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il y a 50 ans
Le Septembre noir des Palestiniens
En septembre 1970, dix jours durant, l’artillerie du roi Hussein de Jordanie pilonna les camps de réfugiés palestiniens installés dans le pays, avant que ses troupes y massacrent combattants et population. Le 27 septembre 1970 au Caire, Hussein et le dirigeant de l’OLP Yasser Arafat se congratulaient comme si de rien n’était, sous l’égide du Président de la République égyptienne Gamal Abd el Nasser. Cet épisode sanglant de la tragédie du peuple palestinien allait rester dans l’histoire sous le nom de Septembre noir.
L’armée jordanienne voulait écraser les combattants palestiniens, les fedayin, basés en Jordanie sur la rive est du Jourdain, et la population civile palestinienne réfugiée, dans certains cas depuis plus de vingt ans, dans les mêmes quartiers, villages et camps de toile. Le Croissant rouge palestinien dénombra alors 3 440 tués, 10 840 blessés, et des milliers de familles laissées sans toit.
Lors de la création de l’État d’Israël, en 1948, 700 000 Palestiniens qui vivaient là, selon un rapport onusien de l’époque, avaient dû tout quitter. Réfugiés en grande partie en Cisjordanie voisine, ils y rejoignirent les 500 000 habitants déjà présents, gagnant aussi Gaza, le Liban, la Syrie et la Jordanie. Puis la guerre israélo-arabe de 1967, la guerre des Six-jours, entraîna un nouvel exode de réfugiés, consécutif à l’occupation israélienne de la Cisjordanie. Les Palestiniens finirent alors par constituer près des deux tiers de la population de la Jordanie.
La défaite piteuse, en six jours, des armées égyptienne, jordanienne, syrienne face à l’agresseur israélien, changea le regard des masses palestiniennes sur les dirigeants des « États frères » arabes, qui affichaient pourtant depuis des années un soutien à leur cause. C’était même eux qui avaient financé la création, en 1964, de l’Organisation de libération de la Palestine, l’OLP, avant tout dans l’intention de poser un cadre, leur cadre, à la révolte palestinienne montante. Mais bien plus que des territoires – Gaza et le Sinaï pour l’Égypte, le Golan pour la Syrie, et la Cisjordanie ainsi que Jérusalem-Est pour la Jordanie – que ces États durent céder en juin 1967, ils perdirent leur crédit auprès de leur propre population pauvre, à laquelle l’injustice de la situation des Palestiniens parlait directement, en écho à ses propres aspirations. Ils perdirent également toute crédibilité auprès de ceux qui demeuraient privés des droits élémentaires, les Palestiniens eux-mêmes.
Aux yeux de milliers de jeunes Palestiniens révoltés, la démonstration était faite que ce n’était pas du côté des dirigeants arabes, pas même du progressisme revendiqué par Nasser, qu’il fallait attendre une solution. Les organisations nationalistes prônant la lutte armée suscitaient bien plus d’enthousiasme.
C’est dans les camps de Jordanie que s’organisaient alors les milices des organisations nationalistes palestiniennes, comme le Fatah de Yasser Arafat, le FPLP de Georges Habache et le FDPLP de Nayef Hawatmeh. La réussite de leurs opérations de commandos contre les forces israéliennes, la radicalité de leur discours, attiraient vers les rangs des fedayin une jeunesse désireuse de changer le monde. Ces années furent celles d’un nouvel espoir, nourri de la conscience politique et de la lutte de ceux qui ne voulaient pas être la génération sacrifiée par les calculs des impérialistes au Proche et Moyen-Orient. L’OLP, dont Arafat devint le dirigeant en titre en 1969, était désormais contrôlée par les organisations qui, outre leur détermination, offraient aux jeunes fedayin la perspective d’une libération nationale de toute la Palestine.
