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Algérie : le mouvement populaire et les intérêts des travailleurs
Le Premier ministre algérien Ouyahia, pour tenter de juguler la contestation née après l’annonce de la candidature de Bouteflika à un cinquième mandat, a déclaré en guise d’avertissement : « Les citoyens ont offert des roses aux policiers, c’est beau, mais je rappelle qu’en Syrie ça a commencé aussi avec les roses. »
La menace a été vaine, puisque vendredi 1er mars, d’un bout à l’autre du pays, d’Annaba à Oran en passant par Alger, des centaines de milliers de personnes, des familles, des jeunes, des travailleurs ont participé aux manifestations. Les cortèges dynamiques lui ont répondu que la violence n’est pas de leur côté. Sur les pancartes brandies par les manifestants on pouvait lire : « Pacifique », « L’Algérie n’est pas la Syrie », « Non au cinquième mandat ! », « Bouteflika dégage ! » ou « 20 ans ça suffit », « Système dégage ». Et en fin de journée les manifestants eux-mêmes ont nettoyé les rues après leur passage.
Le pouvoir pensait-il sérieusement désamorcer la contestation, en annonçant le 3 mars à ceux qui ne voulaient pas de cinquième mandat qu’il n’y en aurait pas de sixième ? En tout cas, cette nouvelle marque de mépris a mis la jeunesse dans la rue le soir même. Les campus se sont mis en grève, des manifestations importantes de la jeunesse étudiante et lycéenne ont eu lieu lundi 4 mars. Mardi 5, les enseignants rejoignaient les étudiants dans des cortèges encore plus importants. Le prochain temps fort, l’acte III selon l’expression utilisée désormais par les Algériens, était prévu pour le vendredi 8 mars.
Les mots d’ordre contre le cinquième mandat ont rassemblé tous les mécontentements, des couches sociales aux intérêts opposés, des chômeurs aux étudiants en passant par les avocats et jusqu’au milliardaire Issad Rebrab. Ce dernier, classé sixième fortune d’Afrique par le magazine Forbes, possède un patrimoine estimé à 4 milliards de dollars. Il accuse le pouvoir de l’empêcher de créer 100 000 emplois en bloquant ses projets. Il soutient le candidat Ali Ghediri, général-major à la retraite, et incarne une opposition libérale.
Après s’être démarqués des appels à manifester le 22 février, presque tous les opposants ont cependant participé à la manifestation du vendredi 1er mars. Face à l’ampleur de la contestation et des manifestations, ils ont, les uns après les autres, annoncé qu’ils ne se présenteraient pas : Louisa Hanoune du Parti des travailleurs, Abderrazak Makri du parti islamiste MSP, Ali Benflis du parti Avant-garde des libertés, ex-Premier ministre FLN qui, soit dit en passant, est à l’initiative de la loi qui interdit les manifestations à Alger. Parmi les six candidats déclarés, quelques-uns hésitent à participer à ce simulacre de démocratie. Certains ont été chahutés dans la manifestation. Ils sont tellement affaiblis et décrédibilisés que cela a offert un espace à la candidature fantaisiste de l’homme d’affaires Rachid Nekkaz, qui a suscité l’engouement des médias et d’une fraction de la jeunesse. En effet il se savait inéligible et a déposé la candidature de son cousin !
Les soutiens à la candidature de Bouteflika se défilent peu à peu, à commencer par Ali Haddad, dirigeant du syndicat patronal FCE, équivalent du Medef. Des responsables locaux du FLN se désolidarisent aussi du cinquième mandat. Au sein de l’UGTA, syndicat lié au FLN, une dissidence se fait entendre. Face à la contestation, le pouvoir a pour l’instant fait preuve de prudence et évité de réprimer, soucieux sans doute d’éviter de provoquer une crise sociale et politique plus grande encore. À la recherche d’une solution de rechange, il tente de gagner du temps.
Les opposants de façade qui ont rallié le mouvement voudraient apparaître comme des solutions de rechange politique éventuelles pour la bourgeoisie. Les uns agitent le drapeau de l’islam, les autres celui de la démocratie, sans oublier de mettre en avant le patriotisme algérien. Ils parlent de changement mais aspirent avant tout à assurer la continuité de l’État et de l’ordre social.
L’annonce de la candidature de Bouteflika a été pour la population la marque de mépris de trop. En mettant les masses populaires dans la rue, elle a ramené à la surface toutes les raisons de mécontentement face à une situation sociale qui s’aggrave. Ces questions ne seront pas résolues par l’élection d’un nouveau président, fût-il plus présentable que Bouteflika.
Seule la classe ouvrière algérienne, nombreuse, jeune et éduquée, peut, en luttant pour des objectifs qui lui soient propres, offrir une perspective au profond mécontentement social qui s’exprime.