont investis dans l’industrie légère à partir de la fin des années 2000, attirés par des bas salaires, de quelque trois dollars par jour.

Presque toutes les grandes marques de prêt-à-porter, telles qu’Adidas, Benetton, C&A, Gap, H&M, Lidl, Primark…, s’y fournissent aujourd’hui via des sociétés basées en Chine ou à Singapour. Aujourd’hui, l’industrie textile et celle de transformation agroalimentaire regroupent au moins un million de travailleurs, souvent des femmes, dans un pays de 54 millions d’habitants.

La classe ouvrière birmane a donc connu une croissance très rapide dans la dernière décennie. En son sein, beaucoup de paysans chassés par les expropriations et les conséquences du cyclone Nargis de 2008. Ils sont qualifiés de « migrants de l’intérieur » et vivent dans des habitats de fortune à la périphérie des villes. Dans la dernière période, ils ont mené de nombreuses grèves, lutté et mis sur pied des syndicats. Avant même le coup d’État, de nombreuses usines ont profité de la crise sanitaire pour licencier en masse, en particulier des travailleurs syndiqués, et l’armée intervenait déjà pour interrompre les grèves et arrêter les organisateurs.

Selon les témoignages de militants, l’annonce du coup d’État a été vécue comme une menace directe pour les travailleurs. « Avec la prise de pouvoir par l’armée, ce sera comme avant, comme si nous avions perdu nos droits et les employeurs opprimeront les travailleurs et réduiront leurs salaires. C’est ce à quoi je m’attends », disait une ouvrière de la zone industrielle.

Le 6 février, après les appels à la grève et à la désobéissance civile, s’est déroulée une des premières manifestations ouvertes contre la dictature. Ce sont des travailleurs qui l’ont initiée, comme l’indique une militante syndicale : « Nous avons organisé une réunion pour tous les travailleurs et avons commencé à parler des droits du travail, droits que nous perdons sous la dictature. Le 5 février, les ouvriers ont décidé de marcher. » Selon une autre militante : « À Hlaing Tharyar, il y a environ trois cents usines. Presque toutes ont participé. Quand un syndicat existait à l’intérieur, il a organisé la grève et tous les travailleurs y ont adhéré. Dans les usines sans syndicat, les travailleurs ont individuellement obtenu leur congé et ont également participé à la manifestation. Donc, la foule était énorme. » Le China Labor Bulletin, bulletin syndical chinois, cite un cadre n’ayant jamais fait grève : « Dans les premiers jours qui ont suivi le coup d’État, nous attendions quelqu’un qui pourrait nous conduire et dénoncer les militaires… C’était inspirant de voir que les ouvriers du vêtement sont descendus dans la rue, potentiellement face à des balles et des matraques. Cela nous a donné le courage de faire de même. »

Il est bien sûr difficile de mesurer, à travers le peu d’informations qui parviennent, le degré de mobilisation et le niveau de conscience de la classe ouvrière birmane. En tout cas, il est clair qu’une partie d’entre elle a vu dans le coup d’État la menace directe d’une aggravation de l’exploitation qu’elle subit et a décidé d’y réagir par ses propres moyens. Un ouvrier de Bogard Lingerie dit de même : « Pour nous, la première priorité devait être d’abattre le dictateur. Sous le régime militaire, il n’y aura aucun droit pour nous travailleurs. »

Partager