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Sommet interlibyen : Total s’impatiente
Mardi 29 mai, pour la seconde fois en moins d’un an, un sommet inter-libyen se tenait à Paris. En réunissant les leaders de plusieurs camps rivaux pour leur faire signer un protocole d’accord, Macron voudrait faire avancer les intérêts de l’impérialisme français en Libye. Mais, en cherchant à imposer « sa » solution politique, il pourrait tout aussi bien rallumer les conflits armés entre milices rivales.
En 2011, les grandes puissances occidentales se sont lancées dans une intervention militaire, initiée par la France, pour chasser du pouvoir le dictateur libyen de l’époque, Mouammar Kadhafi. La Libye s’est alors transformée en champ d’action d’une multitude de milices s’affrontant d’un bout à l’autre du pays, avec alliances et retournements d’alliances incessants.
En décembre 2015, sous la pression des grandes puissances, un accord entre divers leaders de ces milices était signé pour la mise en place d’un gouvernement de coalition. Mais, si le Premier ministre de ce gouvernement était nommé, Fayez al-Sarraj, il a fallu des mois pour que la composition du gouvernement soit annoncée et des mois pour qu’al-Sarraj quitte son exil tunisien et s’installe vraiment en Libye à Tripoli. Ce pouvoir fantoche s’est heurté à l’opposition constante du regroupement de milices de l’est du pays, nommé pompeusement Armée nationale libyenne. À sa tête se trouve le maréchal Khalifa Haftar, ancien militaire du régime de Kadhafi, qui a rompu avec ce dernier en 1987. Ce sont ces deux parties que le gouvernement français voudrait marier dans l’urgence.
Mais, d’une part, l’autorité de ces leaders sur leur propre camp est toute relative. À Tripoli, censée être le siège du pouvoir d’al-Sarraj, la ville est en réalité contrôlée par un quartet de milices qui font leur loi et « s’approprient l’essentiel des ressources de la capitale », comme l’a confié un leader local à un journaliste français. Quant au camp d’Haftar, il n’y a qu’à voir comment sa cohésion a été menacée il y a encore quelques semaines, quand Haftar a dû être hospitalisé à Paris pour accident cérébral.
D’autre part, bien des milices, et non des moindres, ne se retrouvent derrière aucun de ces deux leaders. Il y a quelques semaines, les milices des villes de Zentan et Misrata, qui comptent parmi les groupes armés les plus puissants de l’ouest du pays et s’étaient affrontées pour la domination de Tripoli en 2014, se sont alliées. C’est une menace directe pour les camps représentés par al-Sarraj et par Haftar. Enfin, il faut aussi ajouter que, si bien des milices dans chacun de ces camps se revendiquent de l’intégrisme salafiste le plus réactionnaire et organisent des polices des mœurs coercitives à l’Est comme à l’Ouest, les milices djihadistes liées à Daech n’ont pas disparu non plus. Elles se sont encore manifestées le 2 mai dernier à Tripoli avec un attentat qui a fait 14 morts.
Voilà le chaos libyen que Macron entend régler d’un coup de cuillère à pot en annonçant l’organisation d’élections nationales législatives et une élection présidentielle pour le 10 décembre prochain. Si jamais ces élections avaient lieu, elles ne pourraient être qu’une mascarade pour introniser aux yeux des opinions publiques occidentales un pouvoir choisi par certaines grandes puissances, tout au moins la France. Mais même la tenue de ces élections est une gageure.
Les raisons de la précipitation de Macron sont sûrement à chercher du côté des intérêts du groupe Total, qui lorgne sur le pétrole libyen et qui s’y est même déjà engagé financièrement. Mais cette pression française pourrait très bien être le déclencheur de nouveaux affrontements, entre des milices associées à l’accord de Paris, ou qui en seraient satisfaites, et d’autres qui, exclues de l’accord, se sentiraient lésées. Les grandes puissances souhaiteraient trouver une solution au problème du chaos libyen qu’elles ont elles-mêmes engendré, à commencer par des puissances européennes comme la France et l’Italie dont les côtes se trouvent à un millier de kilomètres à peine. Mais leurs intérêts aussi sont concurrents.
Quant au sort des populations locales et des migrants, pour qui la Libye est devenue un enfer, leurs dirigeants s’en moquent. Tout au plus aimeraient-ils qu’un pouvoir suffisamment fort réussisse à retenir les migrants sur le sol africain, sans vouloir savoir à quel prix.