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Burkina Faso : élections entre compères
Les élections présidentielles et législatives du Burkina Faso se sont déroulées dimanche 22 novembre sous la menace des groupes djihadistes qui contrôlent une grande partie du pays.
L’actuel président, Roch Marc Christian Kaboré, est arrivé au pouvoir en décembre 2015. Un an auparavant, le dictateur Blaise Compaoré avait été renversé par un soulèvement populaire massif. Le Burkina Faso, la Haute-Volta lorsqu’il était une colonie française, est un des pays les plus pauvres d’Afrique de l’Ouest, mais aussi l’un de ceux où les travailleurs ont une longue tradition de lutte. Le souvenir de Thomas Sankara, le jeune officier nationaliste radical qui dirigea le pays de 1983 à 1987, y est resté vivant. Aujourd’hui encore Sankara est le symbole d’un régime intègre, où le maigre budget servait à financer les campagnes de vaccination et la construction d’écoles, et dont le rayonnement moral était à même de susciter des émules au-delà des frontières.
Sankara fut assassiné à l’instigation de la France et de ses alliés africains par les hommes de Blaise Compaoré. Celui-ci allait régner sur le pays pendant vingt-sept ans, jusqu’à ce qu’en octobre 2014 les travailleurs et la jeunesse, poussés à bout par la corruption du régime, la terreur qu’il faisait régner et la cherté de la vie, descendent dans la rue et bravent les tirs de la police, en scandant « Blaise dégage ». Les chefs de l’armée prirent alors l’affaire en main et convainquirent Compaoré de s’éclipser pendant qu’il en était encore temps.
La France, après avoir exfiltré Compaoré et l’avoir mis à l’abri en Côte d’Ivoire, put alors chapeauter le processus de transition qu’elle a l’habitude d’activer en de telles circonstances, avec l’aide de ses alliés africains. Les chefs militaires furent convaincus de se faire discrets et de laisser le devant de la scène à des politiciens civils plus aptes à donner le change à la population, et au bout d’un an Roch Marc Christian Kaboré fut élu. Ancien président de l’Assemblée nationale sous Compaoré, ancien chef du parti du dictateur, avec qui il avait pris ses distances en 2012, il présentait toutes les garanties que rien n’allait changer.
Pendant ses cinq années de présidence, les mœurs en matière de corruption à la tête de l’État burkinabé sont restées les mêmes que sous Compaoré. Les affaires de détournement de fonds défrayent régulièrement la chronique. L’attribution de marchés pour la construction d’infrastructures, ponts, routes, gares, donnent lieu à des pots-de-vin et les ouvrages ainsi bâtis sont souvent détruits par les éléments. Ainsi le stade régional de Tenkodogo construit en décembre 2019, a été emporté par la pluie dès mai 2020. Les burkinabés surnomment ironiquement la pluie « contrôleur général des bâtiments publics ».
La persistance sous Kaboré des vieilles pratiques est d’autant moins étonnante qu’il s’est entouré de transfuges de l’ère Compaoré, comme lui écartés par le dictateur vers 2012. C’est aussi le cas de son principal opposant dans ces élections présidentielles, Zéphirin Diabré, ministre de l’Économie de Compaoré en 1994. Quant à un autre candidat, Eddie Komboïgo, il est tout simplement le représentant du parti de Compaoré. Ces deux opposants réclament le retour de Compaoré au pays, et Kaboré lui-même n’y ferme pas la porte.
C’est dans cet État failli que les djihadistes ont fait irruption à partir de janvier 2016, date où des attentats revendiqués par al-Qaida ont fait 30 morts à Ouagadougou. Depuis, la situation n’a cessé de se dégrader. Dans le nord et l’est du pays, où les élections n’ont pas pu vraiment se tenir, les attaques de villages par les groupes djihadistes n’ont cessé de se multiplier. Un million de personnes ont dû fuir leur foyer, soit un burkinabé sur vingt. Aux tueries djihadistes s’ajoutent celles des « volontaires pour la défense de la patrie », des milices villageoises qui servent de supplétifs à la faible armée burkinabée, mais qui échappent en fait à tout contrôle et s’abattent sans pitié sur les villages peuls, souçonnés d’abriter les djihadistes.
L’armée française de la force Barkhane, présente au Burkina Faso, est tout aussi impuissante à protéger la population qu’au Mali. En vertu de quoi les principaux opposants, Eddie Komboïgo et Zéphirin Diabré, ont prôné pendant la campagne le dialogue avec les chefs djihadistes. C’était la politique de Blaise Compaoré qui avait ainsi écarté pendant son règne leur menace de raids sur le Burkina en échange de bons services. Ainsi, il servait au besoin d’intermédiaire à la France dans des tractations délicates.
Depuis, le terrorisme djihadiste s’est étendu à tout le Sahel. La population burkinabée vit dans l’insécurité et la pauvreté, et ce n’est pas des élections comme celles du 22 novembre qui vont les conjurer. La seule issue pour les travailleurs et la jeunesse serait de retrouver la force qu’ils ont montrée à maintes reprises, et en particulier en 2014, avec la volonté de ne pas se laisser voler leur mouvement par des hommes politiques au service de l’impérialisme français.