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Dans le monde
Italie : une catastrophe annoncée
Pour bien des habitants de Gênes, il y a au moins dix ans qu’on aurait dû démolir le pont Morandi, ce viaduc de plus d’un kilomètre de long qui enjambait une partie de la ville et que l’on surnommait le Monstre. Et pas seulement parce qu’il défigurait le paysage.
Bien des automobilistes n’étaient pas très rassurés quand ils s’engageaient sur ce pont qui franchissait Gênes en prolongement de l’autoroute de la côte ligure, elle-même faite d’une alternance ininterrompue de tunnels et de viaducs, pas toujours rassurants eux non plus. Et s’il y avait évidemment loin de là à penser qu’il pourrait s’écrouler un jour, c’est pourtant ce qui s’est produit mardi 14 août, lorsqu’un pan long de 200 mètres du viaduc a cédé, entraînant quarante mètres plus bas les voitures et camions qui s’y trouvaient et les engloutissant avec leurs occupants sous les débris des piliers.
Surplombant un torrent, une voie ferrée et des quartiers populaires, sa chaussée à deux voies dans chaque sens n’était jamais vraiment en bon état et laissait une impression d’instabilité. Mais, lieu d’un trafic intense de voitures et de poids lourds, le pont était un passage obligé pour relier la côte ligure à Turin, Milan et aussi à la France. C’était aussi une voie rapide entre l’est et l’ouest de Gênes, et un lien essentiel pour l’écoulement du trafic du premier port d’Italie. Autant dire que sur ce pont passait une bonne partie des transports de marchandises du pays,
Inauguré triomphalement en 1967, car il désengorgeait Gênes, une ville encastrée entre la mer et la montagne et ne laissant guère d’alternative pour la traverser, le pont était connu pratiquement dès le début pour ses défauts de structure. Dans le monde, seuls trois ponts avaient été construits sur ce modèle, dont l’un au Venezuela, qui s’était écroulé dès qu’un navire en avait heurté une pile. Le tablier était suspendu non pas à des câbles d’acier, mais par le biais de barres en béton armé qui s’ajoutaient à l’assise sur des piliers en tréteaux renversés. Il s’était vite avéré que les contraintes sur le béton rendaient la structure instable dans le temps, nécessitant de nombreuses interventions d’entretien et de consolidation, alors que le trafic croissant de poids lourds, pour lequel le pont n’avait pas été calculé, ne cessait de l’ébranler. Il avait alors été consolidé par l’ajout de câbles d’acier, mais seulement sur une partie, et justement pas sur celle qui s’est écroulée.
Les projets de nouveau tracé autoroutier n’ont pas manqué, qui devaient remplacer le pont pour la traversée de Gênes, mais ils sont restés dans les cartons. Il est vrai qu’ils soulevaient des polémiques car ils se heurtaient à des réticences de l’opinion, plus que méfiante en Italie devant les grands projets car instruite par un certain nombre de précédents catastrophiques, dont le pont Morandi lui-même. Mais la vraie raison est que la société privée gestionnaire, Autostrade, qui a pour actionnaire principal le trust Benetton, plus connu pour sa compétence en matière de pull-overs, n’était guère pressée d’engager les fonds nécessaires, et l’État non plus.
Le danger n’en était pas moins connu, et les avertissements sur sa fragilité n’avaient pas manqué, dont celui, il y a deux ans encore, d’un expert en ingénierie du ciment armé. La société gestionnaire, plus pressée d’encaisser les péages que de faire ce qu’il faut pour la sécurité, avait fini par programmer des travaux pour consolider le pont Morandi, à commencer cet automne. C’était bien tard.