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Leur société
Affaire Karachi : sous-marins, attentat et argent sale
Trois des responsables de la campagne présidentielle d’Édouard Balladur de 1995, flanqués de deux intermédiaires financiers, sont jugés depuis le 7 octobre. C’est la dernière mais non l’ultime péripétie de l’affaire des sous-marins de Karachi.
La DCN, arsenal militaire français, avait conclu en 1994, sous l’égide du Premier ministre Balladur, de son ministre des Armées Léotard et avec l’accord du président Mitterrand, un contrat d’armement pour quatre milliards d’euros. Il s’agissait de sous-marins pour le Pakistan et de frégates pour l’Arabie saoudite. Comme de coutume, les marchands de canons et leurs valets de pied ministériels avaient su graisser les pattes qu’il fallait, utilisant des intermédiaires qui se retrouvent aujourd’hui accusés.
Comme de coutume également, une partie des dessous-de-table versés aux généraux acheteurs devait revenir aux politiciens français qui avaient facilité la transaction. En l’occurrence, ce fut l’équipe Balladur, au pouvoir mais en quête de fonds pour la présidentielle de 1995, qui toucha le pactole, soit dix millions de francs tombés du ciel dans sa caisse de campagne. Cette petite affaire de commissions et rétrocommissions fut interrompue lorsque Balladur, vaincu à l’élection, fut écarté des affaires.
Sept ans après, le 8 mai 2002, une bombe éclata dans le bus conduisant au travail les employés à la maintenance des sous-marins de la DCN à Karachi. Quatorze de ces travailleurs, dont onze Français, y laissèrent la vie. Après bien des péripéties et bien des difficultés, un juge a commencé à faire le rapport entre la vente des sous-marins, la trésorerie de campagne de Balladur, l’interruption des versements et la vengeance des généraux lésés, par voie d’attentat à la bombe.
Pourtant l’État, du moins le Conseil constitutionnel, savait depuis toujours que les comptes de Balladur étaient véreux. Mais il a fallu attendre quinze ans pour que son président d’alors, le socialiste Dumas, finisse par lâcher la vérité. Et d’expliquer qu’il avait ainsi sauvé la république, puisque invalider les comptes de Balladur aurait été invalider l’élection et donc ouvrir une crise de régime.
La DCN, depuis privatisée, s’est toujours réfugiée derrière le secret défense pour ne rien dire, y compris évidemment aux familles des victimes qui se battent pour obtenir la vérité. Le premier juge nommé a refusé de considérer l’aspect politique de la chose. Retraité, il a poursuivi sa carrière comme député du parti de Balladur-Chirac-Sarkozy. Ce dernier, ministre du Budget de Balladur en 1995, avait eu à connaître des tripatouillages financiers liés au contrat. Il s’est évidemment efforcé de bloquer l’enquête tant qu’il a été président. Il aura donc fallu vingt-quatre ans pour que des magouilles connues puissent être débattues devant un tribunal et dix-sept ans concernant l’attentat.
Et encore, pour l’instant seuls les seconds couteaux comparaissent. Balladur et Léotard seront jugés plus tard, par la juridiction propre aux ministres, même lorsqu’ils sont retirés de la vie politique depuis deux décennies. Sarkozy est à ce jour passé entre les mailles de ce filet-là. Quant aux dirigeants de DCN, il n’a jamais été question de les juger.
Mais il y en a d’autres dont les noms et les raisons sociales ne sont même jamais évoqués. DCN, entreprise publique, servait de tête de pont à des intérêts privés. Un sous-marin se vend avec son système de mesures, son armement, et les contrats de renouvellement et de maintenance afférents. Tout ce matériel, le plus coûteux, était fabriqué par des entreprises privées, les ancêtres de Thales et MDBA pour les plus importantes, dont les dirigeants et actionnaires peuvent profiter de la vie en toute quiétude. Quand on s’enrichit en vendant des armes, ce n’est pas la mort de quatorze travailleurs et encore moins les manœuvres de politiciens véreux qui risquent de vous empêcher de dormir.