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Dans le monde
Allemagne : le chaos politique gagne
Après l’accord du sommet européen sur les migrants, le 29 juin, la classe politique allemande avait poussé un ouf de soulagement : in extremis, le gouvernement conservateurs – sociaux-démocrates d’Angela Merkel semblait sauvé.
Las, le dimanche 1er juillet, Horst Seehofer, ministre de l’Intérieur et chef du très conservateur parti bavarois CSU, annonçait démissionner des deux fonctions.
L’accord européen sur les migrants n’allait pas assez loin à son goût. Dans la nuit, Seehofer se faisait moins catégorique et la démission devenait chantage : il faisait exploser la coalition gouvernementale... sauf si la chancelière acceptait de nouveaux durcissements de la politique migratoire. Et une fois de plus, il obtenait des reculs significatifs sur les droits des migrants.
Depuis la percée de l’extrême droite lors des élections législatives de septembre 2017, où l’AfD, Alternative für Deutschland, a obtenu 12,6 % des suffrages, une instabilité politique inconnue dans l’Allemagne d’après-guerre a gagné le pays. Au terme de tractations laborieuses, les partis ont mis six mois à former une quatrième coalition gouvernementale sous la direction d’Angela Merkel. Et depuis l’entrée en fonction, au mois de mars, de ce gouvernement CDU-CSU et SPD (centre-droit, conservateurs bavarois et sociaux-démocrates), l’instabilité se manifeste de plus belle. C’est la CSU et son président, Horst Seehofer, qui l’alimentent, multipliant les exigences orientées vers un durcissement envers les migrants.
Surenchère contre les migrants
La CSU avait déjà largement droitisé son discours pendant la campagne des législatives, flirtant avec l’extrême droite. Or l’AfD a fait ses percées les plus spectaculaires sur les terres traditionnelles de la CSU, dans certaines régions de Bavière. Depuis lors, cette dernière prend un cours toujours plus réactionnaire. Elle instrumentalise les migrants pour des raisons bassement opportunistes : la CSU est en campagne pour les élections régionales d’octobre 2018. Il n’est pas question pour elle de perdre la majorité absolue en Bavière, Land qu’elle gouverne sans discontinuer depuis 1958 !
Dans sa surenchère, la CSU a d’abord exigé de fixer à 200 000 par an le nombre de réfugiés admis, puis le rétablissement de contrôles aux frontières. Et le dernier conflit a éclaté lorsque la chancelière a bloqué son projet sur le refoulement des migrants. L’objectif déclaré de Seehofer était que les accords de Dublin soient appliqués dans leur forme la plus dure pour renvoyer les demandeurs d’asile dans le premier pays d’arrivée ou celui où leur demande a déjà été traitée. Pire, Seehofer s’est mis à revendiquer que ces migrants ne soient plus admis sur le territoire pour l’examen de leur situation, mais retenus à la frontière.
Provocateur, il a proclamé qu’il prendrait ces mesures y compris de manière unilatérale, sans l’accord des pays de l’UE concernés. C’est abject vis-à-vis des réfugiés et lourd de danger pour ce qu’il reste de cohésion européenne, ce que fait valoir Angela Merkel, parlant d’un possible effet domino. Mais elle a beau ne pas céder sur certains symboles, il reste que pour sauver son gouvernement elle durcit la politique migratoire du pays, étape par étape.
Depuis le nouvel ultimatum de Seehofer, menaçant de faire exploser la coalition gouvernementale, CDU et CSU se sont mises d’accord pour l’ouverture de centres de transit à la frontière avec l’Autriche. Une fois leurs dossiers examinés, les migrants seront renvoyés dans les pays de l’UE d’où ils viennent – à condition que ceux-ci veuillent bien les accepter. Ce serait un nouveau coup dur pour les migrants qui gardaient l’espoir d’être accueillis un peu moins mal en Allemagne, les pays voisins, dont la France, les traitant encore plus mal.
Les plus réactionnaires gagnent du terrain
En Allemagne, l’apparente stabilité des institutions politiques semble disparue. Chaque fois qu’une crise semble conjurée, une nouvelle éclate, la CDU cède sous la pression de la CSU et accepte de nouveaux reculs pour les droits des migrants. Et à chaque fois qu’elle cède, la chancelière est affaiblie et moins en mesure de résister à la prochaine charge. Elle garde le soutien d’une grande partie du gouvernement et de la gauche. Mais une fraction de la base de son parti l’accuse de trahison au conservatisme et est attirée par la CSU, tandis qu’une partie de la CSU l’est par l’AfD. Quant aux sociaux-démocrates du SPD, ils sont pour ainsi dire inexistants. La situation est donc grosse de recompositions politiques et la crise gouvernementale ne s’arrêtera pas là.
Le grand patronat, qui pour ses affaires a besoin de stabilité et du maintien de l’Union européenne, soutient démonstrativement Merkel, dans sa politique d’asile comme dans ses tentatives de trouver des solutions à l’échelle européenne. Mais la crise s’aggrave, et aucune solution ne peut venir de ces gens-là.
Des hommes politiques comme Seehofer ou le ministre-président de Bavière, Markus Söder (CSU), ou encore les dirigeants de l’AfD, alimentent les préjugés et les peurs en employant un vocabulaire guerrier sur « l’envahissement » ou les « hordes de migrants », que l’on ne connaît que trop bien en Italie, ou en France. Le nombre de réfugiés arrivant en Europe s’est effondré depuis deux ans et l’accueil des migrants n’est pas un problème difficile à régler. Tous les politiciens le savent, mais pour servir leur carrière, ils sont prêts à raconter n’importe quoi et à semer les idées les plus abjectes et les plus nuisibles.