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Algérie : les enjeux d’un énorme mouvement populaire
Face à la mobilisation qui n’a cessé de prendre de l’ampleur depuis le 22 février, Bouteflika a déclaré, le 11 mars, renoncer à briguer un cinquième mandat. Mais il a dans le même temps annoncé le report à une date ultérieure du scrutin qui devait avoir lieu le 18 avril, et donc qu’il resterait à la tête de l’État d’ici là.
Autre concession faite au mouvement, le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, cible des manifestants, a été sacrifié et remplacé par Noureddine Bedoui, auparavant ministre de l’Intérieur. Bouteflika s’est engagé à convoquer une conférence nationale qui aurait pour tâche d’élaborer des réformes, sans qu’on sache lesquelles, et de fixer la date de la prochaine élection présidentielle, sans qu’aucun calendrier ne soit donné. Le quotidien algérien francophone El Watan a résumé la manœuvre en titrant à la une : « Il a annulé la présidentielle et reste au pouvoir : la dernière ruse de Bouteflika. »
Dès le lendemain de ces annonces, des manifestants sont à nouveau descendus dans la rue pour dénoncer une manœuvre organisée par ceux qui, à l’ombre d’un Bouteflika devenu impotent, contrôlent les rouages du pouvoir et tentent ainsi de préserver leur position. De nombreux appels à manifester vendredi 15 mars « contre l’arnaque du peuple » sont repris sur les réseaux sociaux. Le succès de ces manifestations permettra de mesurer la profondeur du mouvement et la détermination de ceux qui se sont mobilisés ces dernières semaines.
“Système dégage”
Le fait que, depuis le début des mobilisations, le slogan « Système dégage » soit aussi repris que « Bouteflika dégage » dans les rues des villes algériennes témoigne de la conscience que le départ du président n’est pas le seul problème : c’est le système politique qui doit changer. Mais dans quel sens ? Les masses populaires en ont assez d’un système qui les méprise, qui ne leur demande pas leur avis et qui leur impose ses choix. C’est une revendication démocratique, mais qui recouvre aussi bien des aspirations sociales.
Bien sûr, pour des catégories de la petite-bourgeoisie, comme les avocats ou les journalistes, dégager le système peut signifier seulement le départ du clan Bouteflika et une certaine démocratisation. Pour une partie du patronat, cela veut dire un accès plus direct aux ressources de l’État.
Mais, en se mobilisant et en participant de plus en plus nombreux aux manifestations, les classes populaires, les travailleurs, les jeunes chômeurs ont non seulement exprimé leur révolte contre l’arbitraire du régime mais aussi leur aspiration à vivre mieux, ce qui suppose des emplois, de meilleurs salaires, l’accès à des logements, à un système de soins, à une vie digne, à du travail pour les jeunes… Pour tous ceux-là, « Dégage le système » signifie s’en prendre au clan Bouteflika et à la clique qui dirige l’État, qui s’enrichit en monopolisant à son profit la manne pétrolière et les ressources du pays, mais aussi au-delà à toute une bourgeoisie qui prospère aux dépens de la population. Pour le moment, toutes ces aspirations s’expriment, dans la mobilisation, par le biais de la revendication démocratique contre le système.
Mais le système est bien plus solide que la santé d’un Bouteflika. Dans une période de lutte, les masses peuvent apprendre rapidement au fur et à mesure qu’elles se heurtent à des obstacles et doivent chercher à les vaincre. Elles peuvent être amenées à constater que l’appareil d’État reste en place, avec le même chef d’état-major, quand bien même celui-ci se proclamerait du côté du peuple, avec les mêmes policiers et les mêmes juges pour réprimer. Si la mobilisation se poursuit, les travailleurs peuvent, dans le cours de leur lutte, prendre une conscience plus claire de ce qu’est le système, de la façon dont il se défend et de la façon dont on peut le vaincre.
Les possibilités des travailleurs
Ce qui peut être décisif pour l’avenir sera la capacité des travailleurs à acquérir une claire conscience de classe et une conscience de leur force. Cela peut se produire dans le cadre de la mobilisation actuelle, ne serait-ce que parce que, même pour la participation à une manifestation, il faudra s’organiser au niveau d’une entreprise ou d’un quartier, élaborer les slogans, prévoir comment se défendre, se réunir en assemblée, en comité de lutte.
Dans le cadre de la mobilisation actuelle, la classe ouvrière algérienne parviendra-t-elle à s’organiser, à devenir une force autonome, consciente de sa propre puissance, prête à avancer ses propres solutions à la crise politique et sociale ? Cela dépendra de sa combativité et de sa détermination, mais c’est peut-être ce que le mouvement actuel rend possible, et ce serait très important. Car les travailleurs constituent la seule force capable d’offrir une perspective à l’ensemble des exploités d’Algérie et au-delà. Elle seule a intérêt à mener son combat jusqu’au bout, aussi bien pour conquérir les libertés démocratiques que pour débarrasser la société de l’exploitation et de toutes les formes d’oppression.