Plusieurs facteurs contribuaient alors à susciter l’inquiétude des régimes arabes voisins. La popularité du mouvement des Palestiniens allait croissant. Présents dans tous les pays de la région, ils éveillaient un espoir et un sentiment d’unité non seulement parmi les leurs, mais au sein des masses opprimées voisines, fellahs égyptiens, ouvriers syriens et travailleurs des industries pétrolières. Et même si l’OLP, dans ses appels au soutien des masses populaires arabes, ne voulait nullement s’adresser à la classe ouvrière et à la paysannerie pauvre comme à des frères de classe, et encore moins remettre en cause les régimes en place, elle suscitait la méfiance des Nasser et autres militaires au pouvoir dans les pays voisins. Les combattants de la cause palestinienne, l’enthousiasme dont ils étaient porteurs, pouvaient enflammer d’autres révoltes sous-jacentes, déstabiliser toute la région. À leur corps défendant, et surtout contre la volonté de leurs propres dirigeants, ils représentaient aux yeux de toute la région des aspirations révolutionnaires communes, et les dirigeants des États allaient le leur faire payer.
Les dirigeants jordaniens, sur un territoire désormais peuplé aux deux tiers de Palestiniens, faisaient face à 40 000 fedayin organisés, contrôlant ainsi une partie du pays. C’était bien plus insupportable pour le régime que l’existence de vingt députés palestiniens au Parlement d’Amman. Le prétexte pour écraser les fedayin et les réfugiés fut fourni par le plan Rogers, un des premiers avatars de plans de paix dans la région qui, comme ses successeurs, n’était qu’un ramassis de paroles creuses ne tenant aucun compte des revendications palestiniennes. Plébiscité par les États-Unis comme par l’URSS, accepté par des États arabes comme l’Égypte de Nasser, il fut évidemment rejeté par les organisations palestiniennes. Le roi Hussein de Jordanie se chargea alors de la sale besogne consistant à mettre un coup d’arrêt aux activités des groupes de fedayin et du même coup aux espoirs suscités dans le monde arabe par la lutte palestinienne.
Hussein agit avec le soutien explicite des États-Unis, celui plus hypocrite de l’URSS, et le silence complice des États arabes voisins. Ces derniers, malgré quelques protestations verbales, laissèrent écraser le peuple palestinien. Il fallut ensuite près d’un an au monarque pour éradiquer les dernières positions des fedayin. Il communiquait le 17 juillet 1971 : « Les incidents avec les fedayin sont terminés. Désormais le calme règne dans le royaume. »
Chassés de Jordanie et réfugiés en partie au Liban, les organisations et le peuple palestiniens allaient encore subir bien d’autres répressions et d’autres massacres, notamment ceux perpétrés pendant la guerre civile libanaise par les milices d’extrême droite aidées par l’armée syrienne, ou plus tard, ceux des camps de Sabra et Chatila, accomplis avec la collaboration cette fois de l’armée israélienne.
Le roi de Jordanie, Hussein, n’avait au fond que tiré les premiers coups de feu. Pendant des années ensuite, les différents dirigeants arabes allaient se montrer, au moins autant que ceux de l’État d’Israël, les ennemis du peuple palestinien, n’ayant de cesse d’avoir éteint le danger révolutionnaire qu’avait représenté pendant quelque temps ce peuple mobilisé.
Jusqu’à aujourd’hui, le peuple palestinien, grand spolié des manœuvres impérialistes au Moyen-Orient, a continué à voir ses droits fondamentaux bafoués, dont le droit à avoir sa propre existence nationale et son propre État. Il a été, malgré son courage, repoussé, enfermé dans des territoires occupés, de plus en plus morcelés par la politique de colonisation croissante qui sert de drapeau au gouvernement israélien, et en butte à l’hostilité des dirigeants arabes.
Il reste de ces combats et de ces répressions successives une leçon : les populations du Moyen-Orient ne pourront se libérer de l’emprise de l’impérialisme qu’ensemble, en renversant toutes les structures politiques construites pour les opprimer et les diviser, en Israël comme dans les États arabes. Cet espoir révolutionnaire, que les combattants palestiniens ont incarné durant quelques années, devra tôt ou tard renaître.